
Le 12 mars dernier, à Longvic, les huit présidents des chambres départementales d'agriculture ont participé à un débat où il a été abonnement question d'articuler production et consommation : «76% des Français soutiennent les agriculteurs mais seulement 20% font l'acte d'achat qui va avec».

Les tracteurs sont rentrés dans les fermes après un mois de mouvement social des agriculteurs. Le Salon international de l'agriculture s'est terminé avec une nouvelle fréquentation dépassant 600.000 visiteurs. «Et maintenant ?»
La «colère et le désarroi des agriculteurs» étant toujours palpables, la chambre régionale d'agriculture a organisé un débat, le mardi 12 mars 2024, à Longvic, dans les locaux de Dijon Céréales, pour permettre aux représentants du monde agricole d'«échanger ensemble sur des perspectives possibles suite à cette expression au caractère exceptionnel».
Plus de 150 personnes ont assisté aux débats dans la salle et les équipes techniques ont noté 25 connexions à la retransmission vidéo. Une connexion pouvant représenter le suivi de tout un groupe puisque deux classes de BTS du lycée agricole de Quetigny s'étaient inscrites ainsi que des classes de l'Institut Agro Dijon, des MFR du Jura et de Fontaines en Saône-et-Loire ainsi que du lycée viticole de Mâcon-Davayé.
Du côté des élus, étaient présents Christian Morel (sans étiquette), vice-président du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté chargé de l'agriculture, Jean-Michel Verpillot (sans étiquette), conseiller de la Métropole de Dijon délégué à l'agriculture péri-urbaine, ainsi que les élus régionaux Valérie Deloge (RN), Nathalie Fritsch (RN), Sandra Germain (REN) et Claire Mallard (EELV) tandis que le groupe présidé par Gilles Platret était représenté par un collaborateur.
«Les paysans de demain vont bien gagner leur vie parce qu'il y a un risque de pénurie», analyse Serge Papin
Après une intervention du sondeur de l'IFOP Jérôme Fourquet (
lire notre article), est diffusée une vidéo de Serge Papin, ancien PDG de Systme U et administrateur d'Auchan Retail International. Serge Papin appelle à sortir des négociations annuelles sur les prix pour aller vers «le contractualisme» concernant la production, la transformation et la distribution «sur le temps long» de façon à obtenir «une réconciliation de la filière» à partir «du prix des matières premières».
«Il faut que les paysans deviennent des commerçants aussi», déclare-t-il, «plus le client est proche, plus la valeur ajoutée est grande». Et d'inciter les agriculteurs à «travailler la marque» pour «communiquer» sur les arguments : «la Bourgogne-Franche-Comté est sans doute un des territoires de France qui a le plus de culture et peut véhiculer le plus d'arguments».
«Les paysans de demain vont bien gagner leur vie parce qu'il y a un risque de pénurie», envisage finalement Serge Papin.
Didier Guillaume pointe «la schizophrénie totale» des Français entre consommation et production
Les présidents des huit chambres départementales d'agricultures – tous issus des rangs de la FNSEA – montent ensuite à la tribune pour une table-ronde.
«L'heure est grave», lance Didier Guillaume, ancien ministre socialiste de l'Agriculture, invité d'honneur, «sommes-nous encore capable de produire pour que les agriculteurs gagnent leur vie ?»
Didier Guillaume entame le débat en pointant «la schizophrénie totale» des Français sur la consommation et la production au regard des levées de boucliers quand apparaissent certains projets d'élevage sur des communes.
L'intervenant appelle donc à «changer le système de consommation pour permettre que la production continue à être présente et que les producteurs soient rémunérés» au travers de réponses territorialisées.
«On a les moyens de notre souveraineté alimentaire en France», assure Vincent Lavier
Président de la chambre d'agriculture de la Côte-d'Or, Vincent Lavier estime qu'il s'agit d'«une crise identitaire» après un cadre défini durant l'après-Guerre et une crise de production majeure dans les années 1980.
«On s'est livré au marché mondial. (…) Aujourd'hui, on est amené à gérer les injonctions contradictoires. On a les moyens de notre souveraineté alimentaire en France, on reste un grand pays agricole. Elle est en train de nous échapper, il ne faudrait pas grand chose pour qu'on puisse la récupérer», analyse Vincent Lavier pour qui «la montée en gamme favorise les importations de produits bas de gamme».
Philippe Monnet relève que «plus l'élevage recule, plus nos campagnes se vident»
Président de la chambre d'agriculture du Doubs et du Territoire de Belfort, Philippe Monnet relève que «plus l'élevage recule, plus nos campagnes se vident».
L'intervenant s'insurge contre une modification à venir concernant le transport de veaux d'élevages laitiers quittant la France pour être engraissés en Italie ou en Espagne : un ou deux arrêts seraient à réaliser, les véhicules à deux étages seraient interdits et la température ne pourrait plus dépasser 25°C. Cette modification ne serait pas «raisonnable économiquement».
Très remonté, Philippe Monnet enchaîne sur les attaques de troupeaux ovins et bovins effectuées par des loups : «la société veut de l'élevage à l'herbe et on implante le loup dans nos beaux élevages !»
«Avec plusieurs attaques chaque semaine, c'est extrêmement mal vécu par les éleveurs», insiste Vincent Lavier qui estime qu'il faut «700 heures de surveillance pour mettre à mal un loup sur un territoire». texte. À moins d'un déclassement du statut d'espèce «strictement protégée», est en jeu «la pérennité des activités d'élevage» et «le renouvellement des générations».
Abordant le sujet de la consommation, Philippe Monnet cite l'exemple d'une coopérative où transitent 35.000 tonnes de viandes chaque année : «seulement 200 tonnes sont achetées par des clients qui prennent en compte les coûts de production des éleveurs».
Philippe Monnet propose donc qu'«une part de la production d'un jeune agriculteur soit achetée en référence du prix de production».
«76% des Français soutiennent les agriculteurs mais seulement 20% font l'acte d'achat qui va avec», regrette Arnaud Delestre
Président de la chambre d'agriculture de l'Yonne, Arnaud Delestre se penche sur le volet de la restauration collective au sein de la loi Egalim 2 demandant d'atteindre 20% de produits bio et 50% de produits durables en 2022 : «on est loin d'avoir atteint les objectifs avec 7% de bio et 20% de produits durables».
«76% [des Français] soutiennent les agriculteurs mais seulement 20% font l'acte d'achat qui va avec», regrette Arnaud Delestre qui appelle à suivre l'exemple des cantines du ministère de la Défense s'approvisionne à 100% en viande française.
«On perd des parts de marché en permanence», proteste François Lavrut
Pour François Lavrut, président de la chambre d'agriculture du Jura, «le panel d'annonces [du gouvernement] reste de la bricole par rapport aux revendications des agriculteurs»
«On perd des parts de marché en permanence», proteste-t-il en faisant le lien avec la réglementation des produits phytosanitaires française au regard des pratiques d'autres pays. Lui aussi insiste sur «les clauses-miroirs» à intégrer aux traites de libre-échange.
Thierry Chalmin craint «un rétropédalage» sur le bio
«Les commandes sont passées mais la livraison tarde», ironise Thierry Chalmin, président de la chambre d'agriculture de la Haute-Saône à propos des revendications exprimées auprès du gouvement, «on n'est pas dans le click and collect avec le Premier ministre».
Même si Thierry Chalmin a trouvé «plutôt bon le discours de la botte de paille du Premier ministre», le 26 janvier dernier sur un point de blocage dans l'Ariège, il se dit «assez déçu depuis» : «nos paysans sont perdus au milieu de tout ça» en raison de «beaucoup de contradictions».
En 2022 et en 2023, les exploitants pouvant justifier de la non utilisation de glyphosate bénéficiaient d’un crédit d’impôt de 2.500 euros. La disposition n'a pas été reconduite en 2024 au grand dam de Thierry Chalmin qui voit là «une contradiction parmi d'autres».
Alors que la Haute-Saône compte une surface agricole exploité en agriculture biologique supérieure à la moyenne régionale, Thierry Chalmin craint «un rétropédalage» : «nos collègues agriculteurs prennent en pleine face la crise» du fait de «la réticence des consommateurs».
Bernard Lacour déplore «une perte du sentiment collectif dans l'agriculture»
Président de la chambre d'agriculture de la Saône-et-Loire, Bernard Lacour note «une ampleur inédite dans le mouvement [social] avec néanmoins une perte du sentiment collectif dans l'agriculture». Il appelle donc à «redynamiser une approche collective des projets dans lesquels on retrace des perspectives à nos jeunes».
«On a un modèle agricole français spécifique, qu'on appelle familial, qui est unique au monde, qui fait que l'agriculture française est classée comme la meilleure et la plus durable parmi les 67 plus gros pays producteurs», analyse Bernard Lacour
L'agriculteur de la Saône-et-Loire met en balance les enjeux économiques qui s'impose à un projet d'installation en bio de 700 poules face «aux élevages d'un million de poulets en Ukraine».
La Ville de Joigny facilite la production de lentilles bio pour des cantines parisiennes
Vice-président du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté et maire de Joigny, Nicolas Soret (PS) revient sur l'expérience d'approvisionnements restaurants collectifs parisiens, écoles élémentaires et EHPAD principalement.
La municipalité a développé un partenariat portant sur l'installation d'agriculteurs sur les terrains des eaux de Paris pour produire des lentilles bio. De ce fait, la Ville de Paris garantit des volumes et des prix de façon pluriannuelle.
Ainsi, des lentilles de l'Yonne ont remplacé des lentilles du Canada avec l'aide de Jean-Michel Lorrain, chefs deux-étoiles au Guide Michelin, qui les a mises à sa carte pour les valoriser.
«On retrouve des outils de production utiles pour Paris et utiles pour [l'Yonne]», on a réussi à faire en sorte que l'achat d'un acheteur public devienne un effet levier pour redonner de la visibilité chez nous», se félicite le maire de Joigny, applaudit par l'assistance.
Pour la Coordination rurale, Thierry-James Facquer fustige «le libre échange mondialisé et l'écologisme décroissant»
«Ce n'est pas que le changement ne va pas assez vite, c'est que le changement ne se fait pas», réagit depuis la salle Thierry-James Facquer, président de la Coordination rurale en Bourgogne-Franche-Comté, qui fustige «les gesticulation du gouvernement pour repousser le moment où il aura à prendre des décisions».
«Il y a une problématique fondamentale que le gouvernement et l'Europe refusent de trancher : dans toutes nos politiques agricoles, il y a deux grandes idéologies qu'on veut nous faire passer, le libre échange mondialisé et l'écologisme décroissant», poursuit le concurrent de la FNSEA, «le coût de tout ça, c'est la condamnation à terme de l'agriculture française».
«Il faut imposer définitivement dans la loi Egalim le respect de l'indicateur de coût de production», revendique Jean-Pierre Fleury
Jean-Pierre Fleury, membre d'Interbev, alerte l'assemblée sur la critique de l'accord de Paris par les États-Unis ou la Chine dans les négociations internationales. «Qu'est-ce qu'on a à gagner dans ce verdissement [du Green Deal] à part des contraintes ?» : «le sentiment des agriculteurs, c'est que l'on va me demander plus pour pas avoir plus sur mon compte en banque».
Considérant que «l'Organisation mondial du commerce ne sert plus à rien», Jean-Pierre Fleury voit les accords de libre-échange contractés par l'Union européenne comme «une maladie».
Le spécialiste d'Egalim ne cache pas son opposition au principe des prix-planchers, préférant l'établissement d'un indicateur de référence. Selon lui, lorsque la viande est achetée 50 centimes d'euros au kg plus cher au producteur, le coût pour le consommateur augmente de 4 centimes d'euros. «Il faut imposer définitivement dans la loi Egalim le respect de l'indicateur de coût de production», revendique-t-il.
«On sait orienter mais il faut que l'agriculteur accepte de se faire expertiser», signale Didier Ramet
Selon Didier Ramet, président de la chambre d'agriculture de la Nièvre, un tiers des agriculteurs se portent bien économiquement, un tiers dont la situation tangue en fonction des cours et un tiers qui connaissent des difficultés récurrentes.
«Dans les chambres, on a des agents qui savent décortiquer une exploitation et on sait orienter mais il faut que l'agriculteur accepte de se faire expertiser», explique Didier Ramet en signalant que ces audits sont cofinancés par la Région Bourgogne-Franche-Comté.
Nicolas Soret envisage un portage financier de la Régionpour soutenir les jeunes agriculteurs
Avant le propos final de Christian Decerle, président de la chambre régionale d'agriculture de Bourgogne-Franche-Comté (
lire notre article), la conclusion de la table-ronde revient à Didier Guillaume et Nicolas Soret. Pour ce dernier, «vos contraintes sont celles de tous les entrepreneurs de Bourgogne-Franche-Comté, on a le problème des compétences, de l'image, des normes, le diktat du politique sur l'économie».
Et d'appeler à inventer un dispositif de portage économique pour aider les jeunes agriculteurs sans supporter tout le risque financier, «risque que les banques ne prennent plus».
«Si on veut que les Français puissent s'alimenter avec des produits sains, sûrs et tracés, il faudra bien qu'il y ait encore une agriculture», revendique Didier Guillaume qui envisage avec optimise l'avenir : «selon Jérôme Fourquet, 20% des Français sont prêts à conseiller à leurs enfants de devenir agriculteurs, c'est 13 millions [de personnes], si on arrive à le mettre en place, on n'aura pas de problème de renouvellement des générations».
Jean-Christophe Tardivon

































