Marie-Guite Dufay a obtenu une majorité, ce vendredi 20 octobre, pour voter la nouvelle convention avec la SNCF, non sans mal : les communistes et les élus du RN ont voté contre mais les Républicains et les soutiens de la majorité présidentielle ont appuyé le vote des Verts et des socialistes.
Comme dans une série palpitante, le sujet de l'ouverture à la concurrence des lignes TER en Bourgogne-Franche-Comté a connu plusieurs rebondissements et mêle des fins annoncées avant un redémarrage pour une nouvelle saison comme ce fut le cas en 2022.
Le terme potentiel est apparu, ce vendredi 20 octobre 2023, lors de la session où a été votée la nouvelle convention sur les TER avec SNCF Voyageurs. Si certains opposants envisagent une troisième saison, la majorité de Marie-Guite Dufay espère voir là l'aboutissement définitif de plusieurs années de travail.
Rappel des épisodes précédents
Dans la première saison, les scénaristes se sont mis d'accord pour laisser plusieurs voix s'exprimer.
Ainsi, lors de l'accord de coalition des régionales de 2021, principalement porté par le Parti socialiste, le Parti radical-Centre gauche, Europe Écologie Les Verts et le Parti communiste français, ont été laissés en dehors de la corbeille commune quelques sujets idéologiques permettant une relative liberté de vote.
Sans conséquence politique, Les Verts peuvent s'exprimer contre les sujets sur le nucléaire, les communistes contre les ouvertures à la concurrence dont celle des TER telle que prévue par la transposition dans la législation française d'une directive européenne.
Des sujets sur lesquels, la socialiste Marie-Guite Dufay (PS), présidente du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, peut envisager le soutien des conservateurs et des progressistes.
Le 27 janvier 2022, l'assemblée régionale a donc adopté le plan «Rail 2026» prévoyant l'ouverture à la concurrence à la fin de la convention passée avec SNCF Voyageurs, courant jusqu'en 2025. Un vote où les communistes se sont opposés, comme prévu. À l'extérieur de l'Hôtel de Région, 400 syndicalistes appuyaient alors la position des communistes.
Passage à une «ouverture progressive» à la concurrence
La seconde saison démarre le 15 décembre 2022. Au lieu de voter le cahier des charges lié à «Rail 2026», la crise énergétique consécutive à la guerre en Ukraine a conduit l'exécutif régional à actionner l'aiguillage pour changer de voie.
L'exécutif a alors envisagé une «ouverture progressive» à la concurrence, cette progressivité étant mise à contribution pour négocier une nouvelle convention avec la SNCF avant 2025.
Durant l'épisode du 30 juin 2022, l'exécutif régional a dévoilé l'état des discussions. Les manifestants n'étaient plus qu'une centaine à s'opposer à cette ouverture partielle à la concurrence.
Les derniers épisodes de cette saison 2 ont pris place ce vendredi 20 octobre. Chaque formation politique a joué sa partition. Le Rassemblement national votant contre, les communistes aussi, les conservateurs et les progressistes se joignant au reste de la coalition pour faire passer le texte à une large majorité. À l'extérieur, une cinquantaine de manifestants battaient le pavé sous la pluie.
Les «contraintes» liées aux travaux de la ligne Nevers-Chagny en préambule
Le débat sur les sujets ferroviaires débute dès le discours de politique générale de Marie-Guite Dufay qui sait bien que les élus des territoires ruraux notamment vont assortir leur vote de quelques réserves.
La présidente de la collectivité s'empresse de rappeler le montant de l'investissement de la régénération de la ligne Nevers-Chagny – 137 millions d'euros (
lire le communiqué) – pour faire passer la pilule des interruptions de circulations controversées (
lire notre article).
«Nous avons demandé à la SNCF de minimiser les contraintes», indique Marie-Guite Dufay. «SNCF Voyageurs, en lien quotidien avec les autocaristes, adapte très régulièrement le dispositif en fonction des retours des élus locaux comme des voyageurs. (...) Nous sommes à l'écoute des besoins des territoires et des usagers (…) pour alléger le poids de cette période de travaux néanmoins indispensables.»
Concernant la ligne Belfort-Delle, «l'objectif est d'améliorer la desserte en vue d'un réseau express métropolitain sur le territoire de Belfort».
Pour la ligne internationale Neuchatel-Frasne, la Région fait appel à l’État pour pérenniser la gare TGV de Frasne : «nous avons adressé un courrier à la Première ministre que l’État prenne à sa charge les nécessaires investissements sur l'infrastructure Elle n'est fréquenté quasi exclusivement que par des voyageurs helvétiques entre la frontière et Pontarlier».
«Pour la SNCF, c'est du positif avec dix ans de visibilité», note Marie-Guite Dufay
La présidente de l'exécutif rappelle l'aboutissement financier de la négociation avec SNCF Voyageurs : 30 millions d'euros en moins par an, 20 millions d'euros de dépenses énergétiques économisés en 2023 et 10 millions d'euros supplémentaires en fonctionnement du fait d'un changement comptable.
De quoi contribuer à donner «des marges de manœuvre» à la collectivité ayant dû geler les programmes d'intervention en début d'année.
«Mission pleinement accomplie», se félicite Marie-Guite Dufay qui envisage «des perspectives concrètes en matière d'amélioration de la qualité des services aux usagers, (…) en particulier sur la ponctualité des trains avec des objectifs relevés et des pénalités accrues en cas de non-respect des objectifs».
«Pour la SNCF, c'est du positif avec dix ans de visibilité et un processus d'ouverture à la concurrence lissé dans le temps», considère-t-elle. «C'est un accord gagnant-gagnant.»
Cet accord permet que, en 2027, à la suite d'un appel d'offres et d'une délégation de service public, le premier lot «Bourgogne ouest-Nivernais» puisse être exploité par un opérateur ferroviaire différent de SNCF Voyageurs, ce qui n'empêche pas ce dernier de constituer une filiale pour ce faire.
«L'amélioration du service aux voyageurs» comme priorité de l'exécutif
Une fois la présentation générale effectuée par Marie-Guite Dufay, la «synthèse» revient à Michel Neugnot (PS). Le premier vice-président chargé notamment des transports signale que 18 articles de la précédente convention ont été «modifiés» avec «une ligne de conduite» : «l'amélioration du service aux voyageurs».
Actuellement, 587 trains circulent quotidiennement en Bourgogne-Franche-Comté. Parmi les objectif, la régularité des trains de 93,5% actuellement devrait passer à 97,5% en 2032. Cet engagement de SNCF Voyageurs s'accompagne de pénalités – dont le plafond passe de 2 à 6 millions d'euros annuellement – s'il n'est pas respecté. Si un train ne circule pas, cela induit désormais des réduction des charges pour la collectivité «nettement plus favorables».
La collectivité s'engage à «reprendre à son compte» le système d'intermodalité et de billettique unique d'ici 2029.
«Pour les grosses réparations, on se laisse le choix de continuer de passer directement par la SNCF voire de faire des appels d'offres dédiés», signale Michel Neugnot. En clair, la Région se réserve la possibilité d'externaliser la maintenance à un opérateur ne relevant pas directement du groupe SNCF.
Objectif de 20% de hausse des recettes d'ici 2032
Le premier vice-président signale que l'économie annuelle de 30 millions d'euros provient de «gains de productivité» réalisées par SNCF Voyageurs en vue de préparer l'ouverture à la concurrence initialement prévu en 2026.
La formule d'indexation de la répartition des coûts de l'énergie entre l'opérateur et la collectivité a été revue en faveur de cette dernière.
Sur un an glissant, entre 2022 et 2023, 98,3 millions d'euros de recettes ont été constatées par SNCF Voyageurs. La référence datant de 2019 était de 82 millions d'euros. Michel Neugnot constate donc «20% d'augmentation» des recettes en 4 ans dues «à 90% à plus de voyageurs». «On le voit très bien à un certain nombre de trains bondés qu'il ne l'étaient pas autant.»
Dans la nouvelle convention, la collectivité fixe l'objectif d'augmenter de nouveau de 20% les recettes hors inflation d'ici 2032. Les tarifs pourront notamment prendre en compte l'évolution de l'inflation, après consultation de l'assemblée régionale.
Le prix des péages payés par SNCF Voyageurs à SNCF Réseau pour faire
circuler les TER sera transféré dans la section investissement de la
comptabilité de la Région. Cela correspond annuellement à 10 millions
d'euros qui ne seront plus comptés comme du fonctionnement à partir de
2024.
Création de comités de desserte
Prenant en compte les évolutions de la loi d'orientation sur les mobilités (LOM), le comité de suivi des lignes régionales intègre les organisations syndicales et patronales. Un comité de desserte associera les élus et les représentants locaux d'associations d'usagers des transports.
L'exécutif régional demande donc à l'assemblée de voter de façon à résilier la convention TER 2018-2025 en cours et d'adopter une nouvelle convention pour la période 2023-2032.
Une nouvelle convention également avec SNCF Gares & Connexions
Par ailleurs, la convention avec SNCF Gares & Connexions sort de la convention sur les TER. L'exécutif propose de contractualiser sur la période 2023-2025 avec comme priorité «le service aux usagers avec une évolution des ouvertures et fermetures des bâtiments de gare, sur le confort et sur l'intermodalité, sur l'aménagement des quais et des gares, sur l'information voyageurs, totalement à la main de SNCF Gares & Connexions et qui va progressivement intégrer toutes les mobilités (...) pour un système unique d'information voyageur».
«Le train est essentiel en Bourgogne-Franche-Comté», souligne Éric Oternaud
Durant les débats, Éric Oternaud (EELV) considère que «le train est essentiel en Bourgogne-Franche-Comté plus qu'ailleurs» et souligne un «fait marquant» : «notre région est également celle le plus touchée par la précarité liée aux déplacements».
«La progressivité des quatre lots détachables des quatre lots d'ouverture à la concurrence couplée à des exigences d'augmentation d'offre ouvrent des perspectives comme la volonté manifeste de chercher à renforcer l'offre sur secteur via la possibilité d'avenant», analyse l'écologiste expliquant ainsi pourquoi son groupe votera favorablement.
Toutefois, Éric Oternaud fait quatre remarques : demandant de «confirmer» l'amélioration de l'offre, constatant «la transparence accrue des coûts» et «les pénalités sur les suppressions de trains», revendiquant «l'implication des usagers» et se disant attaché à «une distribution physique alternative des billets».
Selon Denis Thuriot, la Nièvre et la Saône-et-Loire «souffrent sur leurs mobilités»
L'opposant Denis Thuriot (REN) annonce d'emblée qu'il votera pour mais entend relayer quelques «alertes» : «le service est loin d'être à la hauteur partout».
L'élu progressiste s'inquiète de «la réduction du nombre de guichets», adresse une pensée aux habitants de la Nièvre et de la Saône-et-Loire qui «souffrent actuellement sur leurs mobilités», constate que «Mobigo ne fonctionne pas sur le covoiturage», dénonce «un ticket de car payé le prix d'un billet de train». «C'est très mal vécu sur le territoire», résume le soutien d'Emmanuel Macron.
«Nous avons besoin de maintenir des lignes en capillarité sur un certains nombre de territoires», déclare à son tour Rémy Rebeyrotte (REN) qui incite à faire preuve d'«innovation sur les alternatives au transport ferroviaire classique».
L'élu de l'Autunois fait ainsi référence à une expérimentation de navette autonome circulant sur rail et route actuellement à l'arrêt (
lire notre article).
Céline Bähr considère que «la convention est très perfectible pour les usagers du train»
L'opposante Céline Bähr (LR) considère que «la convention est très perfectible pour les usagers du train». «Vous promettez de faire mieux avec moins de moyens, permettez-nous d'émettre quelques doutes. (…) Reconnaissez que la précédente convention était négociée en dépit du bon sens. (…) Nous aurions souhaité une convention bien plus exigeante sur la qualité de service pour les usagers ; c'est à cette condition seulement que nous réussirons à faire préferer à nos habitants le train.»
Toutefois, l'Union des républicains et du centre et écologistes indépendants voit suffisamment de «satisfactions» pour voter favorablement.
En revanche, Alain Joyandet (LR) se dit «opposé à cette mise en concurrence» : «je crains que ce ne soit, à court terme, des économies pour la Région mais, à moyen et long terme, des dépenses supplémentaires et, surtout, une grande dégradation de notre service public».
«Concurrence, ce n'est pas ouverture au privé», réagit Marie-Guite Dufay qui insiste sur la notion de délégation de service public «cadrée par la collectivité».
«Non seulement, les trains sont annulés mais les cars de substitution sont supprimés», proteste Mélanie Fortier
L'opposant Pascal Blaise (RN) estime que «les arguments solides pour justifier l'ouverture à la concurrence manquent à l'appel» et demande «l'engagement» de ne retenir que les sociétés titulaires d'une licence mentionnée dans le code des transports.
Mélanie Fortier (RN) déplore que «des voyageurs se retrouvent entassés dans des endroits exigus, souvent debout». «Les usagers debout payent le même prix que les usagers assis. Les guichets ferment tour à tour, effaçant le peu de contact humain qui subsistait encore. (…) Non seulement, les trains sont annulés mais, en plus, les cars de substitution sont, eux aussi, supprimés.»
«Ce n'est pas faux», concède Marie-Guite Dufay, «mais ce n'est quand même pas l'ensemble de la réalité ; les trains qui sont supprimés, les trains qui sont en retard sont trop nombreux, (…) on souligne les trains qui n'arrivent et on ne parle pas de ceux qui arrivent». Et de nuancer en mettant en avant les près de 94% de régularité et la hausse de la fréquentation des voyageurs ces dernières années.
Hicham Boujlilat regrette l'«absence de concertation concrète»
Élu indépendant, Hicham Boujlilat (PS) rappelle sa constante opposition à l'ouverture à la concurrence. Tout en saluant «une convention qui coûte beaucoup moins cher» à la collectivité, le socialiste pointe des «désaccords» : la future interopérabilité du lot Bourgogne ouest-Nivernais, le passage de 88.000 à 30.000 heures d'ouvertures de guichets dans les gares annuellement entraînant la «déshumanisation» de certaines gares ainsi que l'«absence de concertation concrète».
Alors qu'il n'avait pas voté la précédente convention, Patrick Molinoz (PRG) donne son explication de vote en «saluant» le travail accompli par l'exécutif et en mettant en avant l'aspect financier de la renégociation.
Les communistes maintiennent leur opposition à la libéralisation du ferroviaire
«Ce qui n'était pas possible en janvier 2022, à savoir passer une nouvelle convention avant décembre 2023, est devenu réalisable. Comme quoi, les certitudes et affirmations d'un jour de notre vice-président aux mobilités se sont avérées caduques quelques mois plus tard», tacle Patrick Blin (PCF), rappelant que les communistes restent opposés à la libéralisation du secteur ferroviaire.
Par la suite, quatre amendements du groupe des élus communistes et républicains seront rejetés par les autres composantes de la majorité mais appuyés par les élus du Rassemblement national.
Seulement 17% des titres de voyage sont achetés en gare
Charge à Michel Neugnot de compléter les débats avant le vote en répondant aux différents intervenants.
«Un certain nombre de gares ou de haltes ferroviaires n'ont jamais eu de guichets», rappelle Michel Neugnot au sujet de cette problématique de la distribution des billets. «À chaque fois, on met un moyen alternatif !»
Depuis la crise sanitaire, la part de titres de voyage achetés en gare est passée de 35% à 17%.
La nouvelle convention avec SNCF Gares & Connexions acte que ce n'est plus seulement le maire qui doit approuver une fermeture de guichet mais le conseil municipal de la commune d'implantation.
De nouveaux Régiolis pour des «solutions capacitaires plus importantes»
Rappelant que la convention se fait à périmètre constant en matière de nombre de dessertes et de nombre de circulations de trains, Michel Neugnot envisage cependant des «solutions capacitaires plus importantes» notamment pour répondre aux besoins en heure de pointe.
Ainsi, la Région a réceptionné récemment le dernier Régiolis à six voitures qui permet d'atteindre 1.065 places assises – avec accessibilité aux personnes en situation de handicap – quand trois rames sont accolées pour former un seul TER contre 550 places assises dans un Corail, sans accessibilité. Ces Régiolis circulent sur la ligne Paris-Dijon-Lyon (
lire le communiqué). À noter qu'ils consomment «15% d'énergie en moins» que la génération précédente, sans compter les effets de l'écoconduite (
lire notre article).
Après avoir investi 458 millions d'euros pour acquérir 48 rames mises en service de 2020 à 2023, la Région se tourne à présent vers l’État pour faciliter l'acquisition de nouveaux matériels.
La Région souhaite éviter que la SNCF ne lui «fasse les poches» pour bénéficier de TGV
En dehors du sujet soumis au vote ce jour, concernant les TGV cette fois, Michel Neugnot renvoie aux travaux menés par Régions de France pour éviter que «la SNCF fasse les poches» aux collectivités souhaitant maintenir des liaisons à grande vitesse, faute de financement national suffisant.
Après ces débats nourris, la nouvelle convention est soumise aux voix élus. Votent contre le groupe des élus communistes et républicains, le groupe du Rassemblement national et l'élu indépendant Hicham Boujlilat. S’abstiennent Salima Inezarene (PS) et Alain Joyandet (LR).
Votent pour le reste du groupe Notre région par cœur, le reste de l'Union des républicains et du centre et écologistes indépendants, le groupe des élus progressistes ainsi que le groupe Écologistes et solidaires.
La nouvelle convention incluant l'ouverture progressive à la concurrence des lignes de TER à partir de 2027 est donc adoptée par l'assemblée régionale à une large majorité.
«La boucle est bouclée. Vous m'avez donné un très fort mandat de négociation au mois de janvier dernier», conclut Marie-Guite Dufay. «Je vous amène aujourd'hui le résultat.»
Jean-Christophe Tardivon