Ce n'est pas encore un «bras de fer» mais il s'agit toutefois de «faire pression» sur la SNCF au sujet des charges d'énergie des TER. Ce jeudi 26 janvier, les trois quarts des élus du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté – mais pas ceux du PC ni du RN – ont apporté leur soutien à la démarche de la présidente.
Le 27 janvier 2022 – un mois avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie –, le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté a adopté le projet Rail 2026 encadrant les relations entre la collectivité et la SNCF concernant la circulation des TER et envisageant une ouverture à la concurrence en 2026 (
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Rattrapée par la crise énergétique, la Région ploie sous le poids des compensations à verser à la SNCF en attendant un éventuel «amortisseur énergétique» de l’État destiné à l'opérateur ferroviaire.
Sans envisager encore un «bras de fer» qui correspondrait à une cessation des paiements – demandée pourtant par une partie de l'opposition –, la présidente de la collectivité entend «faire pression» sur la SNCF avec l'aide de l’État pour ouvrir de nouvelles négociations afin de réduire les charges. Pour peser dans la balance, la collectivité propose de remettre en question l'ouverture à la concurrence ferroviaire.
Ce jeudi 26 janvier 2023, Marie-Guite Dufay (PS), présidente du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, a demandé à l'assemblée d'acter ces négociations.
«Il faut vraiment que nous repartions sur un autre pied avec la SNCF», indique Marie-Guite Dufay
«Quand il est question de train, toute l'assemblée vibre», déclare Marie-Guite Dufay pour lancer le débat. «Ce rapport prend le contre-pied total du rapport que nous avons voté ensemble il y a un an à la même époque. Il comporte deux questions. Une qui est technique : pourquoi nous nous voyons en situation de reporter d'un an l'ouverture à la concurrence prévue pour 2026 ? Il y a une série de chantiers indispensables pour ce processus concurrentiel qui ne sont pas prêts. Une d'ordre budgétaire : compte tenu de tout ce que nous avons dit. La convention représente près du quart de notre budget. L'explosion des coûts de l'énergie est absolument insupportable.»
«Là, il faut vraiment que nous repartions sur un autre pied avec la SNCF», indique la présidente de la collectivité. «En 2012, j'avais suspendu les paiements à la SNCF. Là, ça va beaucoup plus loin. Je considère que nous ne pouvons pas continuer dans les conditions que nous avons avec la SNCF.»
«Quand le processus concurrentiel sera vraiment à l’œuvre, nous aurons une baisse des charges mais c'est maintenant que je souhaite que l'on baisse drastiquement nos charges SNCF», indique-t-elle.
«Il y a une négociation avec la SNCF qui remettrait en cause ce que nous avons voté il y a un an. Je vous propose de rendre ce processus d'entrée en concurrence progressif moyennant quoi j'entame une négociation pour diminuer les charges», ajoute-t-elle.
«J'ai besoin de sentir ma collectivité derrière moi», déclare solennellement Marie-Guite Dufay en espérant infléchir les communistes, opposés à toute ouverture à la concurrence. «Je vous demande de me donner acte pour que j'initie des négociations», ajoute-t-elle en signalant des contacts préalables avec le président de la SNCF Jean-Pierre Farrandou.
«La nouvelle convention irait du 1er juillet 2023 au 31 décembre 2032, c'est à dire la date limite où c'est possible pour la SNCF. C'est une bonne sécurité aussi pour l'entreprise publique SNCF», précise la socialiste. «En 2026, nous n'aurons plus de convention et la concurrence commencera en 2027. Entre 2026 et 2027, il y a aura une situation de prescription unilatérale.»
«Il est évident que le service doit être constant. Même, la qualité doit s'améliorer», poursuit Marie-Guite Dufay.
«La trajectoire de recettes est à renégocier vu l'attrait du train actuellement», selon Michel Neugnot
Après le contexte politique, Michel Neugnot (PS) aborde la dimension technique. Le raccordement au réseau du centre de maintenance ferroviaire de Dijon-Perrigny ne pourra pas se faire avant 2027. La vérification à mi-vie des automoteurs grande capacité doit être réalisée avant l'ouverture à la concurrence.
«On s'aperçoit qu'entre le coût réel payé par la SNCF et le coût qui nous est facturé, l'application des règles prévue fait ce qui était 100 à un moment nous est facturé 400», analyse le vice-président chargé des mobilités.
Parallèlement, la convention en cours avait défini un objectif de recettes de 75 millions d'euros en 2022 mais la recette sur 2022 s'annonce supérieure à 86 millions d'euros.
Concernant la négociation sur les charges en elles-mêmes, «on démontre qu'il y a plusieurs dizaines de millions d'euros qui devraient nous êtes restitués si on assure à la SNCF un marché protégé jusqu'en 2032». «La trajectoire de recettes est à renégocier vu l'attrait du train actuellement», analyse Michel Neugnot.
«Dans la négociation, contrairement à ce que prévoit la loi d'orientation sur les mobilités, nous laissant entière compétences dans les gares, nous laissons l'activité à SNCF Gares & Connexions et l'on demandera à ce que Gare & Connexions soit responsable de tout l'affichage en gare. Ce serait une mission importante confiée à SNCF Gare & Connexions», signale le vice-président.
Votes favorables des groupes de Gilles Platret et de Denis Thuriot
Pour sa part, Gilles Platret (LR), président du groupe d'opposition Union des républicains et du centre et écologistes indépendants, entend placer son propos dans «l'enjeu politique de la délibération» en constatant que l'augmentation du coût de l'énergie pourrait «empêcher la Région de dérouler ses politiques».
«Certaines Régions avaient été au bras de fer d'emblée pour arracher à la SNCF des conditions qui [leur] paraissaient acceptable. La SNCF n'est pas un partenaire facile. (…) La politique de cette maison ne peut pas éternellement durer sur le dos des contribuables régionaux», déclare l'opposant avant d'appeler à «préserver l'avenir».
Gilles Platret rappelle qu'il avait demandé à «ne pas précipiter» le processus d'ouverture à la concurrence et indique préférer la nouvelle position de l'exécutif.
«Notre groupe est prêt à appuyer votre démarche dans l'intérêt de la Région», indique le président du groupe d'opposition qui se montre donc favorable à renégocier «dans l'intérêt de nos finances» mais «sans blanc-seing».
«Nous vous engageons à faire preuve de force. Nous attendons à ce que cette force aille jusqu'au bout, y compris jusqu'au bras de fer. Nous voterons pour», insiste Gilles Platret.
«Si cette convention peut permettre de renégocier des marges de manœuvre, c'est une piste que l'on doit prendre. C'est dans l'intérêt de tous y compris budgétaire», indique à son tour Denis Thuriot (RE), président du groupe d'opposition des Élus progressistes.
Opposition du Rassemblement national
Président du groupe d'opposition du Rassemblement national, Julien Odoul débute son propos en évoquant les enjeux d'attractivité pour la Bourgogne-Franche-Comté.
«On peut déplorer que pendant de nombreuses années, il y eut une grande passivité vis à vis de la SNCF. On vous demande depuis longtemps que les usagers soient respectés et que vous imposiez à la SNCF des pénalités compte tenu des retards», déclare-t-il, faisant de l'Yonne un «territoire emblématique de l'abandon de la Région».
«L'ouverture à la concurrence ne va rien apporter, (..) c'est un service qui va progressivement se dégrader», estime Julien Odoul. En fonction de quoi, le populiste annonce «ne pas pouvoir suivre» la demande de l'exécutif.
Claire Mallard déplore «des années de sous-investissement dans les infrastructures ferroviaires au profit du routier»
«La véritable concurrence [aux TER], c'est la route et l'avion», lance d'emblée Claire Mallard (EELV), présidente du groupe Écologistes et Solidaires qui participe à la majorité régionale. «Des années de sous-investissement dans les infrastructures ferroviaires au profit du routier fait qu'actuellement la France à un train de retard sur ses voisins européens.»
«Si vous envisagez de sortir prudemment et progressivement du monopole à partir de 2027 et d'engager un dialogue avec l'opérateur pour redonner de la respiration financière, l'enjeu pour notre groupe est de permettre à un maximum de Bourguignons-Francs-Comtois d'abandonner leur voiture pour se déplacer facilement en train», indique Claire Mallard qui se dit favorable aux négociations.
«Nous avons besoin d'un choc d'offre ferroviaire à moyens constants avec des trains ponctuels, fiables et en nombre suffisant avec notamment un train par heure et par sens, toute la journée et toute la semaine et des trains supplémentaires le week-end en heure de pointe», poursuit-elle. «Les tarifs doivent être accessibles et compréhensibles. (…) Les citoyens doivent être impliqués dans les projets structurants.»
L'écologiste appelle à «explorer la piste du réemploi [des trains]» et à «réserver les trains à hydrogène aux lignes non électrifiées».
Opposition des communistes
«C'est malheur de penser que l'ouverture à la concurrence va contribuer à réduire les coûts», lance Patrick Blin (PCF) au nom du groupe des Élus communistes et républicains qui participe à la majorité régionale. Le communiste déplore le «cheminots bashing».
Patrick Blin annonce un «vote contre» basé sur l'opposition de principe à l'ouverture à la concurrence.
Si le communiste se dit «demandeur de compensations financières pour la Région», il estime qu'avec les propositions de Claire Mallard «la négociation financière va être un peu plus compliquée».
«On ne peut pas faire du recyclage éternel de matériel», répond le communiste à l'adresse de Claire Mallard.
Constatant qu'elle n'obtiendra pas l'unanimité de sa majorité, Marie-Guite Dufay insiste : «nous pouvons invoquer l'intérêt général [pour rompre la convention] alors que l'année dernière nous ne pouvions pas».
«Je regrette que les alertes de l'époque n'aient pas été retenues», déclare Hicham Boujlilat
Élu indépendant, Hicham Boujlilat (PS) renvoie aux «problèmes» liés aux circulations Nevers-Dijon, notamment pour l'attractivité et l'orientation des futurs étudiants, et demande des réunions avec la SNCF. Le Neversois aborde également les trajets Cosne-Nevers.
«Nous avons besoin de comités de ligne de proximité pour pouvoir avoir les informations le plus en amont possible», estime le socialiste.
«Sur la convention, (…) ce rapport propose en partie ce que j'indiquais l'année dernière. (…) J'avais indique que techniquement déjà, ce n'était pas possible. Je regrette que les alertes de l'époque n'aient pas été retenues», poursuit-il.
«Nous n'avions pas de motif d'intérêt général pour rompre, là, nous en avons trois», insiste Marie-Guite Dufay qui renvoie au temps de parole. Après huit minutes d'intervention, Hicham Boujlilat ne conclut pas et quitte la salle avant le vote.
Loïc Niepceron demande «qui écrira le cahier des charges ?»
Président du groupe Notre Région par cœur, Jérôme Durain (PS) réfute la comparaison avec les autres Régions. «Vouloir rester dans la pureté chimique du monopole ou de la concurrence ne correspond pas à la réalité de ce que nous avons à gérer», déclare le socialiste à l'adresse tant des communistes que des libéraux.
«Il est vrai qu'il y a des poches de difficulté, (…) il faut traiter ces questions parce qu'elles sont cruciales pour les habitants de ces territoires, (…) pour la décarbonation des transports», concède Jérôme Durain.
Loïc Niepceron (PS) revient sur les problèmes de circulation : «on incite les citoyens à monter dans les trains mais on n'a pas les moyens après en avoir achetés un certain nombre».
«Il faut repenser le service public», estime le socialiste qui demande «qui écrira le cahier des charges de cette convention et à quelles conditions ce cahier des charges pourra-t-il être appliqué ?»
«C'est la Région, nous savons où nous voulons aller, nous savons où nous ne voulons plus aller», répond Marie-Guite Dufay.
«L'ouverture à la concurrence n'est pas l'abandon du service public», estime Céline Bähr
Au nom du groupe Union des républicains et du centre et écologistes indépendants, Céline Bähr demande sur quoi repose les critères de négociation et pourquoi l'exécutif envisage une ouverture à la concurrence «progressive».
«L'ouverture à la concurrence n'est pas l'abandon du service public, c'est la Région qui définit le cahier des charges», répond-elle à l'adresse des communistes.
«L'ouverture à la concurrence est un espoir pour des territoires comme l'Yonne», estime l'Icaunaise alors qu'«un train sur cinq arrive en retard dans le nord de l'Yonne».
«La concurrence peut être un formidable accélérateur de progrès», selon Marie-Guite Dufay
«La concurrence, ce n'est pas la privatisation, ça peut être un formidable accélérateur de progrès», rebondit Marie-Guite Dufay, «on a des délégations de service public».
«Il faut être pragmatique et non pas idéologique», réagit Jacques Grosperrin (LR). «Il faut vous suivre au lieu de s'abstenir», indique l'élu d'opposition, «pour pouvoir poursuivre cette négociation».
Depuis la majorité, Willy Bourgeois (PS) envoie un message d'«encouragement» mais regrette que des jeunes aient des difficultés à accéder aux tarifs négociés réservés à la vente en guichet plutôt qu'aux solutions numériques.
«Ce rapport c'est celui que j'aurais aimé pouvoir voter il y a un an», glisse Sylvain Mathieu (PS) qui se dit «socialiste» tout en étant «ouvert à l'économie de marché». En revanche sur les grands services structurants, (…) Je pense qu'on a besoin de grands services publics et des opérateur universels».
«Vous avez lancé Rail 2026 en confondant vitesse et précipitation», déclare Pascal Blaise
Pour le Rassemblement national, Pascal Blaise critique «l'entêtement» de l'exécutif à installer un centre de maintenance ferroviaire à Perrigny-lès-Dijon plutôt qu'à Laroche-Migennes. «La révision des [automoteurs grande capacité] n'est pas nouvelle», ajoute-t-il.
«Vous avez lancé Rail 2026 en confondant vitesse et précipitation», glisse le populiste à l'adresse de la présidente de la collectivité.
D'un côté, Pascal Blaise renvoie à des hausses de tarifs dans des pays où plusieurs opérateurs interviennent. De l'autre, il approuve le partenariat de service avec Gares & Connexions.
Pas de «quitus» de la part des communistes
Au moment de mettre ce rapport aux voix, 97 élus participent au vote. 75 sont favorables : le groupes conduits respectivement par Denis Thuriot, Gilles Platret, Claire Mallard et Jérôme Durain. Les 22 élus des groupes conduits par Julien Odoul et Muriel Ternant votent défavorablement.
«On croit au développement qui est conduit par la Région», commente Marie-Guite Dufay sans enthousiasme. «Je sais que, parmi mes alliés, il y a un sujet idéologique qui n'est pas nouveau ; nous avons fait alliance en mettant entre parenthèse le sujet de la concurrence».
In fine, la présidente de la collectivité regrette «malgré tout» de ne pas avoir reçu «un petit quitus pour ouvrir des négociations» de la part des communistes.
Jean-Christophe Tardivon