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22/03/2021 07:51

DECIZE : Le rectorat pris au mot de ses priorités pour les lycées ruraux

Enseignants, élèves et parents d'élèves se mobilisent pour défendre une classe de seconde du lycée Maurice Genevoix dont le maintien dépend d'un dispositif dérogatoire que le rectorat de l'académie de Dijon pourrait supprimer. La crainte «d'une spirale de baisse d'effectif» au sein du lycée rural a conduit à une manifestation à Decize, dans la Nièvre, ce samedi 20 mars.
Le lycée polyvalent Maurice Genevoix est vent debout contre les orientations du rectorat de l'académie de Dijon en ce qui le concerne. La menace de suppression d'une classe de seconde pourrait diminuer l'attractivité des sections sportives. Une filière qui recrute dans toute la Bourgogne.

Le 4 mars dernier, 40 enseignants sur 42 étaient en grève. Dans la semaine du 15 mars dernier, durant plusieurs jours, 150 élèves se sont mobilisés devant le lycée, sans bloquer l'entrée, pour relayer l'action de leurs professeurs. Le samedi 20 mars 2021, 300 personnes ont défilé dans les rues de Decize, petite ville de 5.000 habitants en bords de Loire. Une pétition compte déjà reçu plus de 800 soutiens.

Le lycée porte le nom d'un illustre académicien, né en 1890 à Decize. Militaire et écrivain, il a rassemblé plusieurs récits de guerre dans l'ouvrage intitulé «Ceux de 14». Pour honorer collectivement les combattants de la Grande Guerre, c'est Maurice Genevoix qu'Emmanuel Macron a choisit de faire entrer au Panthéon en novembre 2020. Dans son discours, le président de la République fit un hommage appuyé aux Poilus bien sûr mais aussi à la ruralité.

Les enseignants dénoncent les «mauvaises prévisions» du rectorat


Le 24 février dernier, les représentants des personnels, des parents d'élèves, des élèves et personnalité qualifié du conseil d'administration du lycée Maurice Genevoix ont déposé une motion pour demander une révision de la Dotation Horaire Globale (DHG) attribuée au lycée pour la rentrée de l'année scolaire 2021-2022.

Le lycée Maurice Genevoix compte 520 élèves et les enseignants présentent l'effectif comme «stable». Pour septembre 2021, le rectorat table sur quatre classes de seconde pour un effectif attendu de 141 élèves, soit 35 élèves par classe. «Effectif excessif pour faire travailler convenablement tous les élèves», selon les signataires de cette motion. Las, sans une cinquième classe de seconde, les enseignants considèrent qu'ils ne pourront constituer des «groupes satisfaisants».

Les enseignants sont échaudés : à la rentrée de l'année 2020-2021, le rectorat avait prévu 139 élèves quand 156 se sont présentés. «Cette mauvaise prévision nous avait déjà posé des problèmes pour accueillir des élèves en sections sportives», se souviennent-ils.

Le sport est une spécialité à Decize. Au point qu'une nouvelle section est prévue pour l'année 2021-2022 avec le rugby au programme. Le rugby est attractif dans la Nièvre, l'USON, équipe de Nevers, évolue dans le haut du tableau de la Pro D2, la deuxième division.

«Nous ne voulons pas entrer dans une spirale de baisse d'effectif»


Lors de la manifestation du 20 mars, «l'avenir du territoire» a été mis dans la balance. Dans un département subissant la désertification rurale, «le lycée de Decize ne perd pas d'élèves malgré le contexte démographique difficile», a déclaré Olivier Crouzet lors des prises de parole. L'attractivité des sections sportives compensant les départs des élèves du secteur.

La crainte d'une spirale négative est dans toutes les têtes : «cette année le rectorat prévoit 141 élèves de secondes en 4 classes. Quelle sera sa capacité d'accueil pour des élèves hors-secteur dans de telles conditions ? Si cela devait être maintenu, cela conduirait à des classes surchargées en seconde et fabriquerait une baisse des effectifs pour l'avenir. Par ce choix, c'est la dynamique de l'établissement qui se trouve attaquée et c'est inacceptable. Nous ne voulons pas entrer dans une spirale de baisse d'effectif qui conduira ensuite à remettre en cause nos spécialités, nos options qui permettent une ouverture culturelle et une variété d'études et de parcours».

Anticipant la manifestation, le rectorat a diffusé un communiqué le vendredi 19 mars dernier (lire ci-dessous). Alors que la rectrice évoque régulièrement la priorisation des lycées en zones rurales et disposant d'une spécialité attractive, la réponse évoque les atouts du lycée mais sans s'engager sur la cinquième classe de seconde.

Une réponse qui ne satisfait pas Olivier Crouzet qui voit là «un paradoxe qui cache une terrible réalité, les économies budgétaires prévales sur les besoins de la population». Les enseignants appellent donc à une nouvelle journée de mobilisation pour le mardi 23 mars.

«L'enseignement dérogatoire, ça permettait de passer le cap de la cinquième classe»


Enseignant en mathématiques au lycée Maurice Genevoix, Olivier Crouzet est secrétaire départemental du syndicat SNES-FSU. Pour Infos Dijon, il décrypte les enjeux de la mobilisation. Comme il a été signalé dans la motion, la rentrée de l'année 2020-2021 avait déjà été problématique. «Mais ils ne nous avaient pas enlevé les dispositifs dérogatoires qui permettaient la venue d'élèves hors secteurs et qui assuraient que les élèves pouvaient venir», rappelle Olivier Crouzet.

Effectivement, un lycée admet des élèves à partir d'un certain bassin de population. Dans certains cas, les options ou les spécialités permettent à des élèves d'être admis au sein d'un lycée différent de leur affectation prévue. Cela permet aussi à des établissements d'assurer la venue d'élèves hors-secteur pour développer une attractivité particulière. Ainsi, pour la Nièvre, la rectrice avait par le passé souligné l'intérêt de développer une section handball au sein du lycée Romain Rolland à Clamecy, autre zone rurale à la démographie fléchissante.

À Decize, le lycée Maurice Genevoix compte déjà des sections football, natation et raid-sports de pleine nature. Le rugby venant s'ajouter en septembre 2021. Le lycée est labellisé «Génération 2024» qui, pour accompagner les Jeux Olympiques de Paris 2024, vise à développer les passerelles entre le monde scolaire et le mouvement sportif pour encourager la pratique physique et sportive des jeunes.

«L'enseignement dérogatoire, ça permettait de passer le cap de la cinquième classe», explique Olivier Crouzet. Mais, l'année 2020-2021 préfigure la spécialité «Éducation physique, pratiques et culture sportives» (EPPCS). Il n'y aura que deux lycées dans l'académie de Dijon à proposer cette spécialité EPPCS.

Succédant à l'EPS, l'EPPCS envisage une approche variée de l’activité physique et du monde du sport avec des apports en physiologie, psychologie, économie et connaissances du monde sportif. L'évolution correspond à l'élargissement du périmètre du ministère puisque, en 2019, une réforme de l'organisation territoriale de l’État a rattaché les missions liées aux politiques de jeunesse, d’éducation populaire, de vie associative, de sport et d’engagement au ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse.

«Si les dispositifs dérogatoires disparaissent, la possibilité de recruter en seconde hors secteur disparaît en même temps. Si on n'a pas le vivier d'élèves en seconde, la première est remise en cause. Ils savent très bien que nos sections sportives vont s'étioler et ils pourront nous accuser d'avoir des baisses d'effectifs», résume le syndicaliste pour qui «soutenir les lycées ruraux, c'est permettre d'avoir un peu de souplesse de recrutement».

«Notre lycée ne coûte pas très cher»


«Notre lycée ne coûte pas très cher par élève car l'effectif en nombre d'élèves est suffisant», estime l'enseignant en mathématique qui calcule un coût «comparable à des lycées urbains». Si le lycée Maurice Genevoix ne peut plus accueillir des élèves venant au-delà de son secteur, «le coût par élève va augmenter tout en ayant un appauvrissement des propositions : moins d'élèves, on retire des classes, moins de moyens...»

«Si on nous laisse la possibilité de recruter, on peut avoir des effectifs permettant de faire tourner notre lycée convenablement dans le cadre des moyens actuels», assure Olivier Crouzet. Le secrétaire départemental du SNES-FSU interprète la réponse de l'autorité académique : «le rectorat décrit les évolutions de sections sportives sans en tirer les conséquence des capacités d'accueil. On ne sort pas du fait que nos sections sportives risquent de ne pas pouvoir accueillir. On va devoir dire non à beaucoup».

«On ne prétend pas que de notre secteur, il va y avoir 170 élèves qui vont arriver», poursuit Olivier Crouzet, «il faut nous laisser accueillir des élèves hors secteur et il n'y a pas du tout d'engagement du rectorat». L'enseignant estime que 15 élèves hors secteur pourraient venir au lycée Maurice Genevoix à la rentrée de septembre 2021, attirés par les sections sportives.

D'autres revendications


La cinquième classe de seconde ne constitue pas le seul grief à l'encontre de l'autorité académique. Les signataires de la motion demandent neuf heures de dotation horaire globale en plus de ce qui est prévu pour les sections générales et technologiques. Ils appellent à convertir 15 heures supplémentaires annuelles (HSA)  en postes pour ne pas être obligés de «multiplier les compléments de service dans le seul but de le respecter».

Spécifiquement dans la section professionnelle, le rectorat prévoyait de passer le taux de HSA de 10% à 16% (pour 90 élèves, les HSA passent de 24 à 40). Une augmentation des heures supplémentaires qui pourraient menacer un poste de maintenance, «vital pour le bac professionnel du lycée». Les auteurs de la motion demandaient donc la conversation des HSA en postes.

Sur ce point-là, une rencontre avec la DASEN de la Nièvre a permis une relative évolution comme l'explique Olivier Crouzet : l'augmentation du nombre de HSA serait ramenée de 16 à 6.

Ce n'est pas tout. La crise sanitaire perturbe le recrutement des apprentis en bac pro maintenance des embarcations nautiques, ils ont du mal à trouver des entreprises prêtes à les accueillir pour leur formation. Decize compte un port de plaisance, situé à la confluence du canal latéral à la Loire et du canal du Nivernais, prisé des touristes en saison estivale.

Les enseignants demandent donc au rectorat d'ouvrir ce bac pro en formation initiale afin de «pouvoir accueillir les élèves intéressés par cette formation et qui ne trouvent pas actuellement de contrats d'apprentissage».


Jean-Christophe Tardivon





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