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12/08/2024 18:54

ENVIRONNEMENT : Le célèbre botaniste Francis Hallé milite pour la reconstitution d'une forêt primaire en Europe de l'ouest

Le scientifique reconnu mondialement pour ses travaux sur l'écologie des forêts tropicales a présenté une conférence, ce mercredi 7 août, à Châteauvillain. La réserve intégrale du Parc national de forêts est vue comme un «prototype» de forêt primaire.
Le célèbre botaniste Francis Hallé a fait étape dans le Parc national de forêts pour en étudier la biodiversité et présenter une conférence. Âgé de 86 ans, il poursuit inlassablement son «Plaidoyer pour l'arbre», titre de son ouvrage le plus accessible, publié aux éditions Actes sud, en 2005.

Le scientifique est aussi connu pour avoir inventé le «radeau des cimes», une structure de 650 m² suffisamment légère pour être déposée par un dirigeable au sommet d'arbres et suffisamment solide pour accueillir quelques chercheurs étudiant la faune et la flore des forêts équatoriales.


Francis Hallé réalise un «profil forestier» dans le Parc national de forêts


Du 5 au 8 août 2024, des membres de l’Association Francis Hallé pour la forêt primaire ont séjourné dans le Parc national de forêts, premier parc français de forêts de feuillus de plaine, à cheval sur la Côte-d'Or et la Haute-Marne.

Avec son équipe et les personnels du parc, le botaniste a posé les bases d'un «profil forestier» : une étude d'une petite partie des 3.086 hectares de la réserve intégrale de la forêt d'Arc-Châteauvillain, située en Haute-Marne. Dans cette réserve, les végétaux sont laissés en libre évolution.

«Nos deux institutions se connaissent depuis longtemps, on a les mêmes objectifs de préserver les forêts naturelles à long terme», explique Emmanuel Torquebiau, membre fondateur de l'association et ancien chercheur en écologie tropicale ainsi qu'en foresterie. «Ils nous ont demande de voir comment illustrer la forêt dans la zone de la réserve intégrale et pour caractériser la forêt. (…) On a fait passer la méthode aux personnels du Parc national des forêts».

Pour réaliser ce transect botanique, tous les arbres d'un secteur de la forêt de de 100 mètres de long par 20 mètres de large ont été systématiquement identifiés, cartographiés puis dessinés de façon à pouvoir répéter l'opération tous les cinq ans afin d'appréhender leur développement.

Les dessins seront reportés sur un seul profil qui représentera «une image de la forêt» de la réserve intégrale. Ce profil sera prochainement exposé dans les portes du cœur du Parc national de forêts.

Le Parc national de forêts, «prototype» d'une potentielle forêt primaire en Europe de l'ouest


Le volet grand public de l'intervention de Francis Hallé a été constitué d'une conférence de vulgarisation scientifique sur le thème de la «comparaison entre les forêts d’Europe et les forêts tropicales», prononcée le mercredi 7 août 2024, à la salle des fêtes de Châteauvillain, devant près de 150 personnes.

«L’Association Francis Hallé pour la forêt primaire a pour objectif de contribuer quelque part en Europe à la renaissance d'une vraie forêt primaire, c'est à dire une forêt complètement en libre évolution pendant plusieurs siècles, sur une très grande surface», indique Emmanuel Torquebiau.

Pour réaliser cette «utopie», de premiers contacts ont été pris en Pologne mais les démarches ont été perturbées par les tensions régionales consécutives à la guerre entre l'Ukraine et la Russie.

Depuis, d'autres contacts ont été établis en Europe de l'ouest, portant sur des forêts domaniales des Ardennes et des Vosges du nord, respectivement en lien avec la Belgique et l'Allemagne.

Avec 53.000 hectares, le cœur du Parc national de forêts présente une superficie inférieure aux 70.000 hectares recherchés par Francis Hallé. Toutefois, Philippe Puydarrieux, directeur de l'établissement public, estime qu'il pourrait «constituer une sorte de prototype pour ce projet ambitieux» : «avec la réserve intégrale Arc-Châteauvillain, on a posé une première pierre de ce que pourrait être une forêt primaire».

Les différences entre les forêts tempérées et tropicales


«Quand on parle de forêt tropicale à des Européens, ils imaginent une forêt superlative», glisse Francis Hallé pour débuter sa conférence. L'orateur entend ainsi remettre en perspective les particularités des forêts tropicales et des forêts tempérées.

Les plus grands arbres du monde se trouvent sous des latitudes tempérées, comme le Séquoia de Californie ou encore les Eucalyptus du sud australien, dont les plus hauts sont tombés au XIXème siècle.

La biomasse des forêts, sous-bois compris, est pesée en tonne par hectare. Les forêts tempérées oscillent entre 1.000 et 2.000 t/ha tandis que les forêts tropicales avoisinent 500 t/ha.

«Un arbre qui tombe, un chablis, disparaît très vite en forêt tropicale, en un à deux ans car l'activité bactérienne dure toute l'année», explique le botaniste, tandis que cela peut prendre plusieurs années sous des latitudes tempérées.

Une des différences découle de l'absence de saison sous les tropiques. «Certaines vitesses de croissance sont impressionnantes», relève Francis Hallé qui s'enthousiasme devant la variabilité de la densité des arbres tropicaux, du balsa, très léger, à des bois qui coulent dans l'eau.

Quand des arbres ont des cernes chaque année dans les forêts tempérées, certains arbres tropicaux ont des cernes toutes les six semaines et d'autres tous les trois ans. Il est donc nécessaire de compter le pas de temps lié au développement de chaque arbre.

Des contraintes physiques versus des contraintes biologiques


Toutefois, pour le botaniste, la «vraie différence» entre forêts tempérées et forêts tropicales est à chercher du côté des contraintes subies par les végétaux.

Sous des latitudes tempérées, les principales contraintes qui pèsent sur les arbres sont physiques avec l'hiver – avec des jours courts, sombres et froids – ainsi que la sécheresse estivale et son corollaire, le risque d'incendie.

«Si les contraintes physiques augmentent, la biodiversité diminue», analyse Francis Hallé.

En revanche, «il n'y a pas de contraintes physiques dans les forêts tropicales» car «il fait chaud et humide toute l'année». Cependant, «il n'y a d'énormes contraintes biologiques» pesant sur la faune et la flore comme la prédation, le parasitisme ou encore la symbiose. Étonnamment, «quand elles augmentent, la biodiversité augmente».

«En forêt tempérée, on peut désigner une forêt par une espèce dominante», poursuit l'orateur, «ce qui n'est pas le cas dans les forêts tropicales». Ainsi, on recense 5 essences par hectare en moyenne en France métropolitaine contre 2.000 essences à l'hectare dans une forêt tropicale.

«En pays tropicaux, les exploitations conduisent directement à la destruction de la forêt»


Au cours de son intervention, Francis Hallé sensibilise le public, si besoin était, au drame de la déforestation. «Ici, les très bons forestiers – j'espère qu'il en existe encore – savaient exploiter un massif indéfiniment, génération après génération, sans le détruire», expose-t-il.

«En pays tropicaux, les exploitations conduisent directement à la destruction de la forêt», déplore-t-il car les sols restent infertiles ensuite. «Si on voulait éviter la destruction, il faudrait adopter le mode de vie des ethnies forestières : (…) leur prélèvement de bois est très modeste.»

Ainsi, le botaniste dénonce «le pillage des matières premières dans les pays tropicaux» car «c'est trop facile pour un coupeur de bois venu de l'étranger de faire fortune très rapidement dans une forêt primaire tropicale».

«Le recul rapide des forêts tropicales est vraiment un des problèmes de l'actualité ; c'est lié au manque d'intérêt des pays riches envers les pays tropicaux, on les méprise», estime Francis Hallé. «Pour ceux qui aiment la vie, il n'y a pas mieux sur la planète que les tropiques humides.»

L'orateur illustre son propos en présente des photographies de différents types d'arbres de forêts tropicales ainsi que le «dramatique» résultat de la déforestation : «la biodiversité terrestre disparaît sous nos yeux et on laisse faire».

«En tant que purificateur de l'atmosphère et générateur d'oxygène, un arbre est quelque chose d'irremplaçable», martèle l'écologue.

«Au Moyen-Âge, l'agroforesterie était habituelle en Europe»


Toutefois, «l'agroforesterie est une lueur d'espoir pour les tropiques», déclare Francis Hallé pour lancer les échanges avec le public, la plupart des participants étant à l'évidence passionnés par les sujets de l'agroforesterie et de la reconstitution d'une forêt primaire.

Interrogé par l'assistance, le botaniste confirme que le bocage traditionnel des campagnes françaises correspond à l'agroforesterie : «cela fait partie des cohabitations entre les cultures et les arbres». «Au Moyen-Âge, l'agroforesterie était habituelle en Europe, il en reste des traces en Espagne et en Corse».

«Tous les pays qui ont gardé des morceaux de forêt primaire s'en félicitent»


«À partir d'une forêt secondaire de 300 ans, il faut attendre 7 siècles pour obtenir l'équivalent d'une forêt primaire», explique l'orateur. Néanmoins, il n'est pas besoin d'attendre très longtemps pour que «le spectacle soit magnifique» : «au bout de deux ans, on pourra voir des animaux très facilement».

Francis Hallé milite donc pour comparer les retombées économiques respectives d'une forêt en exploitation et d'une forêt en libre évolution avec des espaces ouverts au tourisme vu comme «une économie émergente».

«Je considère qu'il y a un énorme travail de pédagogie à faire sur les avantages d'avoir la seule forêt primaire en Europe de l'ouest», insiste-t-il alors qu'il en existe aux États-Unis, au Japon ou encore en Argentine. «Tous les pays qui ont gardé des morceaux de forêt primaire s'en félicitent.»

Une association pour peser sur les pouvoirs publics


L’Association Francis Hallé pour la forêt primaire revendique environ 4.000 adhérents à ce jour et vise 6.000 membres pour faire pression sur les pouvoirs publics.

Le botaniste concède volontiers la dimension «utopique» du projet : «nous ne savons pas quel sera le climat dans cinq siècles, est-ce qu'il y aura encore l'Europe ?»

La conférence se termine par des échanges plus informels avec le public ainsi que par une séance de dédicaces.

Jean-Christophe Tardivon

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