
Le ministre de la Justice est venu «pourfendre» symboliquement Jordan Bardella, ce lundi 27 mai, en meeting à Beaune, soulignant «le changement de pied permanent» de Marine Le Pen.
«J'aime la Bourgogne et le bourgogne !» L'ancien ténor des barreaux, actuel ministre de la Justice, sait d'emblée se mettre une salle dans la poche. Éric Dupond-Moretti l'a démontré, ce lundi 27 mai 204, à Beaune, en participant à un meeting de soutien à la liste de la majorité présidentielle «Besoin d'Europe» conduite par Valérie Hayer (
lire notre article).
Par un premier propos pour saluer les députés devant lui qui ont voté les «augmentations historiques du budget» du ministère de la Justice, contrairement aux élus du Rassemblement national, l'orateur a donné le ton : cibler le parti de Marine Le Pen représenté notamment par Jordan Bardella à ses élections européennes.
«Comment on peut oublier le vaccin Sputnik et l'ivermectine ?»
«J'ai 63 ans et j'ai été sauvé par le vaccin», lance tout de go Éric Dupond-Moretti pour mieux railler «ce que proposait Madame Le Pen» face à l’épidémie de la COVID-19, c'est à dire «le vaccin Sputnik et l'ivermectine». «Comment on peut oublier cela ? On est dans de de l'irrationnel.»
À partir de quoi, le garde des Sceaux défend le bilan des eurodéputés Renew et le bilan d'Emmanuel Macron : «c'est grâce à Emmanuel Macron et à l'Europe si nous avons pu relancer la machine». «Nous sommes le pays le plus attractif du monde [en matière d'investissements étrangers], nous avons le taux de chômage des jeunes le plus bas depuis 40 ans. (…) Si on se replie, les autres aussi vont se replier. (…) Le repli sur soi, c'est la pire des catastrophes !»
Un temps décousu, le propos se fait plus resserré pour aborder un sujet de prédilection, la justice à l'échelle de l'Union européenne : le mandat d'arrêt européen étant vu comme un instrument qui a permis d'arrêter des terroristes dans un autre pays et les transférer en France en «deux mois au lieu de dix ans».
«L'Europe a permis de démanteler les deux plus gros narcotrafics qui menaçaient toute la zone euro», appuie-t-il concernant la criminalité organisée.
Éric Dupond-Moretti pointe les propos tenus par «la fachosphère» européenne
Revenant à l'actualité, Éric Dupond-Moretti se risque à citer des propos de représentants de «la fachosphère» réunis à Florence, le 3 décembre dernier : «le Polonais a dit qu'il regrettait que, en Europe, les femmes aient le droit de vote. Le Bulgare a dit que les Roms étaient des parasites et des vermines. L'Allemand a dit que les homosexuels étaient des baiseurs d'enfants. Le Belge a fait le salut nazi».
«Quand il a été interrogé par un journaliste de la presse française sur ce qui s'était dit – qui, peut-être, n'avait pas été exprimé depuis des décennies – Monsieur Bardella a dit qu'il ne comprenait pas les langues étrangères», fustige Éric Dupond-Moretti.
«Ils viennent de se séparer de l'AFD mais ils ont siégé avec eux, ces gens-là, c'est avec l'extrême-droite la plus dure, avec des néonazis revendiqués», poursuit-il.
Et le ministre de la Justice d'évoquer sa passe d'armes avec la Marine Le Pen, dans la nuit du 17 au 18 novembre 2023, lors de laquelle il l'appelait à «chasser de [ses] rangs les Gudards, les identitaires, les nazillons, les racistes, les antisémites» : «elle n'a toujours pas déposé sa plainte parce qu'elle avait peut que je donne publiquement la liste de ses propres amis».
«Valérie Hayer a obtenu de Monsieur Bardella l'aveu que Jean-Marie Le Pen était antisémite»
«Jordan Bardella est très proche d'un Monsieur qui s'appelle Châtillon», développe l'orateur, «il est au Parlement européen au travers d'une boîte qui s'appelle Unanime qui finance les activités du Rassemblement national à Strasbourg». «Dans Unanime, il y a une autre boîte, gérée depuis Rome, dont Monsieur Châtillon est un des patrons, cette boîte porte le nom d'Edda,
c'est le prénom de la fille de Benito Mussolini.»
«La dédiabolisation [du Rassemblement national], je n'y ai strictement jamais cru», résume Éric Dupond-Moretti qui déplore que «les plus jeunes de nos compatriotes, qui ont une espèce d'admiration pour l'icône Bardella, ne connaissent rien du parti dont il est issu». «La première qui a obtenu de Monsieur Bardella l'aveu que Jean-Marie Le Pen était antisémite, c'est notre Valérie à nous ! Il ne voulait pas le dire ; 19 condamnations pour antisémitisme, rien que ça.»
«En 2017, Madame Le Pen demandait aux Franco-Israéliens de choisir leur nationalité», insiste-t-il.
«Quand 3.000 migrants sont massés à la frontière polonaise, Monsieur Odoul a dit «on peut les laisser crever de froid», rapporte Éric Dupond-Moretti [NDLR : le 11 novembre 2021, interrogé sur BFM à propos de migrants butant sur la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, le journaliste demandant «il faut les laisser mourir de froid ?», Julien Odoul a répondu «bien sûr que oui»].
«Ils ont fêté l'anniversaire du Front national en cachette», reprend l'orateur, «mais les plus jeunes ne savent pas que ce parti a été fondé par un Waffen SS, aujourd'hui ils sont gaullistes [rires jaunes dans la salle]. Le père Le Pen allait se recueillir sur la tombe de Pétain à l'île d'Yeu et, elle, c'est à Colombey-les-Deux-Églises qu'on la retrouve. Tout ça est lunaire !»
«Notre pays, en aucune façon, ne mérite l'extrême-droite !»
Tout à sa diatribe, le tribun en vient à la campagne des européennes : «c'est le changement de pied permanent ! À la présidentielle, son programme est très clair, elle veut sortir de l'Europe et elle crée une nouvelle Europe avec la Russie. (…) On avait, à ce moment-là, le frexit très fier. Quand on vu la catastrophe que cela génère chez nos amis britannique, au point qu'ils sont amenés à demander à ce que des étrangers viennent. Il n'y a plus personne pour conduire leurs autobus, par exemple. Sur l'immigration, Madame Meloni allait tout régler. (…) Résultat : on va faire venir en Italie 500.000 étrangers parce qu'on en a besoin pour travailler. Mais, eux, pour le moment n'en sont pas là. L'étranger, c'est le délinquant par nature et par essence. (…) Madame Le Pen avait fini par dire qu'elle voterai le texte [asile et immigration] et, la veille, Monsieur Bardella dit qu'il ne le voterait pas [au Parlement européen]. La ligne politique de ce parti est absolument incompréhensible. Sur le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, il est voté par le Rassemblement national et, quelques heures après, Monsieur Bardella dit que ce n'est pas le moment de le voter.»
«Le RN a gagné les dernières élections européennes : ils ont fait 21 amendements en 5 ans, aucune proposition, aucun rapport, rien de rien», tacle-t-il, «sur le plan national, c'est un peu la même chose ; (…) en cinq ans, est-ce que vous pouvez me citer une proposition de loi du Rassemblement national ? [silence dans la salle]»
«Quand on regarde les propositions qui sont les nôtres, si vous attendez un petit peu, Madame Le Pen sera d'accord avec vous. Ça virevolte tellement, c'est ça la force du populisme», prophétise le ministre.
«Ils sont d'un cynisme total, (…) ce sont des rentiers de la peur, (…) ils disent ce que les gens ont envie d'entendre», assène Éric Dupond-Moretti qui préfère se revendiquer d'«une ligne ferme sans démagogie» et d'«un humanisme sans angélisme». Et de conclure : «notre pays, en aucune façon, ne mérite l'extrême-droite !»
Jean-Christophe Tardivon