Cérémonie pour les 50 ans du discours de Simone VEIL consacré à l’IVG
Assemblée nationale – mardi 26 novembre 2024
Discours de Didier Migaud, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
Madame la présidente de l’Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames les présidentes des délégations aux droits des femmes,
Mesdames et Messieurs les députés,
Mesdames, Messieurs,
Je
suis à la fois honoré et ému de m’exprimer ici, à l’Assemblée nationale
où, il y a 50 ans jour pour jour, intervenait Simone Veil pour défendre
le projet de loi légalisant l’avortement.
Je vous remercie,
madame la présidente, de me donner cette occasion de saluer le courage
politique, la fine stratégie et le résultat historique de ce rude combat
gagné en 1975 par la ministre de la santé, lors de l’adoption de son
texte par 284 voix « pour » et 189 « contre », dans une Assemblée
nationale qui comptait neuf femmes sur 490 députés.
Un discours
remarquable à plusieurs égards : par son caractère transpartisan, par la
conviction forte sur laquelle il s’appuie, par le sens politique très
aiguisé dont il atteste et par l’écoute qu’il révèle de la parole des
femmes et des évolutions de la société.
Le 26 novembre 1974, le moment était venu et il a été saisi.
Simone
Veil n’était pas une féministe revendiquée, comme elle l’affirmait
elle-même. Elle a néanmoins réussi, en dépit ou grâce à cela, à emporter
ce vote historique sur une cause portée d’abord par le MLF, par Simone
de Beauvoir et Gisèle Halimi. Car, rappelons-le, le « Manifeste des
343 » lancé par « l’autre » Simone (de Beauvoir) ou les procès de
Bobigny, plaidés avec talent par Gisèle Halimi, avaient déjà ouvert le
débat public, si ce n’est les cœurs et les esprits. Ils avaient ouvert
les yeux sur cette profonde injustice qui consistait à poursuivre et à
condamner les femmes qui n’avaient d’autre choix que de procéder à des
avortements illégaux, au risque de leur vie. Leurs combats ont été
déterminants pour faire progresser la cause des femmes.
Pourtant,
Simone Veil a compris qu’elle devait se démarquer des féministes pour
emporter le vote des députés, très majoritairement des hommes, peu
enclins à soutenir les luttes d’émancipation féminine. Loin de moi
l’idée de minorer l’importance de ces luttes et encore moins de ce
qu’elles ont apporté à notre société mais, de fait, en 1974, dans
l’hémicycle, les mentalités n’étaient pas prêtes à entendre ce discours
légitime. C’est ce que Simone Veil avait bien compris, en femme de
compromis et de consensus, et c’est ainsi qu’elle a pu poser la pierre
angulaire de l’édifice juridique sur l’interruption volontaire de
grossesse.
Certes pour cinq ans, en plaidant l’aspect social et
médical, et en faisant preuve d’une humilité rassurante. Mais, ce
faisant, elle réussissait à ouvrir la porte, à tracer la voie qui a
conduit presque 50 ans plus tard, le 8 mars dernier, à la promulgation
de la loi de constitutionnalisation de l’IVG. Grâce à elle, grâce à
Simone Veil, qui repose désormais au Panthéon, grâce au combat des
féministes, nous sommes parvenus à construire une forteresse solide pour
protéger un droit si fragile et pourtant essentiel, un droit remis en
question y compris dans de grandes démocraties : le droit, pour les
femmes, à disposer de leur corps.
En 2024, l’objectif était,
cette fois, clairement affiché, signe certain d’une grande évolution des
mentalités : sanctuariser cette liberté fondamentale. « La loi
détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à
la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse » :
c’est le texte voté en Congrès à Versailles par 780 voix « pour »,
émanant de tous les bords politiques, 72 voix « contre » et 50
abstentions.
Madame la présidente, j’imagine l’émotion qui a dû
être la vôtre lors de l’annonce des résultats du vote du Congrès, quand
la France devenait, en ce 4 mars 2024, le premier pays au monde à
inscrire explicitement le droit à l’avortement dans sa Constitution.
Le
Président de la République a prononcé cette phrase lors du scellement
du texte place Vendôme, devant un millier de personnes : « Le sceau de
la République scelle en ce jour un long combat pour la liberté ». C’est
dans ce long combat que s’inscrit la figure historique de Simone Veil,
femme politique, femme de paix et très grande dame. Cette liberté est à
présent protégée par le juge constitutionnel et par notre Parlement.
Certes,
il reste beaucoup à faire lorsqu’on soutient la cause des femmes, parce
que les femmes sont encore très souvent, trop souvent, victimes de
violences physiques, psychologiques, économiques, sexistes et sexuelles.
Nous devons continuer à lutter ardemment contre ce fléau qui touche la moitié de l’humanité et cause des souffrances indicibles.
Parce
que la Justice protège, parce qu’elle condamne, parce qu’elle est au
cœur de l’Etat de droit, mon ministère prendra toute sa part dans ce
combat et j’espère, là aussi, que nous pourrons accomplir de nouveaux
progrès sociaux grâce à un travail transpartisan, porté par des femmes
et des hommes convaincus de la nécessité de soutenir haut et fort la
cause des femmes. Je le dis sans ambages : si l’on veut atteindre
l’égalité, le XXIe siècle ne peut plus, ne doit plus, être celui de la
domination de l’homme sur la femme.
En cette journée de commémoration du discours historique de Simone Veil, affirmer cela me paraît essentiel.
Je vous remercie.