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31/03/2024 11:26
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MOBILITÉS : Serre vivante demande le retrait de l’autorisation d'exploitation de l'aéroport de Dole-Jura

Hostile aux déplacements en avion, l'association environnementaliste saisit le tribunal administratif de Besançon en s'appuyant sur l'état de la piste qui nécessiterait des travaux de mise en conformité.
Communiqué de Serre vivante du 30 mars 2024 :

Serre Vivante, association de protection de la nature, a déposé auprès du tribunal administratif de Besançon une requête à l'encontre de la décision de la Direction de la Sécurité de l'Aviation Civile Nord Est autorisant la société EDEIS à exploiter l'aérodrome de Dole-Tavaux N° CSA F DSAC/NE 001-2020. Ce document n’aurait jamais du être validé au regard de la situation de la piste, par respect pour les usagers du service proposé …

Si la planète absorbe une grande quantité de CO2, principalement via les forêts et les océans, cela ne permet plus depuis plusieurs décennies déjà de compenser les gaz à effet de serre émis par les activités humaines qui déséquilibrent le cycle naturel du carbone…  L’emballement du changement climatique, l’inaction malgré les alertes de nos scientifiques, font qu’il est sans doute bientôt trop tard pour organiser la transition et qu’il devient urgent de bifurquer !


Prendre l’avion est l’une des activités les plus polluantes : les émissions d’un seul vol, pour un passager, dépassent ce qu’émet une majorité d’humains en un an, toutes activités confondues. Voler n’est pas compatible avec un mode de vie bas carbone.

Beaucoup de nos décideurs publics cherchent (encore) à (se) convaincre de la prétendue nécessitée de développer la desserte aéronautique d’une région qu’ils considèrent comme « enclavée ». Le ton est donné : la desserte aérienne de la petite ville de Dole est considérée comme « vitale ».

En quoi les liaisons aériennes opérées depuis Tavaux, essentiellement vers Porto ou Marrakech, seraient-elles indispensables au développement économique et à la création d’emplois en Bourgogne Franche-Comté ? L’absence de desserte aérienne compromettrait la compétitivité des entreprises qui y sont installées ? C’est oublier qu’à part les îliens, tous les habitants de France métropolitaine ont un accès direct à l’ensemble du réseau routier national dont la longueur totale dépasse le million de kilomètres et, via ce réseau, aux autres modes de transport, ferroviaires et aériens. La densité du réseau routier français qui atteint près de 2 km de route par km2, est supérieure à celle de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie ou du Royaume-Uni. Plus de 93% de la population se trouve à moins de deux heures d’un aéroport connecté à au moins un hub intercontinental : à l’heure du TGV et du réchauffement climatique, peut-on raisonnablement vouloir un aéroport à sa porte, pour tout le monde ?

Face à l’urgence climatique et à l’érosion sans précédent de la biodiversité du fait des activités humaines, il revient aux associations de protection de la nature et de l’environnement d’assumer leur responsabilité de lanceurs d’alertes pour tenter de préserver la santé et les conditions de vie de tous.

Faits et arguments

Le Conseil Départemental du Jura est propriétaire de l'aérodrome de Dole-Tavaux depuis son transfert par l’État en 2007. La société EDEIS gère cette infrastructure dans le cadre d'une délégation de service public depuis le 1er Janvier 2020.

La direction de la sécurité de l’aviation civile (DSAC) a la charge de veiller au respect des dispositions législatives et réglementaires tant au niveau national qu’international. Sa décision du 1er août 2022 relative aux aérodromes entrant dans le champ d’application du règlement (UE) 2018/1139 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2018 concernant des règles communes dans le domaine de l'aviation civile et instituant une Agence de l'Union européenne pour la sécurité aérienne indique que la plateforme de Dole Tavaux est certifiée conforme aux prescriptions de l’UE au 28 novembre 2017.

Lors de la séance plénière du Département du Jura le 13 décembre 2021, M. Dominique Chalumeau (élu rapporteur chargé de présenter la délibération sur l’aéroport) précise qu’un diagnostic piste a été effectué courant 2020. Il informe l’assemblée que « les études de faisabilité et de programmation confiée au cabinet Iris Conseil, diligentée courant juin 2021, sont venues [confirmer que] les exigences liées à la certification européenne de la plateforme imposent, en cas de travaux importants, de lever certaines non-conformités liées aux pentes de la piste, mais également au taxiway. … la mise en conformité des pentes nécessite dorénavant d'intervenir sur une largeur de piste de 45 mètres et une longueur de 1900 mètres tout en relevant l'axe de piste. ». M. Chalumeau évoque également « la nécessité de prévoir le remplacement du balisage nocturne de la piste dont la fiabilité fait de plus en plus souvent défaut, au point de menacer l'exploitation ».

Le rapport du cabinet IRIS cité indique page 4 que « l’apparition de dégradations diverses à la surface de la chaussée dans le courant de l’hiver 2018-2019 » est à l’origine du projet du département de réfection de la piste (2230 m de long par 45 m de large) et du taxiway Charlie (650 m), donc avant même le transfert de la gestion de l’équipement à la société EDEIS le 1 janvier 2020. En page 7, ce rapport évoque le fait qu’« une étude de diagnostic des chaussées de l’aéroport de Dole Jura a été menée par le groupe NextRoad depuis Juin 2019 » et affirme que « D’après l’étude de diagnostic de la piste et du taxiway Charlie, des non-conformités géométriques et structurelles ont été relevées… La piste de Dole Jura étant en code 4D, celui-ci doit présenter des pentes suffisantes pour assurer l'évacuation des eaux de pluie, dans le double but d'éviter les phénomènes de glissance, et d'hydroplanage et de limiter la percolation d'eau dans le corps de piste : les valeurs de pentes transversales de la piste sont inférieures au minimum de 1% requis par la CS ADR-DSN.B.080. Les pentes transversales de la voie de circulation Charlie et sa bande aménagée sont-elles, supérieures aux valeurs maximales fixées par la réglementation et il en résulte donc un risque accru de sortie latérale lors de la circulation sur cette voie notamment en cas de conditions météorologiques difficiles pour l'aéronef. »

Parce qu’il semble avéré que l’état des équipements ne puisse autoriser la poursuite de l’exploitation dans des conditions de sécurité satisfaisantes et que le projet de réfection ne soit pas financé, en février 2022 nous avons demandé à M. Alexis CLINET, chef de division Aéroports et Navigation Aérienne à la DSAC Nord-Est, des précisions concernant les modalités de dérogation à la pleine conformité aux divers critères de délivrance ainsi que les règles indiquant les délais tolérés pour mise en conformité et/ou les prescriptions de vigilance particulières à mettre en œuvre pour assurer la sécurité des usagers, en particulier concernant les vols réguliers opérés par la compagnie Ryanair et divers charters.

En l’absence de réponse de l’administration, la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) a été Sollicitée. Dans son avis n° 20236486 rendu le 25 janvier 2024 celle-ci confirme que les documents demandés sont communicables à toute personne qui en fait la demande en application de l'article L311-1 du code des relations entre le public et l'administration. Suite à cette démarche, la Direction de la sécurité de l’Aviation civile Nord-Est a transmis copie du Certificat de sécurité aéroportuaire (CSA) délivré à EDEIS Aéroport DOLE JURA en application du règlement (UE) n°139/2014. Ce document de référence CSA F DSAC-NE 001-2020, signé par M. Christian MARTY, directeur de la sécurité de l'aviation civile nord-est, est daté du 20 décembre 2019, soit près d’un an après qu’aient été diagnostiquées les dégradations importantes de la piste et sa non-conformité à la réglementation européenne relative à la sécurité.

La DSAC Nord-Est n’a transmis à ce jour aucun rapport d'inspection sécurité de la piste et des installations de la plateforme de Dole-Tavaux postérieur à la date de délivrance de ce certificat CSA F DSAC-NE 001-2020 dont le public ne pouvait connaitre l’existence puisque la décision de la Direction de la sécurité de l’aviation civile du 25 juillet 2023 relative aux aérodromes entrant dans le champ d’application du règlement (UE) 2018/1139, seul document accessible au public, confirme comme certificat de référence celui daté du 28 novembre 2017 en son annexe I.

Au 20 décembre 2019, la DSAC NE, administration en charge de la sécurité de la plateforme, pas plus que son propriétaire, le Département du Jura, ne pouvaient pourtant ignorer la situation de la piste, déjà fort détériorée lors du transfert de propriété par l’État en 2007. Le journal satirique jurassien « le Dindon Enchainé » mentionne en effet dans son n°15 la remise à M. Jean RAQUIN, président du conseil général du Jura en exercice le 29 mai 2008, d’un rapport rédigé par la société Conseils Air Transport Sud, cabinet spécialisé dans le conseil, l'ingénierie et l'assistance dans le transport aérien, l'exploitation et la gestion. Cette « étude de positionnement et de développement de la plate-forme aéroportuaire » attire clairement l’attention sur les défauts de la piste. Le diagnostic confirme la présence de nombreuses fissures ainsi que des zones de stagnation d’eau.

Ce mauvais état conduit le conseil général à délibérer le 28 mai 2010. On apprend qu'un audit, réalisé en 2007, avait déjà mis en évidence de nombreuses fissures et que des déformations avaient également été observées dans les passages de roues des avions provoquant des retenues d'eau en période de pluie.

Dans son Rapport public annuel 2015 (publié en février 2015) la Cour des Comptes interpelait la collectivité départementale sur sa gestion de la plateforme. En réponse aux observations formulées, le président affirmait page 427 au sujet de l’état de la piste : « à la suite d'un audit réalisé en 2007, par le Laboratoire des Ponts et Chaussées d'Autun, il avait été constaté que « les chaussées étaient très fissurées, que compte tenu de l'absence d'étanchéité les infiltrations des eaux affaiblissaient la structure de la piste et la dégradaient avec le temps. Par ailleurs, des déformations avaient été observées dans les passages de roues, qui engendraient des retenues d'eau en période de pluie. La réfection de la couche de roulement était aussi l'occasion de reprofiler la surface et donc d'empêcher l'aggravation de ce phénomène qui pouvait se traduire par un risque d'aquaplanage pour de petits avions ». Compte tenu de son état les travaux s'avéraient indispensable en raison de la mise en danger de la vie des pilotes.

Entre 2008 et 2023, le Département qui a mobilisé plus de 38 millions d’euros pour Dole-Tavaux (dont seulement 8 millions d’euros en investissements) n’a pas réalisé la mise en conformité sécurité.

Le cabinet IRIS proposait à la collectivité départementale d’engager les travaux de réfection de la piste dès l’automne 2021 afin d’obtenir un nouveau certificat de conformité auprès de la DSAC NE en septembre 2023. À ce jour, le département n’a pas encore engagé la procédure ... et les seuls travaux annoncés dernièrement en février 2024 au public concernent la rénovation de l’aérogare. Cette communication affiche une amélioration des conditions d’accueil des passagers sans aucune mise en garde sur les risques induits par le non-respect de la réglementation sécurité.

La délibération du Département du Jura CD_2023_035 du 07 juillet 2023, présente l’aéroport Dole-Jura comme « la seule et unique plateforme du territoire de Bourgogne Franche-Comté à être certifiée UE et à être habilitée à accueillir des vols commerciaux réguliers, y compris dans des conditions météorologiques dégradées », masquant une fois de plus la réalité de l’état dégradé et la non-conformité de la piste.

De l’intérêt à agir

Prendre l’avion est l’une des activités les plus polluantes : les émissions d’un seul vol, pour un passager, dépassent ce qu’émet une majorité d’humains en un an, toutes activités confondues. Voler n’est pas compatible avec un mode de vie bas carbone.  L’autorisation accordée par la DSAC a permis le maintien à Tavaux d’une activité aéronautique à un niveau élevé, la plateforme produisant chaque année une quantité de gaz à effet de serre estimée à quelques 7 000 tonnes de CO2, sans prendre en considération les traînées de condensation qui ont des effets non-CO2 et participent autant au réchauffement du climat que le CO2 émis par les avions.

Agissant sur le Pays dolois, Serre Vivante a pour but la protection de l'environnement et du cadre de vie. Ses statuts stipulent que « l'association se réserve le droit d'exercer toute action auprès de toute juridiction … Le Président représente l'association dans tous les actes de la vie civile et judiciaire ». Par son adhésion à la fédération Jura Nature Environnement, elle est membre de France Nature Environnement (FNE), fédération nationale des associations de protection de la nature et de l’environnement, reconnue d’utilité publique et agréée au titre de l’article L. 141-1 du Code de l’environnement.

La loi du 1er juillet 1901 confère aux associations de protection de la nature et de l’environnement la capacité juridique (articles 2, 5 et 6). La loi relative à la protection de la nature du 10 juillet 1976 a prévu des dispositions spécifiques pour l’action en justice des APNE. L’article L. 142-1 du code de l’environnement, codifiant l’article 40 de cette loi, prévoit que « toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci ». Pour étayer sa décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020 le Conseil Constitutionnel indique que la protection de la santé est un objectif de valeur constitutionnelle résultant du Préambule de la Constitution de 1946. Il s'appuie également sur le préambule de la Charte de l'environnement : « l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel (...) l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains (...) la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation … afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». La protection de l'environnement constitue donc aussi un objectif de valeur constitutionnelle. En conséquence il est nécessaire d’assurer la conciliation de ces deux objectifs avec l'exercice de la liberté d'entreprendre que peut invoquer l’exploitant de l’aéroport. Le Conseil d’État consacre dernièrement une nouvelle liberté fondamentale : « Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » (CE, 20 septembre 2022, n°451129)

Conclusion

Si heureusement aucun accident n’est à déplorer, depuis 2019 aucun travaux de réfection de la piste visant une mise en conformité n’a été entrepris et aucune prescription de prudence, en particulier en cas de conditions météorologiques dégradées, comme le déroutement des avions vers un aéroport voisin (Lyon, Bâle-Mulhouse ou Genève) n’a été imposé. La compagnie Ryanair opère toujours plusieurs rotations hebdomadaires depuis Dole Tavaux ...

Si l’administration a une grande liberté ; néanmoins elle ne peut permettre à un exploitant d’agir en situation de mise en danger de la vie d’autrui. Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est qualifié de délit par le Code pénal. La DSAC NE semble ici méconnaitre son obligation particulière de prudence ou de sécurité en n’appliquant pas les règles découlant du règlement (UE) 2018/1139. Comme montré précédemment, les divers cabinets d’études conseils du Département du Jura indique que cette violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi expose directement les voyageurs usagers de l’aéroport à un risque d’accident en cas de conditions météorologiques dégradées …

Cette décision porteuse de risque pour autrui est manifestement délibérée puisqu’on ne peut pas imaginer que les services en charges de l’inspection de l’installation aéroportuaire aient pu méconnaitre l’altération de la piste et sa non-conformité à la réglementation européenne relative à la sécurité aérienne au regard des multiples sources mentionnées.

Devant l’erreur manifeste d’appréciation commise par l’administration en accordant le certificat de sécurité aéroportuaire, l’association Serre Vivante demande au tribunal d’annuler la décision injustifiée et de déclarer la décision de la DSAC Nord Est autorisant la société EDEIS à exploiter l'aérodrome de DOLE TAVAUX N° CSA F DSAC/NE 001-2020 nulle et non avenue et par précaution la suspension des vols commerciaux en l’attente de l’achèvement des travaux de mise en conformité de la piste.

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