Le 7 juillet dernier, en nombre de députés, le Rassemblement national a connu une défaite en trompe-l’œil, le Nouveau Front populaire un succès dû aux désistements tandis que le camp d'Emmanuel Macron évitait la déroute. La difficulté à trouver une majorité pourrait conduire à une mandature de transition.
La «clarification» attendra. Le 9 juin dernier, en usant de son pouvoir de dissoudre l'Assemblée nationale, le président de la République a surpris bon nombre de Français, élus et commentateurs inclus. Pourtant, la menace d'une dissolution avait été régulièrement brandie depuis que la majorité présidentielle était devenue relative en 2022.
Conscient de son impopularité, presque aussi forte que du temps des Gilets jaunes, le président de la République semble avoir voulu devancer le dégagisme et canaliser ce mécontentement dans une expression démocratique.
S'affairant à recomposer la vie politique qui reste marquée par le clivage droite-gauche, Emmanuel Macron fait donc de la dissolution un instrument plutôt qu'un aboutissement avec l'objectif de préparer le terrain d'ici la prochaine présidentielle.
Dans une logique de processus en cours, se pencher sur le nombre de voix que les différents camps ont mobilisé permet de dégager les dynamiques qui s'exprimeront dans les prochains scrutins.
Le nombre d'électeurs réguliers du Rassemblement national progresse
Le Rassemblement national a récolté 7,6 millions de voix au premier tour de la présidentielle de 2017, 8,1 millions de voix au premier tour de la présidentielle de 2022, 4,2 millions de voix au premier tour des législatives de 2022, 7,8 millions de voix aux européennes puis 10,6 et 10,1 millions de voix aux premier et second tour des législatives anticipées.
Élections après élections, la capacité de mobilisation du parti national-populiste augmente, par pallier articulé sur les présidentielles. La confirmation de Jordan Bardella comme président du parti puis comme Premier ministre potentiel permet désormais de drainer massivement un électorat qui se mobilisait avant tout pour Marine Le Pen et donc de peser lors des élections intermédiaires.
Le camp d'Emmanuel Macron résiste
Parallèlement, le camp d'Emmanuel Macron a recensé 8,7 millions de voix au premier tour de la présidentielle de 2017, 9,8 millions de voix au premier tour de la présidentielle de 2022, 5,9 millions de voix au premier tour des législatives de 2022, 3,6 millions de voix aux européennes, 6,4 et 6,3 millions de voix aux premier et second tour des législatives anticipées.
Le «bloc central» a perdu de sa superbe sans pour autant s’effondrer au gré du «sursaut» démocratique attendu des électeurs durant les élections législatives anticipées. Clin d’œil de l'histoire, son étiage actuel correspond à peu près au niveau de l'UDF aux législatives de 1978.
La France insoumise plafonne
La France insoumise apparaît comme le parti qui plafonne en dehors de l'élection présidentielle : 7,1 millions de voix au premier tour de la présidentielle de 2017, 7,7 millions de voix au premier tour de la présidentielle de 2022, 3,1 millions de voix au premier tour des législatives de 2022, 2,4 millions de voix aux européennes, 4,5 millions de voix au premier tour des législatives anticipées.
Dans ce contexte, au premier tour des élections législatives anticipées, les Écologistes (ex-EELV) ont récolté 1,3 million de voix, le Parti socialiste 1,2 million de voix et le Parti communiste français 750.000 voix.
Le RN, premier parti de France
En nombre de voix, depuis les élections européennes, confirmées par les législatives, le Rassemblement national est devenu le premier parti de France avec environ 10 millions d'électeurs réguliers, suivi du camp d'Emmanuel Macron avec plus de 6 millions de voix puis de La France insoumise qui oscille autour 5 millions de voix.
Seule une coalition permet aux partis s'inscrivant à gauche de rivaliser avec le Rassemblement national. Ainsi, la NUPES a totalisé 5,8 millions de voix au premier tour en 2022 et le Nouveau Front populaire 9 millions de voix au premier tour en 2024.
Puisque la participation à ces législatives a été jugée «digne d'une présidentielle», les résultats sont pertinents pour envisager l'élection du chef de l’État, d'autant plus dans une logique de confrontation de «bloc» ou de coalitions.
Ils permettent de constater que le «front républicain» fonctionne encore et que la partie serait loin d'être gagnée pour Marine Le Pen même si – sauf accident judiciaire – la qualification pour le second tour paraît très probable. La bataille sera d'autant plus rude pour désigner son challenger.
Le Nouveau Front populaire, une nécessité
Pour revenir aux législatives, au vu de ces données, la nécessité d'un accord électoral de type NUPES et Nouveau Front populaire apparaît d'autant plus évidente pour La France insoumise. Si les discours de Jean-Luc Mélenchon mobilisent dans le cadre d'une présidentielle, il n'en va pas de même aux autres élections, les européennes l'ont démontré.
De la même façon, un tel accord est une question de survie politique – y compris pour la gestion du budget d'un parti puisque le financement public est principalement fonction du nombre de parlementaires – pour les Écologistes, le PS et le PCF.
Les Républicains s'érodent sans s'effondrer
Reste les Républicains qui ne se sont jamais vraiment remis de l'«affaire Fillon» survenue en 2017 et qui ont été marqués par une nouvelle secousse avec le rapprochement effectué par leur président Éric Ciotti auprès du RN.
Le parti héritier du gaullisme est passé de 3,5 millions de voix au premier tour des législatives de 2017 à 2,1 millions de voix le 30 juin dernier. Les candidats soutenus par Éric Ciotti ont totalisé 1,3 millions de voix.
Pouvant toujours compter sur le vivier d'élus locaux pour mobiliser, les Républicains voient leur électorat s'éroder sans s'effondrer aux élections intermédiaires. En revanche, cela obère leur capacité à gagner des députés.
La nouvelle composition de l'Assemblée nationale
Pour cette XVIIème législature qui s'ouvrira le 18 juillet prochain, l'Assemblée nationale voit arriver 125 députés du Rassemblement national (+36 par rapport à la mandature précédente), 17 partisans d'Éric Ciotti (création), 74 La France insoumise (+5), 59 Parti socialiste (+31), 28 écologistes (+13), 9 Parti communiste français (-3), 5 Générations (+1), 102 Renaissance (-48), 33 Modem (-13), 25 Horizons (-2), 3 UDI (stable), 39 des Républicains (-22), 27 divers droite (+17), 12 divers gauche (-10), 9 régionalistes (-1), 6 Horizons hors Ensemble (création) et quelques autres députés de diverses étiquettes.
Les députés ont jusqu'au 17 juillet pour confirmer leur attachement à un groupe parlementaire.
Avec +40% de députés, le RN doit constater une «défaite»
Alors que les instituts de sondage ont remarquablement anticipé le résultat des européennes – constituées d'un seul tour à la proportionnelle –, l'appréhension du second tour des législatives anticipées relève de la catastrophe industrielle.
Les premières projections en sièges laissaient supposer qu'une majorité absolue pour le RN était possible, ce qui a orienté la campagne notamment autour de cet enjeu.
En regard de cette possibilité, le résultat du RN est apparu en deçà des estimations ce qui a conduit Jordan Bardella, bon gré, mal gré, à reconnaître une «défaite».
Pourtant, le RN a gagné 3 millions de voix depuis la présidentielle de 2017 et il voit son nombre de députés bondir de 40% entre 2022 et 2024. De surcroît, il se renforce d'alliés – les partisans d’Éric Ciotti – portant à 143 le nombre de députés du camp nationaliste.
Le succès du Nouveau Front populaire
Inversement, la rapidité avec laquelle l'accord a été trouvé, la dynamique créée et les remarquables reports de voix suite aux désistements dans le cadre du «front républicain» contre le RN ont conduit à parler de «victoire» pour le Nouveau Front populaire qui n'a pourtant pas atteint la majorité absolue.
Le futur intergroupe compte désormais 182 députés quand la NUPES en recensait initialement 151 (+20% de députés entre 2022 et 2024).
Tout l'enjeu pour transformer ce succès du Nouveau Front populaire sera de constituer un intergroupe plus solide que celui de la NUPES et, surtout, de limiter les défections en vue du choix des candidats potentiels à l'élection présidentielle.
Le camp présidentiel en pivot
Au gré du «sursaut» démocratique, le camp présidentiel atténue l'ampleur de la défaite, évitant ainsi la déroute. Entre 2022 et 2024, la coalition Ensemble passe de 250 à 168 députés (-33%).
Les pertes les plus importantes se retrouvent chez Renaissance en raison des désistements pour le second tour. Le Modem et Horizons souffrent moindrement.
Avec 182 députés du Nouveau Front populaire, 168 du camp présidentiel et 143 du camp nationaliste, aucune majorité à même de soutenir durablement un gouvernement ne se dessine de prime abord.
Les partisans d'Emmanuel Macron apparaissent comme un groupe-pivot et la quarantaine de députés des Républicains pourraient être courtisés individuellement pour constituer des appoints précieux.
Vers l'élection permanente
À quelques encablures d'une nouvelle séquence électorale enchaînant les municipales et présidentielle, il sera particulièrement délicat pour le président de la République de s'assurer le soutien d'une majorité parlementaire et d'un gouvernement.
Auquel cas, les Français pourraient se retrouver à retourner aux urnes dès 2025 dans une logique d'élection permanente liée à l'instauration du quinquennat limité à deux mandats.
Cela ferait des parlementaires récemment élus des députés éphémères et de la XVIIème législature une mandature de transition pour continuer d'inciter la classe politique à débattre et se recomposer.
Jean-Christophe Tardivon