«L'agriculteur doit devenir un véritable acteur de son territoire», a déclaré le président de la chambre d'agriculture de la Côte-d'Or, ce vendredi 16 février, avant d'évoquer les paiements pour services environnementaux parmi les possibilités de diversification des exploitations agricoles.
«L'agriculture est confrontée à des enjeux extrêmement importants», a rappelé Vincent Lavier, président de la chambre d'agriculture de la Côte-d'Or, ce vendredi 16 février 2024, à Talant lors de l'inauguration du Forum des opportunités 2024 dédié à la diversification des exploitations agricoles (
lire notre article).
«Le premier qui nous rattrape le plus , (…) c'est l'enjeu de l'évolution du climat», a insisté celui qui a été élu sur une liste de la FDSEA, «ce n'est pas sans conséquence sur la production et sur l'évolution des systèmes agricoles». «Il y a aussi des enjeux sanitaires qui sont plus importants qu'avant qui sont liés aussi à ce changement climatique, des enjeux environnementaux et, de plus en plus, des enjeux de marché.»
«L'agriculteur aujourd'hui, ne doit plus être uniquement un producteur de denrées agricoles, son activité va bien au-delà», a envisagé le président de la chambre d'agriculture de la Côte-d'Or, «il doit devenir un véritable acteur de son territoire».
Interrogé par
Infos Dijon, Vincent Lavier a partagé un éclairage supplémentaire à des propos qui apportaient de la nuance aux revendications portées par la FNSEA notamment lors du récent mouvement social des agriculteurs.
«Il faut impérativement mettre en place des revenus complémentaires sur les exploitations»
Le Forum des opportunités aborde les possibilités de diversification des exploitations agricoles. Les agriculteurs répondent à un impératif de production. Sont-ils sensibles aux enjeux de diversification ?«Si l'on veut pouvoir continuer à produire, il faut se diversifier.»
«Quand on met en place une production, on n'est jamais sûr de son résultat notamment eu égard à tous les aléas que l'on connaît aujourd'hui. Aléas liés au climat que l'on connaît de plus en plus et d'autres aléas sur les productions animales.»
«Il faut impérativement mettre en place des revenus complémentaires sur les exploitations pour permettre de vivre de son travail parce que, si la production principale ne suffit plus, il faut qu'il y ait d'autres productions complémentaires.»
«Il faut que chacun, au niveau de son exploitation, en fonction de ses potentialités de diversification, de ses productions, de ses affinités, soit capable de mettre en complémentarité à la fois de la production historique agricole mais aussi des activités de diversification qui, globalement, sont de nature à sécuriser son modèle de production et son modèle d'exploitation.»
«Ceux qui sont dans les conditions naturelles les plus difficiles sont obligés de diversifier pour s'en sortir»
Toutes les générations d'agriculteurs sont-elles sensibles à ces enjeux de diversification ?«Tout le monde peut le faire sauf que le situations historiques et naturelles dans lesquelles chacun se trouve font que tout le monde n'en a pas forcément le même besoin.»
«Quand vous avez la chance d'avoir des terres fertiles qui souffrent peu des aléas climatiques et que vous pouvez faire beaucoup de productions diversifiées, vous n'avez pas besoin d'aller chercher d'autres sources de revenus. Quand vous êtes sur des sols à beaucoup plus faible potentiel et souffrant de façon récurrente de la sécheresse, là, impérativement, vous êtes obligés de développer d'autres productions sur votre exploitation parce qu'avec votre production agricole principale, vous n'avez pas la garantie de pouvoir en vivre dans la durée.»
«Ceux qui sont dans les conditions naturelles les plus difficiles sont obligés de diversifier pour s'en sortir. Les gens le font.»
Est-ce que la chambre d'agriculture propose des audits à chaque exploitation pour définir les potentiels de diversification ?«En fait, on laisse les gens s'approprier le sujet. En revanche, quand ils veulent faire quelque chose là, [la chambre d'agriculture] les accompagne dans leur prise de décision.»
Près des sources de la Seine, un projet de paiement pour services environnementaux avec le Grand Paris
Parmi les diversifications, figurent les services environnementaux soutenus par le second pilier de la politique agricole commune européenne (PAC). Certains agriculteurs semblent réticents. Sont-ils une source de diversification intéressante ?«Ça peut en être une. On est sur un projet important dans le nord du département qui est en train de prendre forme avec une forte adhésion du monde agricole, supérieure à celle espérée au départ, surtout des jeunes.»
«C'est un projet en partenariat avec la métropole du Grand Paris sur le bassin de Saine amont, en Côte-d'Or. La demande faite par le Grand Paris était de faire face à d'importantes inondations potentielles sur Paris en considérant que les quatre grands lacs réalisés dans les années 1950 ne seraient pas suffisant et que des zones d'expansion de crues étaient à trouver. Le président du Grand Paris avait proposé d'indemniser les dégâts aux cultures de parcelles éventuellement envahies par l'eau en cas d'inondation.»
«Cela ne nous convenait pas complètement parce qu'en Seine amont, on a encore beaucoup de prairies avec des systèmes où les gens font de l'élevage mais de systèmes fragiles. Nous avons demandé au Grand Paris de nous aider à maintenir nos prairies par l'intermédiaire d'un paiement pour service environnemental et de travailler au niveau des filières pour valoriser la viande et le lait produits sur ces prairies autour des sources de la Seine via une marque Sources de la Seine auprès de la restauration collective parisienne.»
«Les paiements pour services environnementaux présentent l'intérêt de reconnaître les pratiques vertueuses des agriculteurs. Dans ce que font les paysans, il y a sûrement des choses à améliorer mais il y a plein de choses qui sont extrêmement intéressantes et qu'aujourd'hui on est capable de faire valoir. C'est aussi une forme de reconnaissance pour les agriculteurs. C'est quelque chose à quoi je crois. C'est aussi une forme de diversification pour les agriculteurs parce que cela consolide les modèles économiques. Le sujet, c'est qu'il faut trouver les moyens financiers pour les valoriser.»
«Les anciens croisent les doigts pour espérer pouvoir finir leur carrière sans tout modifier»
Lors de la présentation du Salon de l'Agriculture, Marc Fesneau a eu cette formule : «4 degrés, pour l'agriculture française, c'est la mort» (lire notre article). Le GIEC n'écarte pas un tel scénario de réchauffement climatique d'ici la fin du XXIème siècle. Les agriculteurs sont-ils conscients de cette potentielle ampleur du changement climatique ?«Il y en a qui le vivent dès aujourd'hui ! Je pense notamment au département des Pyrénées-Orientales où il est tombé moins de 500 mm [de précipitations] en l'espace de deux ans et où c'est dramatique pour l'agriculture effectivement. C'est radical.»
«Les gens sont conscients. En revanche, je pense qu'on n'appréhende pas le fait que cela puisse nous arriver aussi vite que c'est arrivé là en bas. Ce n'est qu'un département parce que dans les Pyrénées-Atlantiques, il pleut encore beaucoup. Cela veut dire que, localement, il peut se passer des choses extrêmement violentes. Quelque part, c'est pratiquement impossible à appréhender. (…) Pourquoi il ne pleut plus depuis deux ans dans les Pyrénées-Orientales, on n'est même pas capable de l'expliquer.»
«On se posent tous énormément de questions. On sait bien que ce que l'on fait aujourd'hui, ce sera différent dans vingt ans. La seule chose que j'espère, c'est que tout ce que l'on met en termes d'adaptation, ce sera suffisant pour ne pas se faire dépasser par l'évolution du climat.»
«Les jeunes agriculteurs sont beaucoup plus réceptifs. Les anciens croisent les doigts pour espérer pouvoir finir leur carrière sans tout modifier.»
«Quand on a des jeunes qui doivent arriver derrière nous, notre rôle est aussi de préparer nos exploitations pour que les jeunes puissent démarrer dans les meilleurs conditions qui soient. Tout le monde devrait être concerné par cela mais, clairement, la sensibilisation est beaucoup plus forte parmi les jeunes générations.»
Propos recueillis par
Jean-Christophe Tardivon