Moutarde, glyphosate, loup, fiscalité, normes européennes... devant Anne-Catherine Loisier, Didier Paris et François Patriat, le syndicat a posé sur la table, ce lundi 25 juillet, à Gissey-sur-Ouche, quelques sujets qui fâchent les agriculteurs.
Plusieurs fois par an, la branche départementale du syndicat agricole FNSEA rencontre les parlementaires de la Côte-d'Or afin d'exposer les problématiques ou les sujets d'actualité qui les concernent.
Une telle réunion s'est déroulée, ce lundi 24 juillet 2023, à Gissey-sur-Ouche, dans la cour de la ferme de l'EARL Clément, en effectuant des focus particuliers concernant les prédations imputées à des loups, la taxation des carburants et l'installation de jeunes agriculteurs.
Réunion autour d'un exemple de foyer de tuberculose bovine
L'exploitation agricole de polyculture-élevage dirigée par Frédéric Clément s'étend sur 270 hectares dans la vallée de l'Ouche – dont une centaine d'hectares de céréales – et compte 120 vaches allaitantes, majoritairement des Salers, reconnaissables à leur pelage brun et à leurs longues cornes. Le cheptel a déjà été touché trois fois par un foyer de tuberculose bovine.
Dans le contexte de préparation de la future loi d'orientation agricole, débattue cet automne au parlement, la réunion a rassemblé Jacques Carrelet de Loisy, Fabrice Faivre et Samuel Bullot, respectivement vice-président, trésorier et secrétaire général de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles de la Côte-d'Or (FDSEA 21), Vincent Lavier, président de la chambre d'agriculture de la Côte-d'Or, chambre consulaire dont la liste de la FDSEA 21 a remporté les dernières élections, ainsi que Baptiste Colson et Antoine Carré, respectivement président et vice-président des Jeunes Agriculteurs de la Côte-d'Or.
Des échanges pour «approfondir des sujets»
«Il y a un enjeu extrêmement important : l'occupation des territoires et le renouvellement des générations», alerte Vincent Lavier. «En vertu de ça, il faut que l'on donne des perspectives aux gens qui veulent se lancer dans le métier, qu'on leur donne de la lisibilité. Quand on investit en agriculture, c'est quelque chose qui se passe sur la durée.»
«On a la chance, dans ce département, d'avoir des parlementaires qui sont à notre écoute et qui partagent nos préoccupations et qui les font remonter à Paris», constate le président de la chambre d'agriculture de la Côte-d'Or.
«L'agriculture est un secteur qui vit avec beaucoup de variables changeantes. On a besoin, nous, parlementaires, d'être informés de ces réalités évolutives pour essayer de légiférer au mieux et adapter la loi aux réalités de terrain», explique Anne-Catherine Loisier (divers centre), sénatrice de la Côte-d'Or, à l'issue de la réunion.
«Nos discussions permettent d'approfondir des sujets qu'on a déjà entendus mais en apportant des éclairages techniques précieux», ajoute la sénatrice.
François Patriat constate «une volonté des agriculteurs de prendre leur part de responsabilité dans le défi de l'autosuffisance alimentaire, le défi de l'environnement»
«Il y a les points nationaux, ce qui concerne le budget de la France et il y a les sujets européens», résume François Patriat (REN), sénateur de la Côte-d'Or. «En tant que parlementaires, on doit anticiper sur des décisions fiscales, sanitaires ou environnementales qui doivent être prises».
«Je crois qu'on arrive à une situation d'équilibre avec une volonté des agriculteurs de prendre leur part de responsabilité dans le défi de l'autosuffisance alimentaire, le défi de l'environnement – ils le prennent beaucoup plus en compte que ne le disent parfois les environnementalistes – et le défi de la rentabilité d'un monde agricole qui doit, demain, installer des jeunes sur des surfaces viables», poursuit le progressiste.
Didier Paris entend «être efficace, à partir du terrain, au plan national»
Selon Didier Paris (REN), député de la Côte-d'Or, il s'agit de «faire en sorte que les parlementaires puissent servir de relais, puissent être efficaces, à partir du terrain, au plan national».
«Le monde agricole fait beaucoup pour montrer qu'il est très sensible à l'environnement, à la qualité, au bien-être animal. Maintenant, il faut communiquer, il faut arrêter l'agri-bashing de manière générale, ce à quoi nous sommes trop confrontés dans l'époque contemporaine mais par beaucoup de gens qui ne comprennent pas la globalité du système. Le monde agricole est remarquable. En France en particulier, on est sans doute le pays le plus avancé sur ses questions-là, en Europe», développe celui qui participe à la majorité présidentielle.
«On replante de la moutarde», se félicite Didier Paris
«Il y a des sujets qui vont bien», tient à signaler Didier Paris, «notamment au plan de la [politique agricole commune de l'Union européenne (PAC)], de certaines récoltes qui sont en meilleurs conditions aujourd'hui comme le colza, la moutarde».
Concernant cette dernière culture, le progressiste compte sur une nouvelle prolongation dérogatoire concernant les insecticides utilisés : «on replante de la moutarde alors qu'on était en déprise très sérieuse sur ce végétal-là. C'est essentiel. C'est une question d'autonomie alimentaire. Les industriels jouent le jeu. Il nous faut 10.000 tonnes de production pour être dans une bonne dose. Les conditions météo de cette année font qu'on a planté plus avec des rendements inférieurs».
Pour sa part, Jacques Carrelet de Loisy appelle au «pragmatisme» : «il y a une appellation qui s'appelle moutarde de Dijon et il serait bon que les graines de moutarde viennent de Côte-d'Or ou de Bourgogne-Franche-Comté plutôt que du Canada». «Si on veut maintenir une agriculture locale avec des productions locales, il faut qu'il y ait un certain nombre de mesures qui soient adéquates.»
La FDSEA alerte sur «le ciseau de prix» concernant les céréales
Le monde agricole étant soumis aux variations de cours des matières premières au niveau mondial, les bonnes nouvelles de 2022 ne se prolongent pas forcément en 2023.
«La récolte 2022, le monde agricole a pu bénéficier d'une embellie au niveau des prix», rappelle Jacques Carrelet de Loisy. «Elle était bienvenue car on sait aujourd'hui que les coûts de production ont beaucoup augmenté.»
«Pour la récolte 2023, le coût de production du blé est de 280 euros la tonne. Il y a un an, le prix du blé était autour de 300 euros ; aujourd'hui, il est à 240 euros. Le prix qui va être payé au producteur ne couvre pas le coût de production. C'est ce qu'on appelle le ciseau de prix», détaille l'agriculteur.
«Il faut que les prix se redressent encore un peu pour atteindre un équilibre économique avec une récolte en Côte-d'Or, somme toute, assez moyenne. (…) Il y a de nombreux secteurs du plateau [de Langres] qui ont beaucoup souffert essentiellement à cause de la sécheresse. Les rendements sont faibles, de l'ordre de 40 quintaux par hectare et la qualité a été déclassée», poursuit-il.
La FDSEA demande «la reconduction de l'homologation du glyphosate»
«Il y a un sujet qui ne fait pas forcément consensus dans la société française, on en a bien conscience, c'est la reconduction de l'homologation du glyphosate qui permet à un certain nombre d'exploitation de pouvoir faire des économies notamment de carburants dans tout ce qui est système d'agriculture sous couvert. Les instances de l'Union européenne ont validé le fait qu'il n'y avait pas de danger certain comme cela avait été lancé dans la presse internationale, il y a quelques années», développe Jacques Carrelet de Loisy.
Fin 2022, la Commission européenne avait autorisé l'utilisation de cet herbicide controversé jusqu'au 15 décembre 2023. Le 6 juillet dernier, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a publié un rapport en indiquant ne pas avoir identifié de «domaine de préoccupation critique» à même d'empêcher une nouvelle autorisation de l’herbicide en réflexion pour 2024.
«Le modèle d'installation ne passera que par la diversification», analyse François Patriat
Alors que, en Côte-d'Or, 1.500 exploitants agricoles vont partir en retraite dans les dix ans qui viennent (
lire notre article), le sujet du renouvellement des générations s'est focalisé sur la problématique de l'installation des jeunes agriculteurs.
«Aujourd'hui, c'est difficile d'installer des agriculteurs sur des unités rentables», constate François Patriat. «Le coût de l'installation, le coût des bâtiments, le coût du matériel, le coût du cheptel... il faut trouver de nouvelles formes de financement. On trouve aujourd'hui des investisseurs qui accompagnent. La meilleure formule est la transmission familiale en douceur mais il faut comprendre qu'il y a l'intérêt d'installer des agriculteurs et l'intérêt économique à céder une exploitation.»
«Le modèle d'installation ne passera que par la diversification», analyse le progressiste. «Aujourd'hui, un jeune qui s'installe doit diversifier ses productions. Par exemple, on a vu qu'il y a des gens qui font plus d'herbe et de luzerne. Ça veut dire des panneaux solaires sur tous les toits pour payer les bâtiment. Ça veut dire des activités annexes, certains font des plaquettes de bois. Il n'y a plus un seul modèle de quelqu'un qui faisait blé-orge-maïs-colza, ce n'est plus viable aujourd'hui».
«Aujourd'hui, pour un jeune qui voudrait s'installer, reprendre une ferme céréalière en l'état, c'est pratiquement impossible», estime François Patriat au regard de l'enjeu des successions dans le cadre familial. «Les bâtiments, le matériel coûtent très chers – les tracteurs à 200.000 euros, les semoirs à 100.000 euros, des terres qui ont une valeur de production –, on ne voit pas comment un jeune peut trouver un million d'euros pour reprendre une ferme viable. Ma crainte est que, si on ne révise pas le modèle d'installation, on risque d'installer des jeunes à qui on va donner de faux espoirs parce qu'ils seront au [RSA] sur leur ferme pendant des années.»
«La passion de l'agriculture anime toujours autant de gens», constate Anne-Catherine Loisier
«S'installer, ça coûte une fortune», abonde Anne-Catherine Loisier, «et on n'est même pas sûr de pouvoir faire vivre décemment sa famille avec un revenu moyen parfois inférieur à 1.000 euros par mois».
«La passion de l'agriculture anime toujours autant de gens. Quand on voit tous les néo-ruraux qui veulent s'installer, on voit que l'agriculture et le travail de la nature fait encore plus envie aujourd'hui mais c'est un vrai parcours d’obstacles en termes de financement, pour s'adapter à des normes de plus en plus contraignantes. Il faut que l'on arrive à simplifier», développe la sénatrice.
«Parfois, on a des jeunes qui reprennent une exploitation familiale, qui sont un peu ''coincés'' dans les choix qui ont été ceux de leurs prédécesseurs et qui, à mon sens, ne sont pas toujours très bien accompagnés parce qu'une exploitation compétitive, ce n'est pas la même qu'il y a 20 ou 30 ans, ce n'est pas le même projet d'exploitation. Pour avoir une structure viable, il faut diversifier», assure-t-elle à son tour alors qu'un tel accompagnement relève de la chambre d'agriculture départementale.
«Un certain nombre de pays en Europe ne taxent pas les droits de succession et facilitent les choses. C'est le cœur de la loi d'orientation agricole. Il faut énormément de capitaux lorsqu'on s'installe en agriculture, ce n'est absolument pas proportionné au revenu qu'on en tire. Il y a un vrai sujet législatif et fiscal pour que la bascule se fasse plus facilement», conclut-elle sur le sujet.
Anne-Catherine Loisier défend «une stratégie de régulation du loup»
«Le loup doit exister dans certains territoires mais aucune façon en Côte-d'Or», assène Didier Paris. «Le loup commence à attaquer des bovins. On est un peu en capacité de protéger des ovins avec des filets mais les bovins, on ne les protège pas. C'est une problématique qui inquiète les agriculteurs, à juste titre.»
«Le loup s'étend vraiment», alerte Anne-Catherine Loisier, «on la voit concrètement cette pression». «Dans nos territoires d'élevage de plaine, avec des pâturages qui sont un peu isolés et qui changent régulièrement, c'est très difficiles et très coûteux pour les éleveurs de s'adapter.»
«On a un espace naturel qui est partagé en Côte-d'Or, avec un développement de l'activité de pleine nature et de tourisme. Comment faire demain avec des gens qui doivent emprunter des circuits de randonnée quand on sait que le patou peut poser un problème de sécurité. Ce sont des chiens qui peuvent être un peu agressifs quand on s'approche. Comment tout ça va être compatible ?» demande la sénatrice.
Alors que le plan loup 2018-2023 arrive à son terme, la centriste défend «une stratégie de régulation du loup» : «il faut que la doctrine nationale soit adaptée à des territoires de plaine où il y a une fréquentation des espaces naturels. Dans ces territoires, il doit y avoir une autorisation de tir plus facilement pour qu'il n'y ait pas d'installation de meute. Avec la doctrine actuelle, le loup s'installe de plus en plus et étend son périmètre et les attaques se multiplient. La doctrine actuelle ne suffit pas à endiguer la propagation du loup».
Actuellement, un agriculteur peut être autorisé à procéder à des tirs létaux visant un prédateur à condition que son cheptel ait déjà subi une attaque.
La FDSEA demande à Bruno Le Maire de «revoir» le projet de détaxation du GNR
La taxation du gazole non routier (GNR) était également au programme des échanges puisque le ministère de l’Économie envisage de mettre fin à un avantage fiscal.
Les exploitations agricoles peuvent récupérer une partie des taxes affectées au GNR. Si ce n'était plus le cas, le manque à gagner serait d'environ 1.5000 euros par 10.000 litres de GNR ; une exploitation consommant en moyenne 20.000 litres de carburant.
«Le ministre de l’Économie ne se souvient pas qu'il a été à l'origine du mouvement des Gilets jaunes, il y a quelques années, en proposant une taxe sur les carburants donc il recommence aujourd'hui», tacle Jacques Carrelet de Loisy, «donc il recommence aujourd'hui avec le monde agricole, forestier, maritime en proposant de revoir la taxation des carburants agricoles».
Le représentant de la FDSEA appelle donc Bruno Le Maire à «revoir» le projet de suppression de l'avantage fiscal qui pourrait entraîner «un problème de compétitivité».
Anne-Catherine Loisier entend «accompagner les efforts qui sont faits autour des biocarburants»
«Le niveau de revenu moyen des éleveurs est de 700 à 800 euros par mois. Si on leur dit qu'il n'y aura plus de détaxation du GNR – estimée entre 2.000 et 3.000 euros par an –, cela impacte le revenu de l'agriculteur», estime Anne-Catherine Loisier.
«Il faut que l'on accompagne les efforts qui sont faits autour des biocarburants et que l'on ne mette pas les agriculteurs dans des situations tendues financièrement», revendique la sénatrice qui envisage des «modalités d'application progressives» assorties de «compensations pour les exploitants qui ont de faibles revenus».
«En France et en Europe, on sait produire des carburants notamment à base de colza – une partie sert pour le carburant, une autre partie pour l'alimentation du bétail, tout cela crée de la richesse – plutôt que d'importer du pétrole», ajoute Jacques Carrelet de Loisy au sujet des agrocarburants.
Anne-Catherine Loisier déplore «cette malheureuse habitude de surtransposer» les directives européennes
«L'Europe est revenue sur un certains nombres de mauvaises idées», se félicite Anne-Catherine Loisier en référence à la directive sur les émissions industrielles (IED) qui envisageait d'intégrer les élevages de plus de 150 bovins dans les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).
En revanche, la sénatrice s'alarme de l'adoption, le 12 juillet dernier, de la loi européenne sur la restauration de la nature : «ce sont des dispositifs qui apportent des contraintes nouvelles aux agriculteurs».
«On nous dit qu'il faut avoir une meilleure souveraineté alimentaire, il faut installer des jeunes alors que l'on sait les difficultés financières réelles et on continue à rajouter des normes», s'insurge la centriste.
«il faudra que l'on soit vigilant quant à la manière dont ces directives vont être transposées [en droit français]. En France, on a cette malheureuse habitude de surtransposer : l'Europe met un certain nombre de contraintes mais on en rajoute une petite couche. Ça crée des distorsions de concurrence pour nos producteurs», analyse-t-elle.
François Patriat retient «le problème rémanent» de la tuberculose bovine
Parmi les difficultés locales, François Patriat (REN) retient également «le problème rémanent» de la tuberculose bovine en soulignant «la lutte efficace» du groupement de défense sanitaire, association départementale d'éleveurs.
Du côté des Jeunes Aagriculteurs, on s'inquiète des «dossiers d'indemnisation qui tardent à être traités» ce qui «peut mettre en péril les exploitations». Jacques Carrelet de Loisy évoquant même «plus de six mois d'attente» pour certains éleveurs dont les vaches ont été saisies ou abattues.
«Il serait bon quand même que les services de l’État jouent leur rôle alors qu'il y a des canevas qui ont été calés pour l'indemnisation», proteste le vice-président de la FDSEA 21.
Les barèmes d'indemnisation en question
Les Jeunes Agriculteurs alertent également sur l'indemnisation perçue en cas d'attaques de troupeau imputée à des loups, en particulier quand cela concerne des bovins.
«Les barèmes ont été édictés il y a trois ans, avant l'augmentation du cours de la viande, donc c'est un manque à gagner pour l'agriculteur qui a, en plus, le choc psychologique de perdre son animal», signale Baptiste Colson.
La FDSEA devrait organiser une prochaine réunion en septembre, avant l'examen au parlement de la loi d'orientation agricole, et une autre en début d'année prochaine, avant les élections européennes.
Jean-Christophe Tardivon