
La concrétisation de l'expérimentation du «Pacte nouveau départ» est imminente. Ce dispositif est destiné aux victimes souhaitant quitter leur conjoint violent. «C'est le premier contentieux de masse qui implique une réponse individuelle», a relevé le procureur de la République, ce lundi 17 mars, à Dijon.
Depuis 2019, Le gouvernement «renforce» sa lutte contre les violences faites aux femmes. Cette année-là, s'est tenu le Grenelle des violences conjugales qui a modifié la façon d'appréhender les violences intrafamiliales.
Autre jalon, le 25 novembre 2022, Emmanuel Macron a annoncé la mise en place de l'expérimentation du «Pacte nouveau départ» (
lire notre article), en quelque sorte un guichet unique pour les victimes de violences conjugales souhaitant quitter leur conjoint violent. La Côte-d'Or fait partie des cinq départements retenus pour tester ce dispositif.
Dans ce contexte, ce lundi 17 mars 2025, à Dijon, une réunion de l'ensemble des partenaires concernés par le champ des violences intrafamiliales s'est tenue à l'hôtel de la préfecture de la Côte-d'Or.
Le comité de pilotage du protocole départemental de prévention et de lutte contre les violences conjugales est supervisé par le préfet Paul Mourier, le procureur de la République Olivier Caracotch, la première vice-présidente du Département Emmanuel Coint (LCOP) et la directrice de la Caisse d'allocation familiales de la Côte-d'Or Caroline Michal et animé par Isabelle Gandré, déléguée départementale aux droits des femmes et à l'égalité.
Un cadre pour coordonner la lutte contre les violences conjugales
Selon la préfecture, le protocole départemental de prévention et de lutte contre les violences conjugales vise à apporter une réponse appropriée aux personnes confrontées à la violence conjugale en les accompagnant mieux grâce à la mobilisation et la mise en réseau de tous les acteurs concernés : l’État, le ministère de la Justice, les collectivités locales, les organismes sociaux et établissements publics, le conseil de l’ordre des médecins et les associations. Soit 27 signataires.
Les actions développées au titre de ce protocole visent non seulement à dénoncer les violences exercées contre les femmes, à les prévenir, mais aussi à garantir à celles qui en sont victimes l'aide, l'écoute et l’accompagnement que nécessitent leur détresse, leur sécurité et la sauvegarde de leurs intérêts et, le cas échéant, ceux de leurs enfants.
«Le Pacte nouveau départ va permettre de coordonner le parcours des victimes»
«C'est l'occasion de faire un point sur tous les dispositifs de prise en charge des victimes et de suivi des auteurs ainsi que sur la prévention», a expliqué Isabelle Gandré. «La parole se libère, l'écoute semble aussi se renforcer.»
La déléguée départementale aux droits des femmes et à l'égalité rappelle que les victimes peuvent composer le numéro d'urgence 17, le 115 pour un hébergement d'urgence et le 3919 pour une écoute anonyme et gratuite (
retrouver la présentation du numéro Violences femmes info).
«Le Pacte nouveau départ va permettre de coordonner le parcours des victimes», se félicite Isabelle Gandré, «en Côte-d'Or, le conseil départemental à accepter d'endosser ce rôle de coordination». «Une fois que la victime est repérée, le conseil départementale va pouvoir évaluer les besoins de la victime. Le travailleur social évaluateur va pouvoir solliciter tous les services et tous les acteurs qui sont nécessaires à la réalisation des étapes du parcours : hébergement, travail, insertion sociale, suivi psychologique adapté, soins...»
Les enfants étant covictimes des violences conjugales, la démarche est articulée avec la protection de l'enfance, compétence également du Département.
Dans les autres départements expérimentateurs – le Val-d'Oise depuis 2022, suivi des Bouches-du-Rhône, du Lot-et-Garonne et de La Réunion –, la CAF pilote le dispositif.
Les personnels des différents acteurs institutionnels et des associations préparent la mise en place de ce nouveau dispositif depuis janvier 2024. L'expérimentation devrait prochainement connaître sa première bénéficiaire, en commençant par le territoire de la haute Côte-d'Or avec un objectif de couvrir l'ensemble du département d'ici la fin 2025.
Les violences conjugales révèlent «un mal sociétal»
«Cette question des violences conjugales, souvent des violences faites aux femmes dans une très large majorité, est absolument essentiel», a remarqué Paul Mourier en introduisant la réunion. «Je suis effrayé, toutes les semaines, en réunion de sécurité, nous avons des chiffres et des descriptifs de violence qui redoublent de brutalité. (…) Bien souvent, au cœur de tout cela, il y a une famille, des enfants. (…) Il y a souvent de l'alcoolisme et de la consommation de drogue derrière ces violences conjugales.»
«Après le trafic de drogue, le phénomène qui me paraît devoir mobiliser toutes nos énergies et notre action, c'est bien les violences conjugales et les violences faites aux femmes», a assuré le préfet. «Il y a les victimes, il y a aussi les auteurs ; il faut aussi les prendre en charge pour les soigner, bien souvent, et éviter qu'ils réitèrent ces actions.»
Constatant que «de plus en plus de personnes victimes de violences conjugales viennent se confier au réseau associatif, à la police et à la gendarmerie», le représentant de l’État considère qu'«il y a un mal sociétal qui fait que, très rapidement, on a des phénomènes qui dégénèrent de plus en plus. (…) Je suis profondément choqué.»
«Ce Pacte nouveau départ est une nouvelle corde à notre arc pour lutter contre les violences conjugales et notamment pour en limiter les conséquences et, surtout, permettre à des personnes qui sont dans un état de détresse à remonter la pente», a-t-il, en espérant ainsi que ce dispositif soit «pérennisé».
«C'est le premier contentieux de masse qui implique une réponse individuelle»
«On voit que la réponse à cette problématique sociétale ne peut être que pluridisciplinaire», a enchaîné Olivier Caracotch, «l'essence même du protocole est d'assurer aux victimes la prise en charge la plus complète possible». Bien que «les efforts se concentrent sur les victimes», «si on ne travaille pas aussi sur les auteurs, on ne protège pas aussi les victimes».
Le procureur de la République a donc assuré que le contentieux des violences intrafamiliales était «une priorité de politique pénale» car «le Grenelle des violences conjugales a permis une prise de conscience beaucoup plus généralisée, une concentration et une augmentation des moyens qui ont permis une action beaucoup plus forte».
Le magistrat a indiqué espérer «aller encore plus loin» en évoquant notamment «la prise en compte des enfants, témoins et victimes, qui sont les prisonniers de ces violences conjugales».
À noter que la prochaine thématique de la Journée nationale de l'accès au droit, autour du 24 mai, concernera les enfants témoins ou victimes de violences conjugales.
«C'est, pour la justice, un défi important qui a nécessité une réorganisation», a-t-il précisé, «c'est le premier contentieux de masse qui implique une réponse individuelle». «Chaque affaire est différente et nécessite d'être examinée dans le détail et dans l'urgence.»
En Côte-d'Or, les contentieux de violences intrafamiliales ont presque triplé depuis 2019
Concernant les données des contentieux de violences intrafamiliales, en 2024, le parquet de Dijon a reçu 1.414 affaires nouvelles, soit près de 4 par jour.
Cela représente une hausse de 6,3% par rapport à 2023 et un quasiment triplement depuis 2019.
«La violence peut toucher n'importe qui»
«Ce protocole est le reflet du partenariat entre le préfet et le Département dans la lutte des violences faites aux femmes», a remarqué Emmanuelle Coint en rappelant la volonté de l'exécutif de «ne laisser personne de côté».
«La violence peut toucher n'importe qui et ne regarde ni votre âge, ni votre condition sociale ou professionnelle», a analysé la centriste en alertant sur les situations de violence chez des personnes âgées.
En 2024, rien que sur la haute Côte-d'Or, 181 signalements pour violences intrafamiliales ont été recensés. Il y a eu 111 interventions de gendarmes et 130 démarches de travailleurs sociaux.
«Le Département de la Côte-d'Or est mobilisé pour accompagner les femmes qui ont quitté un foyer où elles ont subi des violences»
Chaque année, la collectivité consacre 1,5 million d'euros à la lutte contre les violences faites aux femmes, sans compter l'aider à la parentalité, la protection de l'enfance ni le soutien aux associations comme Solidarité femmes 21 ou encore l'ADEFO qui suit les auteurs de faits.
«Nous sommes mobilisés pour accompagner les femmes qui ont quitté un foyer où elles ont subi des violences», a assuré la première vice-présidente du Département qui compte, dans le cadre de l'expérimentation, sur «un regard croisé pour optimiser les politiques publiques». «Notre forte présence territoriale nous met en première ligne dans la lutte contre les violences conjugales. (…) La priorité de François Sauvadet [NDLR : président du Département de la Côte-d'Or] est de protéger les plus fragiles.»
«On doit aux victimes une prise en charge la plus complète possible»
«C'est un sujet que la CAF investit de longue date», a rappelé Caroline Michal en signalant que, depuis 2020, la CAF de la Côte-d'Or mobilise chaque année près de 400.000 euros pour financer des aides d'urgence destinées aux victimes de violences conjugales.
«La CAF traite en un jour et demi les dossiers des personnes qui signalent être victimes de violences conjugales», a indiqué la directrice tout en garantissant «une proximité avec les victimes et une souplesse pour s'adapter à la situation de chacun». «On doit aux victimes une prise en charge la plus complète possible.»
D'autres dispositifs pratiques sont proposés comme un simulateur d'aides de la CAF, un «coffre-fort électronique» pour déposer des documents numérisés ou encore un journal des violences subies.
Les outils d'éviction du conjoint présumé violent
«On intervient le plus rapidement possible pour mettre une barrière entre la victime et le mise en cause, y compris avant une éventuelle décision de culpabilité rendue par la juridiction», a exposé Olivier Caracotch au moment d'aborder les dispositifs d'éviction des auteurs présumés de violences.
Si c'est le procureur de la République qui notifie les faits, c'est bien le juge de la liberté et de la détention qui place éventuellement un mis en cause sous contrôle judiciaire à la fin de sa garde à vue.
«C'est extrêmement important de pouvoir répondre très vite de montrer, parfois contre la volonté de la victime, que l'autorité judiciaire impose une vie séparée et interdit tout contact pour que la victime puisse sortir de la situation d'emprise», a développé le magistrat.
L'éviction du conjoint se fait majoritairement via un contrôle judiciaire. 133 contrôles judiciaires ont été prononcés en lien avec une situation de violences intrafamiliales en 2024.
La composition pénale est généralement utilisée quand il n'y a déjà plus de vie commune entre les personnes impliquées. Six ont été prononcées en 2024.
En Côte-d'Or, 55 téléphones «grave danger» sont disponibles (contre moins de 10 avant 2019) et 50 sont d'ores et déjà déployés. Quelques bracelets anti-rapprochement sont utilisés chaque année.
Entre ordonnances de protection et protection immédiate, Olivier Caracotch a évoqué «autant de cordes à l'arc du ministère public».
Panorama de la situation en Côte-d'Or
La Gendarmerie nationale a apporté des précisions sur le nombre de victimes de violences intrafamiliales recensées dans le secteur qu'elle couvre en Côte-d'Or : 867 victimes en 2024, à 60% des victimes de violences conjugales. 73% de ces victimes sont des femmes.
Le nombre de mineurs victimes, garçons ou filles, connaît une hausse «très significative».
Trois homicides et tentatives d'homicide à l'intérieur de la famille ont été relevés en 2023 et un en 2024.
Concernant la circonscription de la Police concernant une partie de l'agglomération dijonnaise et Beaune, en moyenne, 90% des victimes sont des femmes.
En ne retenant que les victimes de violences conjugales, la préfecture de la Côte-d'Or indique que 955 victimes ont été prises en charge par les forces de sécurité intérieure à l'échelle du département en 2024.
Sur l'ensemble du territoire, en 2024, les travailleurs sociaux du conseil départemental a noté 413 ménages concernés par des violence intrafamiliales et 257 informations préoccupantes dans un contexte de violences conjugales.
Les travailleurs sociaux de la Ville de Dijon ont reçu 437 personnes au commissariat. 94% sont majeures. Il y a 81% de femmes, 71% sont victimes d'infractions pénales.
La direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités finance 90 places d'hébergement pour des victimes accompagnées par des associations dans toute la Côte-d'Or. Ce nombre a augmenté de 75% depuis 2021.
L'association Solidarité femmes 21 a été contactée par 635 victimes. L'ADEFO a pris en charge 292 victimes, des femmes seules ou avec enfants, pour leur trouver un hébergement d'urgence.
Jean-Christophe Tardivon














