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22/12/2021 03:28

ÉCOLOGIE : Les chasseurs confrontés au changement climatique

Effets des événements météorologiques plus intenses sur la reproduction du petit gibier, tendances des hivers plus doux favorables à la prolifération des sangliers, altération des ressources alimentaires, conséquences sur les interactions entre les espèces... le chasseur côte-d'orien Dominique Rigaud partage son expérience de l'année 2021.
Des dérèglements climatiques en Bourgogne ? Dominique Rigaud voit «certaines choses». Il est vice-président de la fédération départemental des chasseurs de Côte-d'Or, une fédération présidée par Pascal Sécula (également à la tête de la fédération régionale).

En marge de la journée venaison de la Foire internationale et gastronomique de Dijon, qui s'est tenue le 5 novembre 2021, Dominique Rigaud a répondu aux questions d'Infos Dijon sur la perception des effets du changement climatique par les chasseurs de la Côte-d'Or.

«On s'est retrouvé avec des cailles très tardives sur nos territoires»



Est-ce que les chasseurs sont sensibles aux questions de modification du climat ?

«Ça touche tout le monde, chasseurs et non-chasseurs. Maintenant, voir le changement chez nous, ce n'est pas évident. En 2021, on s'est retrouvé avec des cailles très tardives sur nos territoires».

«Je n'explique pas forcément ça par le fait du réchauffement climatique. J'explique ça plutôt par le fait d'avoir des pluies importantes peut-être provoquées par le dérèglement climatique. (…) Ce qui est sûr c'est que, ce climat a défavorisé la reproduction dans des dates normales par rapport à ce qu'on connaît»

«Ce qu'on a vu en petit gibier, c'est du recoquetage, c'est à dire une première nichée qui n'a pas abouti, avec ses pluies diluviennes, et les animaux n'aiment pas le vide, ils ont fait une deuxième reproduction .»

«Il y a une incidence réelle, c'est la pluie que l'on a eue au printemps mais de là à dire que c'est le climat qui l'a provoquée...»

«Il n'y a plus de mortalité importante des jeunes sur l'espèce sanglier»


Vous vous revendiquez comme parmi les premiers écologistes, voyez-vous des évolutions comme on a pu le constater en viticulture avec l'avancée des dates de vendanges notamment ?

«Pour nous, l'espèce sur laquelle on voit le plus d'impact de ce pseudo-réchauffement, c'est le sanglier notamment. Le sanglier est un animal qui reproduit relativement en importance. On s'aperçoit quand même que l'on a des hivers moins rudes et lors des hivers rudes avec de la pluie, de la neige, quand on avait un règlement normal de la reproduction du sanglier, les petits marcassins souffraient de l'humidité et du froid, ce qui faisait que cela éliminait un grand nombre de ces animaux.»

«Là, aujourd'hui, effectivement, on s'aperçoit qu'il n'y a plus de mortalité importante des jeunes sur l'espèce sanglier. (…) Je pense que depuis 10-15 ans, on s'aperçoit que les hivers sont moins rudes mais c'est partout. La population de sangliers a augmenté en France, elle a augmenté en Europe, elle a augmenté dans le monde. Donc, ce n'est pas quelque chose qui ne se passe qu'en Côte-d'Or. Je sais que certains voudraient bien amalgamer les choses en disant que c'est l'agrainage, c'est faux. Par contre, avoir des hivers moins rudes, moins froid, ça n'élimine pas les animaux naturellement comme ça le faisait avant.

Y a-t-il d'autres espèces concernées par l'effet d'hivers moins rudes ?

«C'est plutôt favorable au petit gibier. Ce qui est défavorable pour la reproduction, c'est justement les pluies que l'on a connues au printemps. Le lièvre, par exemple. Ou le garenne, mais le garenne c'est tellement cyclique dans sa reproduction que l'on peut avoir des garennes pendant une année ou deux et puis ils chopent la maladie et ils disparaissent, pas en totalité mais quasi.

«Tout ce qui est les oiseaux qui nichent au sol, ça fait des dégâts immenses. On n'a plus la reproduction que l'on pouvait avoir.»

«On a le perdreau, que ce soit le rouge ou le gris, il y a une incidence forcément partout. On a des contacts par fédération, par amis chasseurs, notamment des départements qui sont encore très bien pourvus avec ce gibier – ce qui n'est plus vraiment le cas chez nous malgré les efforts qui sont faits par les chasseurs – ils se sont aperçus qu'il y avait une baisse de la reproduction cette année.»

«Sur les gibiers de passage, la palombe, la bécasse, la bécassine, les canards... on s'aperçoit qu'il y a une migration mais qui est peut-être moins importante que ce qu'elle était fut un temps. Les hivers étant moins rudes, ils ne ressentent plus le besoin de repartir et certaines espèces – ce n'est pas non plus une généralité – nichent de plus en plus chez nous.»

Un suivi de la proportion de jeunes dans les populations prélevées


Que disent les chasseurs d'autres latitudes, un peu plus au nord ?

«La bécasse, je la trouve dans les bois, chez moi, dans l'Auxois, à 60 km au nord-est de Dijon. On a des bécasses qui arrivent d'habitude à partir du 15-20 octobre. C'est vraiment l'oiseau de passage qu'on connaît.»

«On s'est aperçu qu'il y avait plus de bécasses beaucoup plus tôt mais ces bécasses-là, on sent qu'elles sont restées sédentaires, elles n'ont pas migré, elles ne sont pas descendues en Afrique et elles ne sont pas remontées pour nicher dans l'Oural ou dans les pays de l'est. Ça, à mon avis, c'est aussi le fait des pluies diluviennes que l'on a eues, chez nous mais aussi chez eux.»

«On a très attentif à cela parce que – quoique nos détracteurs en pensent – on fait très attention aux prélèvements que l'on fait suivant les premiers prélèvements. (…) Pour les lièvres, quand ils ont été prélevés, on récolte les pattes pour passer des radios pour regard s'il y a une incidence ou pas sur la reproduction. Si, dans les pattes, on a plus de 60% de jeunes qui sont prélevés à la chasse le premier dimanche, cela veut dire qu'on est dans une excellente reproduction. Si on est à 50% ou 45%, cela veut dire qu'il n'y a pas beaucoup de jeunes. Là, on dit aux chasseurs 'attention, il risque, il ne faut donc pas prélever autant que d'habitude'.»

«On fait de même avec les bécasses. Les vrais bécassiers, à chaque fois qu'on prélève un oiseau, on regarde si c'est un jeune. (…) C'est ce qu'on fait en France. Dans les pays d'Afrique, il n'y a pas cette réglementation. Dans les pays de l'est, malheureusement, ils la chassent longtemps, il n'y a même pas de fermeture. On met juste une petite pierre à l'édifice mais il faut le faire.»

«Nous, bécassiers, on a un protocole grand froid, on n'attend pas qu'on nous dise qu'il faut fermer la bécasse. La bécasse se nourrit de vers, elle peut rester une journée ou deux sans manger. Quand il y a plusieurs jours de gel très profond, il y a un risque d'affaiblissement. On ne va pas tirer des animaux faibles. On va fermer immédiatement. Il faut protéger ces animaux-là. On rouvrira quand les terres ne seront plus gelées et qu'elles pourront se nourrir normalement pour reprendre des forces.»

«Le climat n'a aucune incidence sur le grand gibier»


De même, voyez-vous sur les prédateurs qui sont en concurrence avec les chasseurs, comme le renard, une évolution des populations ?

«C'est cyclique. On s'aperçoit que le renard, dans certains endroits, augmente beaucoup. La régulation ne se fait pas naturellement. Le lien entre le lièvre et le renard, on suit ça depuis des décennies. Quand on a beaucoup de renards sur un territoire, on n'a pas beaucoup de lièvres. Quand on n'a pas beaucoup de renards, on a beaucoup de lièvres.»

«Ce sont des animaux qui vivent très bien l'hiver, ils ont une fourrure. Un oiseau, ça reste un oiseau, le duvet n'augmente pas. Le renard ne souffre pas du climat.»

Et en ce qui concerne les cervidés ?

«Pas par rapport au climat. L'exemple en Côte-d'Or, c'est le fait que le monde agricole ne puisse plus récolter le colza à cause de l'altise, cet insecte qui détruit la production. On s'aperçoit que ces animaux, les cerfs – là où ils étaient concentrés parce qu'il y avait cette nourriture qui était très appétente pour eux – vont se rejeter sur d'autres plantes. Le climat n'a aucune incidence sur le grand gibier.»

«La reproduction des chevreuils et grands cervidés, la reproduction ne se fait pas en pleine hiver alors que le sanglier, c'est en sortie d'hiver, vraiment précoce.»

«Quand il y a une bonne année glandée, il y a une grosse reproduction des sangliers»


On annonce pour la Bourgogne des étés de plus en plus chauds et des hivers de plus en plus humides, pensez-vous que la faune et la flore pourront être résilients ?

«Quand on regarde cette année, le taux d'hygrométrie que l'on a eu, vous allez en forêt, vous ne voyez pas de glands, vous ne voyez pas de faines, vous ne voyez pas de fructification. C'est surprenant parce que, quand il y a un été très chaud, on s'aperçoit que c'est compliqué, il n'y a pas assez d'eau pour que les glands grossissent. Là, cela a une vraie incidence sur les forêts, ça a une vraie incidence sur les animaux [puisque c'est la nourriture de certaines espèces].»

«Il faut que les gens comprennent que l'on est chasseurs et, aussi, on pense à nos animaux. En période de disette, il faut aussi les aider à survivre. Certains vont dire que c'est pour les tuer plus tard, peut-être, mais, en tous les cas, aujourd'hui, la chasse, celle du petit gibier par exemple, s'il n'y avais pas de chasseurs, il y a des espèces de gibier qui auraient totalement disparu de nos territoires. Aujourd'hui, si les chasseurs ne faisaient pas un travail sur le faisan, sur la perdrix, ce sont des animaux que l'on n'aurait plus dans les campagnes.»

«On a le plaisir de les chasser mais on a aussi le plaisir de les voir. Quand je vais dans la nature, quand je vois des faisans hors-chasse, je suis très heureux. Les promeneurs et même les agriculteurs sont contents de voir du petit gibier.»

«On sait très bien que quand il y a une bonne année glandée, il y a une grosse reproduction des sangliers et ce n'est pas les quelques kilos de maïs qui sont mis par semaine dans les bois qui font que la population augmente. (…) Les grands animaux sont des animaux de forêts, la faune se nourrit avec les glands et avec les feuilles des arbres. (…) Il y a une incidence sur les cheptels.»

Les salariés de la fédération des chasseurs de Côte-d'Or recensent les informations des adhérents pour envisager des événements ponctuels pouvant se transformer en phénomènes durables. Des comptages sont également effectués pour orienter les actions de reproduction.

Propos recueillis par Jean-Christophe Tardivon

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