Depuis une ferme de Bourgogne, ce mercredi 31 janvier, la patronne des Verts a regretté de voir le gouvernement faire des écologistes des «boucs émissaires». «Les normes protègent le consommateur», a-t-elle répondu.
«C'est un métier que j'admire beaucoup, c'était le métier de mon grand-père, c'est un métier qui a beaucoup de sens pour les écologistes», déclare Marine Tondelier en arrivant dans une stabulation qui accueille des vaches et leurs petits veaux.
«On travaille à discuter avec la profession à voir comment on s'enrichit mutuellement parce que sans protection des soldes, sans protection de loi, on ne protège pas l'agriculture et que sans les agriculteurs, on ne pourra pas sauver le climat», explique Marine Tondelier pour poser le cadre.
Le ton du déplacement est donné : de «l'admiration» pour contrebalancer les discours critiquant les «normes environnementales» en plein mouvement social et faire des agriculteurs des «alliés» des écologistes plutôt que des antagonistes.
Ce mercredi 31 janvier 2024, la secrétaire nationale d'Europe Écologie Les Verts (qui s'appelleront bientôt simplement Les Écologistes), visite une ferme bio à Villebichot, en plaine de Saône, pour un déplacement de campagne en compagnie de Benoît Biteau, député européen sortant, en vue des prochaines élections européennes.
«Le principal problèmes des agriculteurs, ce sont les revenus et le partage de la valeur»
Agriculture et écologie, peut-on allier ces deux combats ?
Marine Tondelier : «Je ne pense pas que le mouvement actuel soit un mouvement de colère contre écologistes. (…) Le principal problèmes des agriculteurs et de cette profession, ce sont les revenus et le partage de la valeur.»
«En un an, les agriculteurs ont vendu 9% moins cher le fruit de leur production alors que leurs charges explosaient comme celles de tous les Français.»
«Dans le même temps, le prix auxquels nous tous achetons notre alimentation a lui augmenté 8% donc on voit bien qu'on est tous les dindons d'une même farce et qu'au milieu ce sont les marges de l'agroalimentaire de la grande distribution qui ont explosé : plus 80% !»
«Je prends l'exemple d'un éleveur laitier. Il y a un an, il vendait ses mille litres de lait à Lactalis 455 euros. Un an après, il vend ses mille litres de lait à Lactalis 405 euros. Quand vous achetez une bouteille de Lactel d'un litre au supermarché 1,26 euros, vous payez en fait 40 centimes l'éleveur et le reste – évidemment, il y a du transport, de la mise en rayon, etc. – mais on voit que Lactalis à la fin, c'est 43 milliards d'euros de fortune pour deux frères et la sœur qui possèdent ce groupe. C'est ce que gagnerait un éleveur bovin en 2,5 millions ans.»
«Quand vous êtes écrasés comme ça dans cette profession, un à deux suicides tous les jours dans la profession paysanne, 200 exploitations qui disparaissent chaque semaine, 18% la profession qui vit en-dessous du seuil de pauvreté (…) quand vous travaillez 70 heures par semaine, sept jours sur sept, '…) quand vous en êtes là, tout effort supplémentaire demandé, par principe ne peut pas être acceptable.»
«Quand le gouvernement dit ''regardez les écolos, c'est de leur faute'', c'est typiquement le comportement de quelqu'un qui se dédouane, qui n'assume pas. Je trouve ça extrêmement grave de la part d'un Premier ministre parce que ça me fait penser à la stratégie du bouc émissaire. Depuis l'Antiquité, les politiques quand ils ne savaient plus trop quoi dire, qu'ils n'avaient pas de solution, ils désignaient un bouc émissaire, une victime expiatoire qui, par principe était tout le temps innocente, et donc c'est ce qu'ils ont essayé de faire avec les écologistes qui, en réalité, sont les plus fidèles alliés des agriculteurs depuis des décennies.»
«Notre premier candidat à la présidentielle, René Dumont en 1974, était un ingénieur agronome. C'est parce qu'il étudie la science de l'agriculture qu'il vient à l'écologie. Pendant des décennies, on a porté agriculteurs et éleveurs et écologistes, pied à pied, ensemble, un combat constant, déterminé contre le libre échange par exemple, contre l'artificialisation des terres agricoles, pour mettre des produits bio et de qualité, locaux, dans les cantines. La restauration collective, c'est 3,4 millions de repas servi par an.»
«Dans les villes écologistes, on est à des parts de produits bio et locaux bien plus élevées que dans n'importe quelle autre ville.»
«Objectivement, nous sommes des alliés. Qu'on ne soit pas d'accord sur tout, qu'il y ait eu des préjugés mutuels, je je le reconnais. Nous avons toujours travaillé à faire désescalader ces préjugés et à faire travailler ensemble parce qu'on estimait qu'on ne trouverait pas les solutions les uns sans les autres.»
«Plus on fait vert, plus vite on sort du rouge»
Vos propositions sont elles audibles ?
Benoît Biteau : «Il y a biais majeur dans dans dans les revendications qui visent les écologistes, c'est qu'on continue à vouloir opposer écologie et économie. (… ) J'ai côtoyé des expériences agricoles qui montrent que plus on fait vert, plus vite on sort du rouge. Il n'y a plus d'opposition entre l'économie et l'écologie. Tous les centres de gestion nous montrent, aujourd'hui, en France, que les structures qui s'en sortent bien sont celles qui vont vers davantage écologie.
«Donc, il faut qu'on fasse l'effort de pédagogie. Il faut aller à leur rencontre, il faut aller leur expliquer, leur donner des éléments factuels et leur montrer que, en vérité, leurs difficultés, elles sont une difficulté de revenu mais que, si on veut vraiment en sortir, il va falloir qu'on avance sur des pratiques qui font référence à l'agroécologie et qui vont aussi les sortir de la difficulté économique. Ça s'appelle le développement durable : un pilier économique, un pilier écologique, un pilier social.»
«Le maillon faible dans tout ça, c'est les politiques publiques. Aujourd'hui, les politiques publiques ont été votées par les Républicains en France, par la République en marche en France, par le Rassemblement national en France. À l'échelon européen, ce sont des politiques publiques qui font que 80% des aides vont à 20% des agriculteurs. En France, c'est 53% des aides qui vont à 20% des agriculteurs. Ce sont les grosses structures qui récoltent les aides et pendant qu'on fait ça, on a plus de budget pour accompagner la transition qui serait salutaire pour tous les agriculteurs, qui les éloigner de ces dépendances à ce qui coûte cher dans la compatibilité qu'on appelle les intrants, que sont les pesticides et les engrais de synthèse. On a aujourd'hui des démonstrations scientifiques suffisamment robuste pour faire la démonstration que c'est la bonne voie.»
«Le principal problème dans les énergies fossiles en France, ce n'est pas le GNR des tracteurs»
Quelle serait la solution concernant le gazole non routier ?
Marine Tondelier : «L'écologie, elle peut pas être acceptable quand elle n'est pas juste. La manière dont les macronistes font de l'écologie, n'est pas juste. Que ce soit sur les ZFE dans certaines villes, sur le GNR, sur la taxe carbone.»
«Vous êtes agriculteur, on vous dit ''on va vous faire une fiscalité écologique''. Une fiscalité écologique normalement, c'est incitatif.(...) Là, vous jouez sur les taxes du gazole non routier. Quels options l'agriculteur a-t-il d'autre ? (…) la filière des tracteurs électriques est balbutiante. (…) Les agriculteurs sont captifs de cet impôt supplémentaire. Le symbole n'est pas acceptable.»
«Dans un deuxième temps, on leur dit ''ça va coûter 70 millions [d'euros] à la profession mais, rassurez-vous, ces 70 millions [d'euros] là, on va les réinjecter pour les agriculteurs. La FNSEA tope avec Bercy.»
«Dans le détail, la FNSEA revient vers ses troupes et explique quelle compensation elle a obtenu. Vous avez des droits de succession quand vous vendez votre ferme. Jusque maintenant, ils étaient exonérés jusqu'à 350.000 euros, la FNSEA avait négocié que ce serait exonéré jusqu'à 450.000 euros. Mais qui vend une ferme 450.000 euros ? C'est pas les plus petits ! Donc tout le monde payait le gazole plus cher mais les compensations étaient pour les plus riches ! Ce n'était pas acceptable, ils se sont fait jeter par leur base.»
«Le principal problème dans les [énergies] fossiles en France, ce n'est pas le GNR des tracteurs. Qu'il faille développer une filière électrique des tracteurs, évidemment. Mais piéger les gens sans leur donner d'alternative, ce n'est pas acceptable.»
«On les expose les agents de l'OFB à des violences»
La complexité des normes est pourtant dénoncée sur les barrages ?
Marine Tondelier : «Pour ce qui est de [l'Office français de la biodiversité], je veux faire un petit message de soutiens aux salariés de l'OFB parce que je trouve qu'ils deviennent les victimes expiatoires de toute cette affair.»
«Les agents de l'OFB, outre que je pense qu'ils font ce métier-là par conviction, c'est pas eux qui décident de leur propre chef le matin d'aller contrôler telle ferme pour faire appliquer telle norme que je rappelle ils n'ont pas écrite. Leur travail, c'est de répondre à des consignes et de vérifier l'application de normes.»
«Je trouve que quand on monte trop cette affaire en épingle comme c'est en train d'être le cas de la part de politiques, c'est irresponsable, on les expose à des violences. J'ai l'impression que toute la colère des agriculteurs, comme elle ne peut pas se diriger contre le gouvernement quand vous êtes au gouvernement, on la redirige vers l'OFB qui sont des agents de l’État.»
«Ils dépendent d'une double autorité : préfet et procureur. Pourquoi le procureur ? Parce que les agents de l'OFB sont des agents de police. Ça s'appelle la séparation des pouvoirs et l'indépendance de la justice.»
«Les normes protègent le consommateur»
Marine Tondelier : «J'entends beaucoup de politique répéter ''les normes, les normes, les normes''. Qu'il y ait beaucoup de normes et que cela devienne même compliqué à comprendre, c'est un sujet. Quand je vois que le Code rural faisait 700 pages et qu'il en fait 3.000, quand c'est trop dense que plus personne ne maîtrise vraiment, (…) ça marche sur la tête. C'est une maladie française, on le sait. C'est pas à cause de l'écologie, c'est valable dans tous les secteurs.»
«Les normes, elles protègent le consommateur. (….) La norme n'est pas le mal incarné. Ça dépend de quelle norme et pour quoi faire.»
Benoît Biteau : «Les normes, c'est aussi les appellations d'origine protégée qui fait qu'on vend du comté et parce qu'on ne peut faire du comté que sur la zone de production, ça protège la production et aussi sa valorisation économique.»
«On a des communs à protéger. La loi sur l'eau dit ''l'eau est st un commun''. C'est fondamental. On ne pourra pas imaginer une vie sans eau. Si on n'encadre pas la façon dont on utilise l'eau, on est quand même mal parti et c'est quand même un sujet sensible sur l'agriculture.»
«Il n'est pas question de dire ''les agriculteurs, vous n'avez plus accès à l'eau'', il est question de dire ''si on doit avoir accès à l'eau, sachons la partager avec des priorités définies par une réglementation''.»
«Plutôt que de vouloir retirer des normes et c'est là le rôle des politiques publiques, c'est là le rôle que peut jouer la PAC, c'est de rémunérer les gens qui prennent soin de l'intérêt commun, du climat, de la biodiversité, de la santé.»
«Au niveau national, ce gouvernement est en train d'imaginer une loi d'orientation agricole. Quand on commence à regarder ce qu'il y a dedans, on voit bien qu'ils n'ont toujours rien compris. Ils sont toujours bloqués dans le modèle du XXème siècle qui ne protège ni les agriculteurs, ni le climat, ni la biodiversité, ni notre santé. C'est du perdant, perdant, perdant, perdant. Alors qu'on mettrait un peu plus d'écologie, (…), c'est du gagnant pour tout le monde.»
«Nous ne sommes pas les ennemis des agriculteurs»
Marine Tondelier : «Ce n'est quand même pas nous qui avons enfermé le monde agricole dans le modèle productiviste. (…) Ceux qui ont fait ça, ce sont eux les responsables. Ils n'ont plus de solution aujourd'hui à apporter.»
«Nous ne sommes pas les ennemis des agriculteurs. Nous leur tendons la main aujourd'hui comme on l'a toujours fait et on se rend disponibles dans les mois qui viennent.»
«On avait prévu avec Benoît [Biteau] de rencontrer la FNSEA, c'est dans 15 jours, et d'aller faire une tournée de tout type de ferme avant le Salon de l'agriculture (…) comme on l'avait l'année dernière.»
«On a quand même un problème global de mépris dans ce pays parce qu'en fait, on demande des efforts mais toujours aux mêmes. On a demandé quand des efforts aux plus riches ? La taxe sur les super profits, ça pourrai être fait maintenant ! Le rétablissement de [l'impôt de solidarité sur la fortune], cela pourrait être fait maintenant !»
«On demande des efforts aux chômeurs, aux mères célibataires, aux gens qui touchent [l'aide personnalisé au logement], c'est inacceptable ! La réalité, c'est que si les AESH, si les professeurs, su les infirmières, elles auraient aussi bloqué la France depuis longtemps.»
Marine Tondelier a terminé son propos en annonçant la prochaine venue dans la région de Marie Toussaint, la tête de liste du parti écologiste aux élections européennes.
Propos recueillis par
Jean-Christophe Tardivon
Benoît Biteau, député européen sortant, et Marine Tondelier, secrétaire nationale d'Europe Écologie Les Verts, le 31 janvier 2024 à VilleBichot (photographie JC Tardivon)