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29/07/2021 12:18

INTEMPÉRIES : «De mémoire d'homme, cette crue-là, on ne l'avait jamais vue», déclare un agriculteur du val de Saône

Les représentants de la préfecture de la Côte-d'Or sont allés constatés les dégâts dus aux inondations en périphérie de Seurre ce mardi 27 juillet. «Il faudrait que Dijon et toutes les grandes métropoles gardent leur eau !» ont signalé certains agriculteurs, mettant en cause les conséquences de l'imperméabilisation des sols et demandant à faire évoluer la loi sur l'eau.
Les inondations viennent fragiliser l'activité économique des agriculteurs mais aussi des acteurs touristiques comme les campings. Chaque inondation, a fortiori de grande ampleur, remet en cause de futures installations d'exploitation agricole sur le territoire.

Pour alerter les pouvoirs publics sur la situation à l'issue des crues en val de Saône survenues autour du 20 juillet dernier, la chambre d'agriculture de la Côte-d'Or, la FDSEA 21 et les Jeunes Agriculteurs 21 ont organisé une visite au milieu des champs encore humides en périphérie de Seurre ce mardi 27 juillet 2021.

Vincent Lavier, président de la chambre d'agriculture de la Côte-d'Or, a accueilli la délégation conduite par Christophe Marot, secrétaire général de la préfecture de la Côte-d'Or, et Myriel Porteous, sous-préfète de l'arrondissement de Beaune.


Parmi les élus étaient présents Christian Morel (divers gauche), vice-président du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté en charge de l’agriculture, de la viticulture et de l’agroalimentaire, ainsi qu'Emmanuelle Coint (LR) et Gilles Delepeau (divers droite), conseillers départementaux du canton de Brazey-en-Plaine.

Vingt fois plus de pluies en juillet 2021 qu'un an auparavant


Une semaine après le pic de la crue, les fossés sont encore remplis, bien des champs retiennent une eau stagnante et les cultures dépérissent sur pied. Les intempéries sont survenues quelques jours seulement avant la moisson potentielle des céréales. Le maïs allait entrer en phase de fécondation. Le soja s'est retrouvé noyé.

D'après les agriculteurs présents, depuis le 1er juillet dernier, il a plu 186 mm à Bonnencontre contre 9 mm sur tout le mois de juillet 2020. «De mémoire d'homme, cette crue-là on ne l'avait jamais vue», lance Jean-Pierre Fleury, 74 ans, ancien maire de Labergement-lès-Seurre, agriculteur en polyculture élevage. Il faut remonter à 1983 pour se souvenir d'une crue estivale qui avait conduit à abriter les vaches.

Les dégâts sont considérables. En Côte-d'Or, un premier bilan évoque que 2.500 hectares de grandes cultures ont été impactés ainsi que 2.000 hectares de prairies. En Saône-et-Loire, ce sont environ 10.000 hectares ont été concernés en grandes cultures et 3.000 hectares de prairies. Le Jura a également été touché par la crue du Doubs, affluent de la Saône.

«Ces bassins de rivière sont à gérer en global. (..) Il faut que l'on ait une cohésion entre l'ensemble du bassin de la Saône et du Doubs», analyse Emmanuel Buisset qui représente la Coopérative Bourgogne du sud.

Pour illustrer le propos, l'établissement public territorial de bassin Saône et Doubs montre aux autorités une vue satellitaire du val de Saône le 21 juillet, au lendemain du pic de crue. Les taches de bleu sont innombrables.

Jacques Carrelet de Loisy, président du comité régional des céréales Bourgogne-Franche-Comté, évoque pour sa part un bilan en cours de réalisation en attendant le récolte de maïs notamment et rappelle que «la filière céréalière compte pour l'économie du territoire».

«Je veux qu'on me dise ce que l'on va faire de nous à l'avenir»


«Ça fait 80 ans que mes parents sont agriculteurs, la rivière, ils la connaissent. (…) Maintenant, on subit, on ne peut plus anticiper. (…) Les animaux vont bientôt passer plus de temps chez moi que dehors. (…) Du fric, je n'en veux plus. Je veux qu'on me dise ce que l'on va faire de nous à l'avenir», déclare Christophe Emery, éleveur bovin en race à viande à Perrigny-sur-l'Ognon. Un témoignage révélateur du désarroi des agriculteurs.

L'éleveur signale qu'il dissuade ses enfants de reprendre l'exploitation familiale dans ce contexte : «il n'y a aucune perspective. Tu es dans le sec, tu crèves ; tu es dans l'humide, tu crèves. Il n'y a pas de juste limite». «On représente 2% de la population : on compte pour rien. Pourtant, c'est nous les acteurs ici. (…) Il y a un an, on nous prenait en considération parce qu'on alimentait la population. Un an après... pfff...», déplore-t-il.

«La variable d'ajustement de l'urbanisme des villes»


L'ensemble des acteurs agricoles présents pestent contre une approche écologique aboutissant à l'actuelle loi sur l'eau. «Vous vous trompez en pensant que de rien faire, on va retrouver un espèce d'équilibre historique mais tout a été touché par la main de l'homme», déclare ainsi Jean-Luc Loizon, agriculteur à Bonnencontre et élu à la chambre d'agriculture.

L'urbanisme est aussi mis en cause par les agriculteurs : «il faudrait que Dijon et toutes les grandes métropoles gardent leur eau !» signale Jean-Luc Loizon. «Comment voulez-vous que notre plaine qui n'est pas entretenue arrive à absorber les surfaces bétonnées des grandes métropoles ou des autoroutes ?» se demande-t-il.

«On ne va pas tolérer encore bien des années d'être la variable d'ajustement de l'urbanisme des villes. L'instant est grave !», ajoute Jean-Luc Loizon qui craint de nouvelles expression de colère de la part des agriculteurs.

Le val de Saône, bassin de rétention des eaux de facto


Pour autant, les agriculteurs tentent d'aborder la situation avec pragmatisme en sachant se remettre en cause. «Face à ça, si tous les travaux que l'on vous avait proposées avaient été faits, je suis au regret de reconnaître que ça n'aurait pas empêché aujourd'hui. On ne peut rien faire contre les volumes d'eau qui sont tombés», indique Jean-Luc Loizon.

Il y a plusieurs décennies, il avait été proposé que plusieurs communes servent de bassin de rétention des eaux avec des indemnisations pour les agriculteurs : Labergement-lès-Seurre, Chivres, et Écuelles (à quelques kilomètres de Seurre, en Saône-et-Loire).

«J'étais largement favorable, j'étais ridicule vis-à-vis de la profession, j'étais un fou. On a quand même servi de bassin de rétention des eaux», regrette Jean-Pierre Fleury.

«Si on doit servir de bassin de rétention, qu'on nous le dise dès à présent !» lance Christophe Emery, éleveur bovin en race à viande à Perrigny-sur-l'Ognon. «Pendant des années, on a refusé Natura 2000. On bloquait les ponts de la Saône, on était fier à la fin d'avoir refusé, il y a trente ans. Je regrette d'avoir refusé. On nous paierait pour entretenir le paysage et on servirait à ça mais notre boulot, ce n'est pas ça», explique-t-il.

La loi sur l'eau en question


«On a la chance d'avoir des territoires qui sont globalement bien entretenus, pas seulement par le monde agricole. La France fait plaisir à traverser, elle est belle. (…) La main de l'homme, depuis des millénaires, a façonné le paysage avec des résultats plutôt intéressants. Aujourd'hui, d'un seul coup, on n'a plus le droit de toucher à rien. On dit pas qu'il faut faire n'importe quoi. Il y a plein de choses qui nous semblent relativement faciles à mettre en œuvre pour essayer de minimiser les effets de ces phénomènes climatiques. Malheureusement, ce n'est plus possible. On voudrait faire en sorte que la loi sur l'eau puisse changer», explique Vincent Lavier.

Point positif, s'il faut en trouver un, «VNF a été au rendez-vous, je considère qu'ils ont bien fait leur travail», estime Jean-Luc Loizon ; Le travail réalisé avec Voies Navigables de France pour contribuer à ralentir la montée des eaux commence «à porter ses fruits» selon Vincent Lavier.

Selon eux, la gestion des canaux par Voies Navigables de France a permis de gagner 30 centimètres. Or, selon lui, plus ou moins 30 cm de hauteur d'eau, c'est 300 hectares inondés en plus ou en moins.

Une demande de dérogation pour entretenir les fossés


Devant les représentants de la préfecture et de la direction départementale des territoires, les échanges se crispent sur la gestion des fossés. Une problématique qui reste à travailler car les agriculteurs constatent qu'après le pic de crue, l'eau ne s'écoule pas des fossés. Leur entretien est réalisé soit par un syndicat mixte idoine soit par les riverains à partir d'autorisations dispensées par la DDT.

«Il y a des connaissances qui sont détenues par le monde agricole en termes d'entretien des fossés et des cours d'eau et sur lesquels à chaque fois on a le sentiment qu'on est juste là pour dire des choses parce que ça nous arrange», fulmine Fabrice Genin, président de la FDSEA de la Côte-d'Or.

Le syndicaliste demande «un peu plus de liberté sur la gestion des cours d'eau» tout en réfutant vouloir «aller à la pelleteuse dans la Saône» comme le laisserait penser certaines caricatures. «Il y a des choses qui ne coûtent rien, il faut simplement faire un peu plus confiance au monde agricole et arrêter de dire 'vous allez détruire la nature'», fulmine-t-il.

Fabrice Genin met en avant l'expertise des agriculteurs, fustigeant lui aussi la loi sur l'eau amenant à supprimer les petites retenues artificielles au titre de la continuité écologique mise en oeuvre notamment par les agences de l'eau.

La chambre d'agriculture demande donc à pouvoir réaliser des «expérimentations» de curage de fossés. Une pratique encadrée par la loi sur l'eau dont les décrets pourraient permettre des dérogations afin de mener ces expérimentations.

Vincent Lavier a alors beau jeu de se référer au «droit à l'expérimentation» mis en avant par le président de la République. En réponse, la DDT annonce qu'elle expertisera les décrets afin de proposer des pistes de travail pouvant aboutit à un protocole.

La DDT, «coincée entre le marteau et l'enclume»


Dans la foulée, Jean-Luc Loizon revient sur «la façon dogmatique» dont sont produites les législations autour de la problématique de l'eau, des législations considérées comme «inadaptées».

L'approche contraste avec la manifestation du 6 avril dernier à Dijon qui avait vu le portail de la DREAL être enfoncé, symbolisant le mécontentement à l'égard de l'administration. Cette fois, c'est bel et bien le législateur qui est alerté.

«On voit bien que les gens de l'administration de notre département sont assez sensibles aux dossiers qu'on leur apporte mais sont contraints à respecter une loi qui est ainsi faite. Ils sont coincés entre le marteau et l'enclume», analyse Jean-Luc Loizon.

«Je crains qu'à un moment l'accumulation de sinistres comme celui-là pousse les gens à changer de métier – on va se retrouver avec de grandes zones non cultivées donc peut-être avec un retour avec une espèce de forêt primaire – mais ça voudra dire que ce les gens mangeront ne viendra pas de France», envisage-t-il.

Une aspiration à «un plan ambitieux de stockage de l'eau»


«On demande du pragmatisme, de la réactivité et de la simplicité dans les dossiers», martèle Emmanuel Bonnardot, président du canton de Seurre pour la FDSEA 21, à l'adresse du représentant du préfet en refusant de nouvelles études puisque les précédentes – remontant à 1983 – n'ont pas été déclinée concrètement. «Les sites de rétention ont été étudiés et on n'a toujours rien fait, quarante ans après. On connaît le problème, maintenant il faut faire», assène-t-il.

«Aujourd'hui, on a encore la chance d'avoir des pluviométries importantes dans notre pays. Il faut absolument que l'on ait un plan ambitieux de stockage de l'eau dans le double but de juguler les inondations mais aussi d'avoir de l'eau parce qu'on a connu trois sécheresses intensives les trois dernières années», exhorte Jean-Luc Loizon.

«C'est un choix politique sur l'aménagement du territoire», rebondit Emmanuelle Coint (LR), l'élue départementale du canton de Brazey-en-Plaine ayant siégé au sein de l’ÉPTB Saône et Doubs, qui relaie la position de François Sauvadet consistant à «collecter l'eau en période de pluie pour la réutiliser sur période sèche».

Christian Morel renvoie la balle dans le camp de l’État et souligne que la Région a déjà inscrit dans son schéma d'aménagement du territoire la «non-artificialisation des sols». L'élu régional demande aux acteurs agricoles un «bilan» avant d'envisager un plan d'urgence similaire à celui mis en place à la suite des dernières sécheresses.

Pour sa part, Gilles Delepeau (divers droite), regrette la réglementation «compliquée» sur l'eau et que la filière agricole ne soit pas représentée dans les instances auxquelles participent les communes.

La surinondation et les services environnementaux en réflexion


Concernant les aides, Vincent Lavier demande à ce que les territoires touchés par les inondations en Bourgogne-Franche-Comté et en Grand-Est s'associent afin de plaider auprès du Premier ministre, l'instauration d'un dispositif similaire à celui dont les viticulteurs et arboriculteurs ont bénéficié à la suite du gel du mois d'avril dernier. Un tel dispositif d'aides économiques publiques à des acteurs privés nécessite l'accord de la Commission européenne.

Il fut un temps où la chambre d'agriculture ne voulaient pas entendre parler des paiements pour service environnementaux. «On veut se battre pour continuer à produire dans cette zone», répondait alors Vincent Lavier à ces interlocuteurs de la DDT. Le changement climatique amène une inflexion dans la politique de la chambre consulaire qui est prête à réfléchir à ce principe impulsé par la politique agricole commune européenne.

Pour alimenter cette réflexion à venir, Vincent Lavier signale la démarche du Grand Paris qui octroie des budgets pour la gestion de la surinondation en amont de la Seine afin de protéger les populations de la capitale notamment.

On retrouve là le principe qui présidé à la création de lacs artificiels comme ceux de la Forêt d'Orient dans l'Aube ou comme celui de Pannecière dans la Nièvre. Si cette piste était retenue par la filière, la chambre pourrait envisager de solliciter le Grand Chalon et Lyon Métropole.

Rendre les assurances agricoles obligatoires ?


Sur le volet assurantiel, d'un côté les agriculteurs constatent que les mécanismes actuels «ne conviennent pas», de l'autre un représentant de Groupama signale que la part agricole est déficitaire chez cet assureur et demande à rendre les assurances agricoles «obligatoires».

«Le système des calamités agricoles est à bout de souffle et ne satisfait plus les agriculteurs parce que les événements arrivent avec trop de récurrence», résume Christophe Marot en évoquant une «solidarité nationale» parallèlement aux mécanismes assurantielles.

Affiner Vigicrues


La vigilance autour des crues est également passée en revue par les agriculteurs qui évoquent avoir été obligés de rentrer leur bétail du fait de la montée des eaux avant même le niveau orange signalé par Vigicrues. «La communication sur la montée des eaux a été difficile», résume Aurélien Vieillard, agriculteur à Labergement-lès-Seurre.

Christophe Marot défend alors un système prévu pour la protection des populations et déclencher l'éventuelle évacuation des habitations. «Si on peut faire mieux en termes de pré-alerte, il faut qu'on le fasse», déclare le secrétaire général de la préfecture, songeant  une maille plus fine à réfléchir pour prévenir les agriculteurs, les habitants en bordure de champs inondables et les campings installés près de rivières.

Rendez-vous dans un mois


À la suite de cette visite de terrain, Christophe Marot fera remonter dans la semaine un bilan au ministère de l'Agriculture : «c'était important que l’État vienne sur le terrain pour se rendre compte des dégâts. Il faut apporter des réponses rapides. Notre rôle, c'est d'établir le constat le plus précis possible. Ensuite il y a des actions à enclencher à court terme, puis à moyen et long terme».

In fine, la chambre d'agriculture sollicite un rendez-vous fin août pour un nouveau point d'étape et «avancer tous ensemble sur le dossier».

Jean-Christophe Tardivon































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