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13/09/2023 03:16
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SAONE ET LOIRE : Un anthropologue de l'Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie à la barre de la Cour d’assises

En décembre 2018, le propriétaire d’une carrière située à Marmagne, en Côte d'Or, – soit à plus de 20 km du domicile de la victime, qui vivait à Semur en Auxois - découvre, alors qu’il s’apprêtait à y planter des arbres, deux jambes et un crâne...
Franck Nolot est anthropologue à l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN). Ce mardi 12 septembre 2023, il dépose, au deuxième jour d’un procès en appel, devant la Cour d’assises de Saône-et-Loire. Un juge d’instruction avait demandé son expertise dans le cadre d’une sordide affaire : en décembre 2018, le propriétaire d’une carrière située à Marmagne (21) – soit à plus de 20 km du domicile de la victime, qui vivait à Semur en Auxois - découvre, alors qu’il s’apprêtait à y planter des arbres, deux jambes et un crâne (en partie).

L’identification des ossements ne traîne pas : ce sont ceux d’une femme portée disparue depuis le 20 avril 2018. Sa disparition fut vite signalée : la femme, âgée de 78 ans, était fragilisée par un début de démence – elle était sous curatelle -, des infirmières passaient chaque jour chez elle, son absence ne pouvait pas passer inaperçue.
Le 27 avril, un juge d’instruction était saisi d’une procédure en recherches des causes de sa disparition. Les enquêteurs entendent tout l’entourage de la femme. L’hypothèse d’un suicide leur paraît peu probable, mais on ne la retrouve pas, jusqu’au 19 décembre : elle est morte, depuis suffisamment longtemps pour que des animaux aient eu le temps non seulement d’en manger quelques morceaux, mais sans doute d’en déplacer. « La possibilité de transport par animaux est de 4 km » explique l’expert de la gendarmerie.

Un ou des coups par objet contondant donné(s) avec « une énergie importante »
L’expertise ADN ne délivre pas d’autres informations mais les enquêteurs estiment que vu le trajet il était impossible que la victime se soit rendue à pied à 20 km de son domicile. On ouvre une information judiciaire contre X du chef de meurtre.
Franck Nolot, l’expert anthropologue, examine dans un premier rapport les restes d’os qui lui sont confiés. Il en tire quelques certitudes : il n’y a pas eu de tir sur le corps, il ne trouve aucune trace de blessures par objets tranchants ou coupants. Sa conclusion : les lésions relevées sur ce qui restait du crâne indiquent un ou des coups par objet contondant donné(s) avec « une énergie importante ».

Un homme est mis en examen et placé sous mandat de dépôt
Éric Mathais, alors Procureur de la République à Dijon, diffuse, le 4 décembre 2019, un communiqué de presse dans lequel il annonce que « les investigations ont permis de mettre en cause un homme âgé de 58 ans, demeurant à Genay, connaissance de la victime ».
L’homme en question, placé en garde à vue le 2 décembre, avait reconnu avoir conduit la femme jusqu’à la carrière et être responsable de sa mort. Il est mis en examen et, placé sous mandat de dépôt, il est écroué depuis le 4 décembre 2019.

Un homme intrusif, envahissant, quémandant
Cet homme, c’est Bruno A. Il vit à Genay avec femme et enfant. Il dit avoir connu la victime en 2012, il faisait alors de menus travaux chez des particuliers dans son quartier. Par la suite il avait fait quelques travaux chez elle, allait y boire le café, passait chez elle.
Il ressort des auditions des gens du quartier et tout particulièrement des femmes d’un âge que Bruno A. se montrait intrusif, envahissant, quémandant à qui un café, à qui un peu d’affection. Il était par ailleurs connu de la justice, notamment pour le vol et l’utilisation frauduleuse de la carte bancaire de la victime, il fut jugé et condamné en 2014 pour cela.

Sa ligne de défense consiste à disqualifier les gendarmes, ses avocats, etc.
Ce mardi 12 septembre, la Cour a passé l’enregistrement d’une des auditions filmées pendant la garde à vue, car l’accusé, jugé et condamné pour meurtre (sur personne vulnérable) à 24 ans de réclusion criminelle, a demandé à être rejugé et sa ligne de défense consiste à disqualifier à peu près tous les actes des professionnels de justice : les gendarmes comme ses avocats de l’époque.
Alors puisque les gendarmes l’ont contraint à « inventer » une histoire, en lui mettant une pression pas possible, puisque ses deux avocats (celui qui l’assistait pendant l’instruction, celui qui a plaidé pour lui au premier procès) n’ont pas fait ce qu’ils auraient dû faire, la présidente Céline Therme montre aux jurés et aux juges qui l’encadrent, ce que disait l’accusé le 3 décembre 2019.

« J’ai pris le caillou, j’ai trébuché et je suis tombé avec le caillou sur elle »
Que donne à voir l’audition ? Un homme habillé d’une chemise dont le col repose sur un sobre pull bleu. Un homme qui avait alors les cheveux courts. Un homme qui ne manifeste aucun signe de stress particulier.
Il porte aujourd’hui les cheveux longs, une veste kaki sur une marinière, il a une allure d’homme des bois. On aurait imaginé l’inverse : homme des bois à l’époque, séminariste à l’audience.
Que donne à entendre l’audition ? Un homme qui dit une chose, l’affirme mais a du mal à être cohérent : il commence par dire qu’emmenant la dame « faire un tour » en voiture, il s’est arrêté à la carrière parce qu’elle voulait « faire pipi ». Qu’allant voir pourquoi elle ne revenait pas, il l’a trouvée portant « un caillou de 5 à 10 kg ».
« Elle fait : ‘J’ai envie de me foutre en l’air’. Je luis fais : ‘Fais pas ça, mamie’. J’ai couru, j’ai pris le caillou, j’ai trébuché et je suis tombé avec le caillou sur elle, c’est tout le poids qui s'était écrasé sur sa tête. J’ai pris panique, j’ai dissimulé son corps sous de la mousse, des feuilles, et je suis parti. » Comment explique-t-il que les lunettes de la dame ont été retrouvées intactes, puisqu’il affirme qu’elle les portait ? Il ne l’explique pas.

Il lit une prière pendant la diffusion de l’audition
Pendant la diffusion de l’audition, l’accusé reste beaucoup courbé en avant, puis il plaque ses mains sur ses oreilles, puis il sort un papier de sa poche et le lit.
Cela n’échappe pas aux jurés qui font demander ce qu’il fait et pourquoi. Les mains sur les oreilles : « J’ai mal à la tête. » Le papier ? « C’est une prière. » Pourquoi lire une prière pile à ce moment-là ? « J’avais envie de lire un peu. »

Autre version : « Elle m’a demandé de mettre fin à ses jours et je l’ai fait »
Frédéric Jacques, avocat général, demande qu’on visionne en partie l’audition suivante, faite le même jour. David Curiel, avocat de l’accusé, demande qu’on la voie en intégralité. Puisque son client soutient que la gendarmerie a poussé un innocent à s’accuser d’un crime, juste pour tenir un coupable, l’avocat traque les suggestions dans les questions des enquêteurs.
Bref, seconde version : « Elle m’a demandé de mettre fin à ses jours et je l’ai fait. » Il était positionné comment ? « J’étais debout, et elle, elle avait la tête entre mes pieds. »

Versions compatibles avec les constatations de l’anthropologue
La juge d’instruction demande alors un second rapport à Franck Nolot : ce qu’il tire des examens des os est-il compatible avec les versions qu’a données l’accusé ?
La réponse est « oui ». Le gendarme ne saurait donner d’autres certitudes : il manque trop de parties du corps, dont la totalité du torse, pour pouvoir affirmer que le ou les chocs sur le crâne sont la cause directe du décès, au sens où « on » aurait pu étouffer la victime avant de lui massacrer la tête.
Et puis il manque la face, donc impossible d’en extraire la moindre information. En tout état de cause l’expert a relevé une méga fracture sur le front, une autre sur la mandibule gauche (« qui provient d’un autre choc que le choc frontal), et une à l’arrière et dans le bas du crâne mais qui pour lui est causé par l’impact sur l’avant, dont l’énergie s’est propagée, créant cette lésion-ci.

 Une fracture « arciforme »
La Cour fait passer à l’écran une photo du reste du crâne. Les parties civiles, membres de la famille de la victime, baissent alors le regard, pour se protéger, pour se préserver un peu. La photo est édifiante : une fracture « arciforme », en forme d’arc, ceint le front.
On frémit un peu, en entendant l’accusé déclarer aux gendarmes pendant sa garde à vue que lorsqu’il a frappé le crâne avec son gros « caillou », ça a saigné « vers l’œil gauche », « mais c’était pas enflé », « c’était blanc ».
L’avocate des parties civiles, maître Berthelon, monte à l’assaut en toutes occasions, mais l’accusé maintient sa position (c’est les gendarmes qui lui ont fait du chantage, il a cédé pour pouvoir revoir son fils et sa femme, dit-il) même si chacun lui met ses contradictions sous le nez. Il se réfugie alors à l’abri de l’enfant qu’il fut : « Je ne suis pas intelligent, à l’école j’étais un cancre. »

La présidente porte l’estocade, il en crache son dentier
La présidente en début d’après-midi a porté l’estocade. Sur le ton égal qui est le sien, elle lui pose une question dont la déflagration atteint l’accusé.
« Expliquez-nous comment, à partir de vos premières déclarations (en garde à vue, ndla, les auditions qu’on a visionnées), vous avez pu donner une version compatible avec les lésions constatées (qu’il ignorait et cela a entraîné la seconde mission confiée à l’expert de l’IRCGN, ndla) ? »

L’accusé ne dit rien, semble réfléchir. On croit qu’il va parler mais fausse alerte, il crache quelque chose dans sa main. Silence. Nouveau hoquet, on guette ses paroles, mais non, il crache de nouveau dans sa main. Il vient d’expulser ses dentiers.

« Est-il possible que vous ne vous sentiez pas mal quand vous ne souhaitez pas répondre aux questions qui vous sont posées ? » observe la présidente qui repose sa question initiale. L’homme répond : « Parce que pendant ma garde à vue, les gendarmes m’ont dit quoi répondre, j’ai dit ‘oui’ à tout. » On a vu ses auditions. Il ne se contentait pas de ‘oui’, il parlait. Bref.
« Vous avez bénéficié, monsieur, en garde à vue, de toutes les garanties que prévoit la loi, et s’il y avait eu un problème vous avez eu toutes les occasions de le dire, au médecin, en entretien confidentiel avec votre avocat, au juge d’instruction. Comment vous expliquez tout ça ? » Il souffle, ne dit rien.

La position de l’accusé fait obstacle à la question du mobile
Au cours des jours qui ont suivi la disparition de cette femme dont les os sont toujours sous main de justice vu que le procès se rejoue, l’accusé n’a montré aucun signe d’inquiétude, alors qu’il dit d’elle qu’elle était sa « confidente ». Sa position au procès fait obstacle à la question du mobile, forcément.
Les conditions de la mort de cette femme âgée et vulnérable resteront, sauf surprise avant la fin des débats, inconnues. Si l’accusé est de nouveau dit coupable, on voit deux mobiles possibles : l’argent (il en manquait à l’époque), ou le sexe ?

Sordide pour sordide
L’homme fut jugé et condamné (en correctionnelle) pour une tentative de viol sur une personne âgée. Une condamnation ancienne et réhabilitée de plein droit, dont il a parlé ainsi : « j’ai payé ma dette à la société ». Il contourne ainsi la question de la victime.
Il a dit aussi : « ça fait 4 ans que je suis enfermé pour des conneries. » Maître Berthelon ne l’a pas raté : « C’est ignoble. » A sa suite l’avocat général fait part de son ras le bol : « C’est grotesque ce que vous nous faites, monsieur, c’est grotesque ! Et ça fait deux ans que ça dure ! » Maître Curiel doit, lui, assister un bougre dont l’état ne s’est pas arrangé en prison. Un homme à l’enfance elle-même « sordide » disait un expert lors du premier procès.

Rien que l’idée est monstrueuse
Au sortir de ce second jour de procès, on se dit que l’idée même d’appeler cet acte barbare, cruel, monstrueux - écraser une tête d’une personne avec une pierre -, un « suicide assisté », cette idée-là est elle-même monstrueuse.
Florence Saint-Arroman

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