> Vie locale > Vie locale
04/04/2022 03:26

ALIMENTATION : L'éleveuse Émilie Jeannin appelle à «trouver des filières qui rémunèrent les paysans»

D'un côté les enjeux européens, de l'autre les enjeux locaux. Ce samedi 2 avril à Chenôve, lors d'une conférence sur la souveraineté alimentaire organisée par des écologistes, Émilie Jeannin a expliqué comment elle en était venue à développer un abattoir mobile allant de ferme en ferme.
«L'alimentation [est] un vrai enjeu de civilisation, et pas que de société, aussi bien au niveau européen, international et planétaire, et aussi au niveau local», déclare Catherine Hervieu en introduisant l'intervention d'Émilie Jeannin dans le cadre d'une conférence sur «La souveraineté alimentaire à l’épreuve du climat et des conséquences de la guerre en Ukraine».

Ce samedi 2 avril 2022, la conférence est organisée par le comité côte-d'orien de soutien à Yannick Jadot, candidat d'Europe Écologie Les Verts à l'élection présidentielle. L'expérience locale et concrète d'une responsable agricole faisant évoluer son outil de travail intéressait donc la vingtaine de personnes présentes à l'Hôtel des sociétés à Chenôve.

«Tout au long de la chaîne, respecter la vie de l'animal»


Parallèlement aux enjeux de production agricole, Catherine Hervieu commence par souligner l'enjeu du bien-être animal afin de «tout au long de la chaîne, respecter la vie de l'animal et, au final, pour arriver à 15% de part de viande dans notre alimentation, que ce soit de la qualité, que ça ne nous empoisonne pas, que tout le monde s'y retrouve et que les producteurs et productrices en amont puissent vivre dignement et correctement de leur métier, à la hauteur du service rendu par une alimentation».

Se revendiquant «éleveuse militante», Émilie Jeannin défend tout à la fois les producteurs de viande et la bien-traitrance animale par plusieurs axes : son activité professionnelle d'éleveuse depuis 2006 dans l'Auxois, à Beurizot, et son engagement syndical pour la Confédération Paysanne qui lui fait siéger notamment à la section bovine nationale de l'Interprofession du bétail et de la Viande (INTERBEV).

«Au niveau français, tous les dérèglements climatiques ne sont pas liés à l'élevage», indique Émilie Jeannin en préambule de son propos, incitant à faire «la distinction entre production animale intensive, industrielle, et l'élevage, parce qu'on est dans une région d'élevage». Et de prendre l'exemple de l'eau : «quand on regarde les cartes nationales de pollution de l'eau, on se rend compte que c'est là où il y a de l'élevage herbagé – comme on le pratique ici en Bourgogne, dans le Massif Central, dans les espaces de montagne et autres – que l'eau est de meilleure qualité».

Un secteur très concentré


L'éleveuse commence par un point d'histoire, rappelant que l'abattage d'animaux relevait d'une mission de service publique jusqu'en 1957, date à laquelle la France s'aligne sur la réglementation européenne.

Devant les investissements nécessaires pour effectuer des mises aux normes, des abattoirs communaux sont alors cédés à des entreprises privées. La concentration du secteur amène le groupe Bigard à devenir aujourd'hui un géant de l'industrie agroalimentaire avec notamment 28 abattoirs.

«On a fait en sorte que les abattoirs deviennent des usines de mort, on a concentré le nombre d'animaux, les cadences, on travaille à des rythmes fous, comme dans les usines de montage automobile, ce sont des usines de démontage d'animaux», analyse l'éleveuse.

«Les filières sont très verticales en France et n'ont plus de lien avec les territoires», déplore Émilie Jeannin qui souligne le fait qu'un animal peut traverser la France en bétaillère pour être abattu avant que la viande ne revienne être vendue en grande distribution à proximité du lieu de production pour un affichage local.

«J'ai fait un travail de lobby toute seule»


Ayant appris qu'un abattoir mobile allant de ferme en ferme existait en Suède, la Côte-d'Orienne a fait le déplacement en 2016 pour étudier le dispositif du point de vue de l'hygiène, du process et du bien-être animal.

«J'ai fait un travail de lobby toute seule pour démonter les arguments des lobbyistes», signale-t-elle à l'assistance, précisant avoir reçu «des menaces de mort» car «ça ne plaît pas aux industriels et ça ne plaît pas non plus aux associations animalistes». La loi Egalim de 2018 a fini par intégrer l'expérimentation d'abattoir mobile.

Au gré du succès du documentaire «La ferme d'Emilie», réalisé par Nathalie Lay en 2019 (retrouver la vidéo), l'éleveuse constate alors «une attente sociétale très forte». «Ce sont les consommateurs qui ont fait que ça a agi», indique-t-elle.

En 2020, en pleine crise sanitaire, alors que tous les regards se tournent vers les circuits courts, un message sur les médias sociaux lui permet de lever 600.000 euros en six semaines auprès de six investisseurs. Un financement participatif sur la plateforme Mimosa apporte 250.000 euros supplémentaires en cinq jours. «Les banques étaient beaucoup plus réactives», relate sobrement l'entrepreneuse. Néanmoins, des subventions sont encore en attente.

«Améliorer la qualité de la viande»


L'abattoir mobile a été mis en fonction en septembre 2021 pour des interventions auprès d'une trentaine de fermes de Côte-d'Or et de Saône-et-Loire.

Parallèlement à l'abattoir mobile, une marque a été créée pour commercialiser la viande : le Bœuf éthique. Ainsi, les animaux sont achetés aux éleveurs, sont mis à mort dans les fermes et sont commercialisés sous cette marque.

Les professionnels, restaurateurs et bouchers, représentent 70% de la clientèle, les collectivités locales 10% et les particuliers 20%, notamment à partir du site web.

«Il y a urgence à agir pour trouver des filières qui rémunèrent les paysans et que les paysans restent sur les territoires», alerte Émilie Jeannin qui considère que les deux objectifs initiaux sont atteints : «que les éleveurs aient une solution pour mieux abattre leurs animaux» et «améliorer la qualité de la viande : la viande a plus de goût, plus de tendreté».

Pour autant, la porte-parole de la Confédération paysanne estime que «ce n'est pas juste dire aux consommateurs 'c'est à vous de faire des choix éclairés'» car «le consommateur paie la PAC en tant que citoyen» donc «il est en droit d'exiger une alimentation de qualité qui permette de ne pas tomber malade et de préserver la ressource et la planète pour ses enfants».

Jean-Christophe Tardivon

Les écologistes défendent «des politiques qui permettront d'augmenter le pouvoir d'achat»


«La souveraineté alimentaire doit être décidée par les élus d'un pays, pas par le privé», alerte le député européen écologiste Claude Gruffat


«Il faut prendre la mesure que le grand sujet, c’est le climat», lance l’écologiste Catherine Hervieu


«Je ne vois pas de victoire de Mélenchon, alors pourquoi faudrait-il voter pour lui au 1er tour...», déclare Sandra Regol, porte-parole de Yannick Jadot