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17/03/2023 01:31

DIJON : Les esprits s'enflamment après l'annonce du 49-3

Fumigènes, feux d'artifice, mannequin à l'effigie d'Emmanuel Macron brûlé, poubelles incendiées... La thématique du feu a marqué le rassemblement organisé à Dijon, ce jeudi 16 mars, pour contester la réforme des retraites.
Un sentiment de colère et un parfum d'insurrection étaient perceptibles dès le début du rassemblement contre la réforme des retraites, ce jeudi 16 mars 2023, à Dijon.

Au figuré, l'annonce de la Première ministre du recours au 49-3 a mis le feu aux poudres. Au sens littéral, des manifestants ont allumé des incendies dans plusieurs villes en France.

Après huit journées de manifestations que certains jugeaient trop sages, la tension ne pouvait qu'exploser au regard du psychodrame qui s'est joué entre l’Élysée et l'Assemblée nationale dans la journée.

Si Solidaires 21 était à l'origine du rassemblement (lire le communiqué) – non déclaré à la préfecture de Dijon – l'intersyndicale a rapidement embrayé le pas, suivie par la coordination de la NUPES 21.

700 personnes rassemblées place de la République


Rien de spontané donc à se retrouver place de la République. Au point même que, contrairement aux habitudes prises au gré des manifestations depuis janvier dernier, les participants sont en avance sur l'heure annoncée. Une centaine de personnes dès 17 heures 30 et jusqu'à 700 au plus fort du rassemblement, selon la police.

Du côté des politiques, on retrouve des figures de la NUPES comme Antoine Peillon (LFI) et Christine Renaudin-Jacques (G.s). En revanche, pas de représentants des Verts ni du Parti socialiste qui avaient sans doute anticipé la tournure des événements.

«Le gouvernement a usé de tous les artifices constitutionnels», selon la FSU


Le camion de Force ouvrière déboule sur la place, la sono diffuse «l'Internationale». La moitié de la place déjà remplie, les représentants de l'intersyndicale prennent rapidement la parole.

Pour la FSU de Côte-d'Or, Fabian Clément ouvre le bal. «Les salariés, jeunes, retraités et plus largement toute la population ont massivement exprimé leur rejet de la réforme des retraites portée par le gouvernement», clame le syndicaliste.

«Le gouvernement a usé de tous les artifices constitutionnels pour que les débats parlementaires soient limités. Aujourd’hui pour couronner le tout, de nouveau le 49-3. C’est une honte ! Le 49-3 aujourd’hui et la manifestation la plus éclatante de l’échec de ce gouvernement», analyse Fabian Clément.

FO appelle à «radicaliser» la contestation


Pour Solidaires 21, Théo Contis indique que «s'il y a des initiatives, chacun pourra y prendre part ou non, chacun fera ce qu'il veut». Le ton est modéré mais le propos anticipe sur ce qui pourrait se passer.

Pour FO, Franck Laureau fustige la réforme des retraites «injuste et brutale» du haut de son traditionnel escabeau. Le syndicaliste ajoute que le recours au 49-3 rend le texte du gouvernement «illégitime». «La revendication est claire, c'est le retrait du projet de réforme des retraites», martèle-t-il.

«Nos organisations syndicales ont eu jusqu'à présent une attitude responsable et républicaine en laissant le processus parlementaire aller à son terme. Malgré cela, le gouvernement utilise de nouveau l'article 49-3, c'est pour cela que l'union départemental Force ouvrière de Côte-d'Or appelle aujourd'hui toutes ses structures à durcir le mouvement et à le radicaliser (…) pour faire reculer le gouvernement», lance Franck Laureau, très en verve. Un «à la mairie», fuse aussitôt dans la foule.

«C'est un vrai bras d'honneur à la démocratie», aux yeux de la CGT


Pour la CGT, Fred Pissot prend la parole avec potentiellement un futur syndicaliste sur les épaules. «Le gouvernement décide de passer en force, c'est un vrai bras d'honneur à la démocratie», proteste-t-il. «Nous devons hausser le niveau de mobilisation dans les entreprises, dans les actions, dans les mobilisations.»

«Des actions qui seront aussi de blocage de l'économie», poursuit-il. «Si le gouvernement et ses amis du MEDEF, du grand capital veulent ça, on va leur faire !» clame le syndicaliste sous les applaudissements de la foule.

Brasier de mannequins symbolisant l'exécutif


Une «action incandescente» ayant été annoncée, les manifestants se tournent devant la banderole de l'intersyndicale. Devant elle, les représentants de la CFDT ont déposé sur les pavés de la place de la République quatre mannequins aux effigies de membres du gouvernement et du président de la République : Olivier Véran, Emmanuel Macron, Élisabeth Borne et Olivier Dussopt. Un syndicaliste déverse un liquide inflammable, une autre allume le brasier sous les vivas de la foule.

Ces mannequins avaient servi pendant les défilés depuis plusieurs semaines. En les détruisant par le feu, la CFDT tourne symboliquement la page de cette phase de la contestation de la réforme des retraites.

De ce fait, l'intersyndicale, qui a validé l'opération, a recours à une forme de violence symbolique contre un exécutif sorti des urnes des séquences électorales de 2022.

«Avec le 49-3, le dialogue est mort», selon la CFDT


Interrogée par Infos Dijon, Laure Nicolaï, secrétaire générale Bourgogne-Franche-Comté de la CFDT, explique l'action : «il n'y pas d'acte de violence particulier, il n'y pas de blessés. (…) Ça nous paraît être un beau symbole que de brûler l'exécutif qui vient de brûler l'espoir des travailleurs face à leur retraites. (…) Aujourd'hui, avec le 49-3, le dialogue est mort, les mannequins le sont aussi».

Actualisé le 17 mars 2023 :


Le 17 mars 2023, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT au niveau national a réagi par un message sur Twitter : «Ce qui s’est passé à Dijon hier soir est inacceptable et inexcusable. La CFDT rejette toute violence même symbolique. Notre détermination à lutter contre la réforme des retraites est entière. Elle doit s’exprimer dans le respect des biens et des personnes.»

Pour la FSU, «le gouvernement doit faire machine arrière»


«C'est le folklore des manifestations», explique également Fabian Clément, interrogé par Infos Dijon. «C'est un exutoire». «C'est bon enfant mais il y a une vraie colère derrière», souligne-t-il.

Le syndicaliste considère que «la vraie violence, c'est de vouloir faire travailler encore deux ans de plus des gens qui sont déjà épuisés au travail». «Les ouvriers qui font les trois-huit ont une espérance de vie inférieure, les égoutiers, les éboueurs... Dans beaucoup de professions, les cadences sont devenues infernales. Il y a des burn out, des épuisements. La vraie violence, c'est de dire du haut de Paris qu'on est une France de feignants, qu'on n'a pas la valeur travail.»

Et de développer : «On a du respect pour la véritable démocratie. La véritable démocratie, c'est qu'il y a des élections. Ce n'est pas une élection une fois tous les cinq ans d'un Jupiter qui permet de décider de tout. C'est faux ! Il faut regarder les chiffres : l'abstention, le contexte du deuxième tour contre l'extrême-droite. Voir aussi les députés, lors des législatives, dans quelles conditions ont-ils été élus ? Ils ne représentent pas exactement la photographie du pays. Il y a un projet de loi, il y a des pétitions de plus d'un million de personnes, il y a des manifestations massives pendant des semaines et des semaines, des sondages constants et concordants qui disent 75% de la population est opposée à ce projet. Un véritable gouvernement démocratique ne peut pas ignorer cela, il ne doit pas ignorer cela. Il doit constater qu'il s'est trompé, qu'il n'est plus en phase avec la population et il doit faire machine arrière.»

«On bloque le tram»


Parallèlement, un homme vêtu de noir gravit le monument en hommage à Sadi Carnot au centre de la place de la République et tague «L'heure est à la révolte» juste au-dessus de la statue figurant la Douleur.

Là, «on bloque le tram» fuse, suscitant l'enthousiasme de nombre de manifestants. La plupart des troupes de la CFDT se désolidarisent, commençant à quitter le rassemblement. Idem pour la CFTC. D'autres manifestants de la CGT, de la FSU partent également mais FO et Solidaires restent en force.

Peu après 18 heures, les lignes T1 et T2 se retrouvent effectivement bloqués, de nombreux voyageurs se dirigent vers la gare à pied en remontant le boulevard de la Trémouille.

«La meilleure retraite, c'est l'attaque»


Un petit groupe de manifestants s'avancent vers l'entrée de la rue de la préfecture dont des individus vêtus de noir tenant des fumigènes et une pancarte «La meilleure retraite, c'est l'attaque ou la contre-attaque». De facto, cela devient la tête de cortège d'une nouvelle phase de la mobilisation du jour.

Assez rapidement, les policiers positionnés près de l'Hôtel de la préfecture tirent des grenades lacrymogènes en direction des manifestants. Des voitures circulant encore boulevard de la Trémouille, une certain confusion s'installe entre manifestants sur le départ, manifestants en place, voyageurs, conducteurs, passants et spectateurs.

Plus d'une centaine de personnes se regroupent derrière la pancarte et remontent alors le boulevard de la Trémouille puis bifurquent rue des Godrans. Des slogans révolutionnaires marquent les murs, du mobilier urbain cède sous les coups de marteau. Des zones de chantier laissées sans sécurisation sont renversées, des pavés sont récupérés.

Le cortège prend la direction des halles et butent sur les policiers qui continuent de protéger la préfecture comme lors des manifestations de Gilets jaunes. Les forces de sécurité intérieure recourent de nouveau aux gaz lacrymogènes, les grenades sont renvoyées par les manifestants, contribuant à noyer dans la fumée les terrasses de bars situées entre les protagonistes.

Des poubelles incendiées


La tension monte, redoublée par l'enthousiasme des manifestants, grisés de pouvoir accéder à la rue de la Liberté. Les chants antifascistes résonnent dans le centre-ville.

C'est jour de dépôt de cartons à l'extérieur des commerces. Des feux sont allumés sur le trajet. Place de la Libération, le conducteur d'une benne à ordure recule en voyant le flux des personnes arrivant devant l'Hôtel de Ville à 19 heures pile.

La caméra de surveillance est rendue inopérante, des poubelles sont entassées devant la grille de la cour d'honneur et incendiées.

Interventions des policiers et des sapeurs-pompiers


Les policiers interviennent de nouveau pour repousser les manifestants et permettre aux sapeurs-pompiers d'éteindre le feu, le plastique des poubelles dégageant une épaisse fumée noire. Les sapeurs-pompiers auront également à inonder les autres foyers résiduels au centre-ville.

L'objectif «à la mairie» ayant été atteint, les manifestants se dispersent qui vers la place du Théâtre, qui vers une assemblée générale sur le campus, qui en direction de la Cité de la Gastronomie. Les policiers devront user de nouvelles grenades lacrymogènes rue Monge pour détourner de cet objectif.

Selon Solidaires 21, la tension avec les policiers s'est poursuivie jusque devant la Maison des syndicats, dans le quartier Tivoli (lire le communiqué).

Un homme placé en garde à vue


En fin de soirée, l'état-major de la sécurité publique de la Côte-d'Or déplorait des incidents dus à «la mouvance anarcho-libertaire». Rue de la Liberté, une vitrine d'un commerce au moins a été vandalisée à coups de marteau.

Rue de la préfecture, un individu ivre qui provoquait les policiers a été interpellé pour avoir participé à un attroupement. Un marteau ayant été trouvé dans son sac, l'homme a été placé en garde à vue.

Le préfet «condamne» les violences


Dans un communiqué, Franck Robine, préfet de la Côte-d'Or, a condamné «fermement ces débordements inacceptables et les violences commises qui sortent du cadre républicain».

Le préfet a annoncé qu'il porterait plainte «au nom de l’État» pour l'incendie du mannequin à l'effigie du président de la République (lire le communiqué).

François Rebsamen lance «un appel au calme»


Le maire de Dijon François Rebsamen (PS, FP) a également réagit par un communiqué :

«Dans la foulée du rassemblement spontané organisé place de la République après l'usage du 49.3 à l'Assemblée nationale sur la réforme des retraites, des incendies de poubelles, des tags et bris de vitres et d'abris bus ont été commis par une poignée de manifestants.»

«Je condamne ces actes avec fermeté. Ils n'ont rien à voir avec l'esprit de  responsabilité dont ont fait preuve les organisations syndicales, que je tiens à saluer, lors des journées de mobilisation intersyndicales déclarées.»

«Dans un contexte politique inédit et difficile, je lance un appel au calme.»

«Je tiens à remercier la police nationale et la police municipale, mais aussi  les services municipaux qui ont assuré le nettoyage de la ville.»

«Si le droit à manifester et la contestation pacifique sont légitimes en démocratie, la dégradation et les incendies ne sont pas acceptables.»

Prochaine manifestation le 23 mars


Pour les prochains jours, Solidaire 21 appelle à «multiplier» les «actions de blocage de l'économie».

Au niveau national, l'intersyndicale incite à «des actions de proximité» avant une nouvelle manifestation, le jeudi 23 mars prochain.

Jean-Christophe Tardivon

Le ton monte contre la réforme des retraites, à Dijon, le 23 mars