Une cinquantaine d'agriculteurs bio ont manifesté, ce mercredi 7 février, à Dijon, pour défendre les «normes environnementales». Le lendemain, en session, la présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté a alerté sur la «grande difficulté» de la filière bio.
«Un cerisier ? Un pommier ? Je vais les amener à Besançon, il y a plus de place qu'ici !» Marie-Guite Dufay réagissait à l'action d'une cinquantaine d'agriculteurs bio venus manifester devant l'Hôtel de Région, ce mercredi 7 février 2024, à Dijon.
La présidente du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté était entourée d'une dizaine d'élus régionaux, issus des groupes Notre Région par cœur et Écologistes et solidaires participant à la majorité, venus marquer leur soutien à l'agriculture biologique, sujet à l'ordre du jour de la session plénière prévue pour durer trois jours. Élu d'opposition, Jean-Philippe Saulnier-Arrighi (Agir) est également sorti à la rencontre des manifestants.
Les bio défendent les «normes environnementales»
Le Groupement des agrobiologistes de Côte-d’Or (GAB 21) avait organisé une manifestation «strictement pacifique» avec l'objectif de «planter des arbres» au centre-ville de Dijon et ainsi se différencier «d'autres syndicats agricoles».
Autrement dit, le GAB 21 entendait prendre le contre-pied du rassemblement de 300 agriculteurs organisé au même endroit, le 15 décembre dernier, par la FDSEA et les Jeunes Agriculteurs de la Côte-d'Or, ayant engendré 200.000 euros de dégâts (
lire notre article).
Au mot d'ordre «la bio ne peut pas tolérer de retours en arrière sur les normes environnementales», les agriculteurs bio revendiquent principalement le retour de l'aide au maintien, un plan d'urgence de 271 millions d'euros, un soutien des paiements pour services environnementaux, le respect de la loi Égalim et l'adaptation des contraintes sanitaires à leur filière.
Des arbres fruitiers pour la présidente
Symboliquement, les arbres fruitiers ont été «plantés» au pied du bâtiment. Concrètement, les petits arbres tenaient sur leurs racines étalées, lestés sur le trottoir par des mottes de terre parcourues de vers pour signifier la qualité des sols.
L'Hôtel de Région dijonnais étant bordé d'un jardin appartement au Département de la Côte-d'Or, la Région ne peut donc planter là à son gré, contrairement au bâtiment de la collectivité à Besançon.
«Pensez bien à nous qui rendons des services environnementaux»
«Il y a un engouement des jeunes», a déclaré Marie-Guite Dufay au regard des installations en agriculture biologique. Agriculteur bio depuis 1965, éleveur dans la plaine de Saône, Bernard Krempp a saisi la balle au bond : «il faut les accompagner ! (…) Il faut de la formation, de l'enseignement supérieur agricole.»
«Pensez bien à nous qui rendons des services environnementaux, qui favorisons la biodiversité, qui avons des parcelles souvent sur les captages d'eau», a témoigné un agriculteur.
«On a mis les anciens bio en difficulté parce qu'on leur a enlevé l'aide au maintien»
«Les aides à la conversion étaient pour convertir des agriculteurs pour répondre à la restauration collective mais le marché est à 7% alors qu'il devait être à 20%, il n'y a pas le débouché», a exposé Geoffroy Gavignet, président des Agribiologistes de Côte-d'Or (GAB 21), alors que le débat s'engageait au pied du bâtiment sous une pluie battante. «On a mis les anciens bio en difficulté parce qu'on leur a enlevé l'aide au maintien.»
«Depuis 25 ans que je suis en bio, je vis mes années les plus difficiles», a témoigné un autre agriculteur, installé dans le Châtillonnais, «j'ai perdu 15.000 euros [par an]».
«On veut transmettre notre ferme à notre fils, c'est très compliqué. Avec les signaux que le gouvernement envoient, je ne sais pas quelle perspective on lui donne pour l'avenir», a-t-il poursuivi.
«Mes produits ne sont pas chers !», assure un fromager bio
«Vu qu'il n'y a pas assez d'aides pour la bio, c'est le consommateur qui paie la différence», a analysé, Christian Morel (sans étiquette), vice-président de la Région chargé de l'agriculture. «Soit tu es très motivé pour acheter de la bio, soit tu as un revenu très haut.»
«Je ne comprends pas que la bio soit plus chère que le conventionnel», a-t-il confié, «il faut que l'on remette en cause ce modèle-là». «Cela fait partie de la transition écologique», a glissé Stéphanie Modde (EELV), vice-présidente de la Région en charge de cette thématique.
«Mes produits ne sont pas chers !», a réagi un producteur de fromage de chèvre, regrettant le cliché de la cherté du bio.
«Comptez sur moi !», a lancé Marie-Guite Dufay avant de retourner présider les débats de l'assemblée régionale tandis que la manifestation repartait.
«Nous voulons soutenir les filières émergentes, l'agriculture biologique et l'alimentation de proximité», expose Christian Morel
«L'agriculture est un secteur international», a lancé Christian Morel (sans étiquette), alors que l'assemblée régionale, ce jeudi 8 février 2024, passait du sujet de la solidarité internationale à celui du soutien aux agriculteurs.
«Nous voulons soutenir les filières émergentes, l'agriculture biologique et l'alimentation de proximité», a exposé le vice-président chargé de l'agriculture, précisant qu'une enveloppe de 1,18 million d'euros sera fléchée en direction des filières émergentes et biologique ainsi qu'une autre de 370.000 euros pour «la promotion des produits agricoles», notamment au travers d'«événements d'envergure».
«La relocalisation de l’alimentation et la diversification des profils et productions régionales agricoles conduisent à l’émergence de filières, nouvelles et/ou petites, que la Région prévoit d’accompagner. Elle poursuit également son soutien pour structurer les filières biologiques, en particulier sur les thématiques d’organisation des filières, d’accompagnement technico-économique et de communication», indique la collectivité.
«Travailler à de nouveaux modèles économiques» pour l'agriculture
«Nous devons travailler à de nouveaux modèles économiques viables et vivables», a enchaîné Fabrice Voillot (divers gauche), conseiller régional en charge de l'alimentation de proximité, «la relocalisation d'alimentation peut-être un levier d'action parmi d'autres». «Relocaliser l'alimentation, c'est travailler en direct avec les producteurs, travailler avec les outils du territoire existant ou outils à créer.»
«L’écolo-bashing est non seulement inapproprié mais contre-productif», a estimé Amandine Rapenne (Cap 21) en écho au mouvement social des agriculteurs. «Il est essentiel de rappeler que la lutte contre l’utilisation de certain produits phytosanitaires n’est pas une attaque contre l’agriculture mais une mesure de protection de la santé publique et surtout de protection pour les agriculteurs eux-mêmes.»
Les élus écologistes demandent d'augmenter les aides régionales pour la bio
«Le soutien annoncé par le Premier ministre à l’agriculture biologique française est ridicule !», a estimé l'élue du groupe politique régional des Écologistes et solidaires. «50 millions d’euro au niveau national pour la filière bio, (…) c’est 800 euros par ferme.»
Au niveau régional, si Amandine Rapenne s'est félicitée des enveloppes indiquées par son collègue Christian Morel, elle lui a demandé également que «le taux d’intervention de notre Région soit porté à 80%, versus 70% aujourd’hui, pour que cette politique soit véritablement incitative pour les porteurs de projets».
La Région soutient les «actions collectives» accompagnant la bio
À ce jour, dans le cadre d'appels à projets lancés la la Région Bourgogne-Franche-Comté, le dispositif évoqué par Christian Morel a vocation à «soutenir les actions collectives contribuant à l’accompagnement et à la structuration des filières biologiques à l’échelle régionale» avec un maximum d'intervention fixé à 70% du montant éligible du projet.
Les structures soutenues peuvent être des associations, des chambres consulaires, des syndicats professionnels agricoles, des collectivités territoriales, des établissements publics ou encore des instituts techniques agricoles.
Plutôt que de soutenir la conversion en bio, «il faut stabiliser les filières»
«Sur le modèle des régions Occitanie, Nouvelle Aquitaine ou encore Pays de la Loire, notre groupe propose également que la Région étudie cette année la possibilité de prendre en charge l'aide au maintien alors que l’État français, de part cet abandon, pénalise une filière pourtant vertueuse», a indiqué Amandine Rapenne.
Concernant le maintien, «la bio dépend de l’État», a insisté Christian Morel. «On a aujourd'hui en région Bourgogne-Franche-Comté, une enveloppe de 28 millions d'euros qui est fléchée pour la conversion des agriculteurs. Je pense, avec les agriculteurs bio, dans l'état actuel du marché de la bio, il n'est pas obligatoire de continuer à faire un nombre de conversions aussi importantes que celles qui ont eu lieu ces dix dernières années. Il faut stabiliser les filières, construire des filières et aider les agriculteurs bio qui sont en place. C'est pourquoi nous menons un combat commun avec les gens de la filière bio pour que ces 28 millions [d'euros] que possèdent l’État soient dirigés vers du maintien et de l'organisation de filière.»
L’État prépare un «plan bio»
«La bio est objectivement une filière en grande difficulté, pas que dans notre région mais dans toute la France», a réagi Marie-Guite Dufay (PS), présidente du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. «C'est l’État qui a la responsabilité sur la bio.»
Un «plan bio» est en cours de préparation par la collectivité et la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt pour «consolider la filière».
«Nous verrons à ce moment-là comment nous pouvons accompagner», a signalé Marie-Guite Dufay. «C'est vrai que les moments qui sont nécessaire pour l'aide au maintien dépassent totalement les capacités de la Région (...) mais je suis très vigilantes sur ce sujet», a ajouté la présidente de la collectivité, sans écarter la proposition faite par Amandine Rapenne sur l'augmentation de l'intervention régionale.
Le rapport a été adopté à l'unanimité par les élus régionaux.
Jean-Christophe Tardivon