
Le Haut-Commissaire au Plan a participé à la dernière Journée métropolitaine de la mandature, ce samedi 6 septembre, à Dijon. Alors que de l'aveu même de François Rebsamen, «les heures du Premier ministre sont comptées», Clément Beaune a appelé sur «le temps long» à «prendre conscience» du choc démographique et de ses conséquences pour les politiques publiques.

Chaque année, les Journées métropolitaines constituent un temps de travail institutionnel où sont invités les maires et conseillers municipaux des 23 communes de la Métropole de Dijon. Elles sont complétées par des temps «Citoyens et curieux» proposées à l'ensemble des habitants pour visiter des équipements de la collectivités.
Ce samedi 6 septembre 2025, à Dijon, la Journée métropolitaine a pris une saveur particulière puisqu'il s'agissait de la dernière de la mandature qui prendra fin avec les élections municipales de mars 2026. Ce fut aussi la plus fréquentée avec près de 150 personnes qui ont suivi les interventions.
Clément Beaune pour parler de démographie ainsi que de transports
L'invité d'honneur était Clément Beaune, Haut-Commissaire à la Stratégie et au Plan depuis 2025, ancien ministre successivement de l'Europe et des Transports dans les gouvernements de Jean Castex et d’Élisabeth Borne. Clément Beaune a adhéré un temps au Parti socialiste puis a soutenu Emmanuel Macron en 2016.
Succédant au commissariat au Plan fondé par le général de Gaulle en 1946, le Haut-Commissariat à la Stratégie et au Plan constitue un «éclaireur public». Faisant l'apologie du «temps long», Clément Beaune s'est exprimé sur des sujets de démographie ainsi que de transports.
«Les heures du Premier ministre sont comptées»
Au début de son discours d'ouverture, François Rebsamen (FP), président de la Métropole de Dijon, a adressé une pensée à la famille du quadragénaire décédé des suites de tirs survenus à Marsannay-la-Côte, le 4 septembre dernier (
lire le communiqué).
Celui qui est également ministre du gouvernement de François Bayrou a rapidement commenté la politique nationale alors que le Premier ministre a prévu de solliciter la confiance des députés, le 8 septembre prochain.
«Les heures du Premier ministre sont comptées», a lancé François Rebsamen. «Il y a un risque d'instabilité. (…) C'est surtout de stabilité que les entreprises et nos concitoyens ont besoin.»
Incertitude sur le parcours législatif du statut de l'élu
Le ministre avait repris le chantier du statut de l'élu et soutenait une proposition de loi qui devait être présentée en deuxième lecture au Sénat après avoir été votée à l'unanimité au palais Bourbon : «j'espère que celui ou celle qui sera en responsabilité, le 24 septembre, pourra continuer ce travail».
«C'est une manière de rendre hommage à tous les élus et de les assurer de pouvoir exercer leur mandat», a expliqué François Rebsamen aux élus en attente d'un tel statut.
«La bonne nouvelle est que les citoyens aspirent à beaucoup plus de décentralisation, c'est à dire de pouvoir d'autonomie et de normes que pourraient prendre nos collectivités locales», a-t-il poursuivi avant de railler «le poids de la bureaucratie parisienne».
Et de citer l'ancien président de la République François Mitterrand : «la France a eu besoin de la centralisation pour se faire et a besoin de décentralisation pour ne pas se défaire».
«La fonction expose à la détresse de nos concitoyens», a constaté François Rebsamen, «mais nous ne pouvons pas accepter cette violence dans notre République».
«À une forme de lassitude s'ajoute une forme d'inquiétude sur les aspects budgétaires», a-t-il relayé, «nous espérons que l'effort de la dette sera limité à 7% soit 3,2 milliards d'euros». «La plupart des communes de France seront exemptées.»
Le versement mobilité pour financer les infrastructures de transports en commun
Le ministre de l'Aménagement du territoire et de la Décentralisation a rencontré le président de Départements de France François Sauvadet (UDI) : «nous avons bien avancé, (…) la situation préoccupante pour une quarantaine d'entre eux va s'arranger».
«Quant aux Régions, elles bénéficient de la possibilité d'augmenter le versement mobilité de 0,15%», a-t-il complété. «Le MEDEF national était opposé, il est souvent opposé à tout ; au niveau régional, ce n'est pas toujours le cas, il y a des secteurs qui le réclament.»
L'outil du «SERM du Dijonnais»
«La fréquentation de notre tram augmente de manière continue», a relevé François Rebsamen, «les déplacements se font de plus en plus de manière décarbonée».
«Notre réseau reste proche de la saturation, les aménagements vont nous faire gagner quelques années mais à terme, il faudra résoudre ce problème. (…) On a choisi de travailler sur une troisième de ligne de tram.»
«Les déplacements représentent 28% des émissions de gaz à effet de serre», a-t-il analysé à l'échelle de la métropole dijonnaise, «les modes de transports durables sont un levier précieux». «Diminuer les émissions de gaz à effet de serre, c'est diminuer le nombre de voitures qui rentrent dans la métropole».
Pour cela, la collectivité compte sur les services express régionaux (SERM) et a constitué un groupe d'échanges, le «SERM du Dijonnais», composé également de 16 intercommunalités, du Département et de la Région. Le territoire concerné rassemble 75% des habitants de la Côte-d'Or.
La métropole dijonnaise gagne des habitants
«La question démographique fait partie des grands enjeux», a souligné le président de la Métropole de Dijon, «elle est en croissance équilibrée». «Dijon Métropole porte la croissance démographique du département et, avec Besançon, celle de la région. Cela fait de Dijon Métropole la métropole française de taille intermédiaire la plus attractive. (…) Notre évolution démographique, par le solde migratoire, est favorable.»
En revanche, dans son ensemble, la France connaît un «retournement démographique» : «même Madame Meloni se tourne vers l'étranger pour faire venir de manière organisée des travailleurs d'autres pays [NDLR : issue des rangs de l'extrême-droite, Giorgia Meloni est présidente du conseil des ministres d'Italie depuis 2022]».
En France, un pic de population active en 2035
Au niveau national, l'heure est grave selon Clément Beaune qui fait de la démographie «une question alarmante».
S'appuyant sur la note «Des écoles au marché du travail : la marée descendante de la dénatalité», rédigée par l'économiste Maxime Sbaihi et diffusée le 4 septembre dernier (
retrouver la note), Clément Beaune a donc alerté sur le «double choc» que connaît la démographie française depuis cette année.
Pour la première fois depuis 1945, la France devrait présenter un solde naturel négatif en 2025 alors que, encore récemment, l'INSEE n'envisageait ce phénomène que dans dix ans.
Les effectifs continueront de baisser dans les établissements scolaires puis les établissements d'enseignement supérieur. En conséquence, la population active devrait connaître son pic en 2035 avant de diminuer.
Du chômage de masse à la généralisation des métiers en tension
«Tous les gouvernements européens ont de très grandes difficultés à inverser cette tendance profonde», a constaté le Haut-Commissaire, «il faut repenser beaucoup de nos politiques publiques à l'aune du décrochage démographique». «D'ici moins de dix ans, les plus de 70 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans, ce n'est jamais arrivé. (…) C'est le cas déjà de 20 pays européens.»
«Toutes nos politiques sur l'emploi visent à lutter contre le chômage de masse», a-t-il souligné, «on va avoir la problématique exactement inverse : on manquera non plus de travail mais de travailleurs. Les métiers en tension deviendront une norme généralisée.»
Et d'appeler à la «prise de conscience» des élus locaux.
Combien de personnes à transporter dans dix ans ?
Plaidant pour la création «d'outils de temps long», Clément Beaune a appelé à «réinventer» les plans quinquennaux notamment pour piloter les politiques de transport, articulées avec la question démographique puisqu'il s'agira désormais de se demander «combien de personnes à transporter ?» dans dix ou vingt ans.
De ce fait, l'orateur a estimé que «les politiques étaient trop centrées sur la demande plutôt que sur l'offre» : «on parle beaucoup trop d'infrastructures que d'usages».
«On ne fera pas la décarbonation par la décroissance»
Alors que «le réseau [ferroviaire français] est plus vieux que la moyenne européenne», Clément Beaune a incité «d'abord entretenir le réseau qui existe».
«Décarboner en général et décarboner les transports en particulier, c'est polluer moins et bouger plus», a-t-il anticipé tout en considérant qu'«on ne fera pas la décarbonation par la décroissance».
Ainsi, en tant que ministre, Clément Beaune avait défendu notamment les services express régionaux métropolitains (SERM) en insistant sur «la notion de service» : «ce seront d'abord des services pour celles et ceux qui habitent un peu loin des offres de transports métropolitaines».
Le serpent de mer du TGV Dijon-Lille
Au moment des échanges avec la salle, Jacky Gentet, conseiller municipal de Fénay, a été le premier à réagir pour demander la remise en service de la liaison TGV Dijon-Lille, selon lui très pratique notamment pour «prendre l'avion» ou encore «aller à Disneyland». Un propos particulièrement applaudi par l'assistance.
«On a fait une pétition», a réagi François Rebsamen qui a rappelé l'accord obtenu en début d'année auprès du PDG du groupe SNCF Jean-Pierre Farandou (
lire notre article), une démarche qui se heurte toutefois à des contraintes pratiques et budgétaires.
Le principe serait de s'appuyer sur des trajets Lille-Montpellier effectués par des TGV à deux rames dont une se séparerait à Roissy pour desservir potentiellement Dijon, Besançon et Mulhouse.
D'un côté pratique, la ligne PLM passant par Dijon connaît actuellement des travaux de modernisation ce qui ne favorisent pas la remise en service d'une desserte. De plus, SNCF Voyageurs attend l'arrivée des nouveaux TGV-M d'Alstom pour libérer du matériel ancien à cette fin.
Par ailleurs, le groupe SNCF demande aux collectivités de supporter en partie le coût de cette liaison TGV Lille-Mulhouse en ayant avancé une première estimation globale de 12 millions d'euros annuellement.
«Avec un bureau d'études, on s'est aperçu que la somme de 12 peut être ramenée à 6», a glissé François Rebsamen. Un coût qui pourrait être encore revu à la baisse si les TGV ne vont pas jusqu'à Besançon et Mulhouse.
Le ferroutage reprend en Bourgogne-Franche-Comté
Interrogé sur le fret ferroviaire par Jean-Claude Girard (sans étiquette), maire d'Ouges, Clément Beaune a regretté le manque d'investissement dans ce domaine. De plus, le Haut-Commissaire a déploré que le transport combiné soit «très peu développé en France».
«Si sur un trajet de 50 km, vous avez déjà décarboné sur 30 km, c'est déjà un effort énorme», s'est-il enthousiasmé, considérant la voiture comme «la solution du dernier kilomètre».
«Depuis trois ans, le ferroutage reprend, notamment en Bourgogne-Franche-Comté», a précisé Michel Neugnot (PS), vice-président de la Région chargé notamment des transports.
«Les gens aimeraient avoir plus d'enfants qu'ils n'en ont effectivement»
Philippe Belleville (sans étiquette), maire de Sennecey-lès-Dijon, est revenu sur le sujet de la démographie en interrogeant l'orateur sur les éventuelles politiques natalistes des pays européens.
«À chaque fois que l'on met en place des politiques natalistes, ce sont les femmes qui trinquent», protestera par la suite Céline Tonot (PS), maire de Longvic.
Préférant donc parler de «politique familiale» plutôt que de «politique nataliste», Clément Beaune a considéré que la France était «généreuse par rapport aux autres pays européens».
«En Hongrie, le déclin démographique est plus prononcé que chez nous et continu», a-t-il relevé. «Les politiques de chèque ne font pas l'inversion de la courbe démographique.»
«Les gens aimeraient avoir plus d'enfants qu'ils n'en ont effectivement», a-t-il noté, «on pourrait avoir plus de démographie». «Cet écart existe partout en Europe»
«En Bourgogne-Franche-Comté, la dépopulation date de 2015», a précisé Michel Neugnot, «en dix ans, on a perdu un tiers des naissances».
Interrogé par Antoine Hoareau (PS), adjoint au maire de Dijon, sur les causes de la baisse de la fertilité Clément Beaune a renvoyé à la prochaine publication par le Plan, en octobre, d'une étude sur la santé et l'environnement.
Les pistes de réflexions pour préserver le modèle social français à l'aune de la baisse démographique
«Quand bien même on aurait des politiques qui permettraient de rétablir une démographie défavorable, il y a une période longue pendant laquelle ce ne sera pas le cas», a poursuivi Clément Beaune. «Il y a des questions d'équilibre des charges et d'organisation du travail femmes-hommes.»
Pour «garder les éléments centraux de notre modèle social», le Haut-Commissaire a incité à «compenser de la main d’œuvre par de la productivité et de la compétitivité», de réfléchir aux sujets de «la quantité de travail globale» (ce qui a des implications sur l'âge de départ à la retraite et intègre notamment la problématique du chômage des jeunes) et d'«augmentation de la main d’œuvre» comme ce fut fait durant les Trente Glorieuses par l'immigration de travail.
«Tous les pays européens qui connaissent un déclin démographique plus avancé dans le temps ont des débats sur ces stratégies-là», a-t-il conclu. «C'est un débat de société, il vaut mieux le poser maintenant, avec encore un peu d'anticipation, plutôt que de le subir, dans une compétition internationale et européenne très forte, dans 5 ou 10 ans.»
«On a une belle relation entre les 23 communes»
Durant cette réunion, les maires des communes de la métropole se sont également exprimés, en regroupant leurs propos en ateliers modérés par Vincent Harbulot : «Vivre ensemble : communes et métropole», «Politiques sociales et urbaines partagées», «Communauté de destins et attractivité territoriale» ou encore «Gouvernance en action».
«On a une politique locale qui est belle, une belle relation entre les 23 communes», s'est félicité François Rebsamen, «notamment les échanges entre les maires et les conseillers municipaux qui sont de très bonne qualité».
Jean-Christophe Tardivon




























