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24/04/2021 20:44

DIJON : Un rassemblement pour protester contre l'évacuation des Jardins de l'Engrenage

Ce samedi 24 avril, environ 400 personnes se sont retrouvées place de la Sainte-Chapelle à Dijon en soutien aux Jardins de l'Engrenage. Plusieurs orateurs ont ciblé la préfecture, la police, le maire de Dijon, le promoteur immobilier et les médias. Dans l'après-midi, certains participants ont rejoint le site de l'avenue de Langres.
La coordination des intermittents et précaire qui occupent le Grand Théâtre de Dijon avait déclaré une manifestation auprès de la préfecture de la Côte-d'Or pour une «agora» ce samedi 24 avril 2021, à 14 heures place de la Sainte-Chapelle à Dijon. Selon la préfecture, environ 400 personnes étaient alors rassemblées au pied du musée des Beaux-arts.

Après des prises de parole revenant sur l'opposition à la réforme gouvernementale de l'assurance-chômage (lire notre article sur la manifestation de vendredi), la coordination a laissé le micro à différents amis des Jardins de l'Engrenage souhaitant protester contre l'évacuation du 20 avril dernier du site pourtant occupé illégalement (lire notre article).

«Les Jardins de l'Engrenage ont apporté de l'humanité au quartier»


Alors que la foule scande «aux jardins !» pour annonce son intention de retourner sur place, une première oratrice s'exprime à propos des motivations des militants : «dans un mouvement général de prise de conscience de la valeur des espaces naturels en ville et de lutte contre l'artificialisation irrémédiable des sols, une convergence d'énergie de citoyens éclectiques a donné lieu à l'occupation de la friche arborée situé avenue de Langres à Dijon lors de la première journée contre l'intoxication du monde en ce 17 juin 2020. Ce terrain a pris le nom des Jardins de l'Engrenage [applaudissements]. (…) Les Jardins de l'Engrenage ont apporté de l'humanité au quartier. (…) Ce mardi 20 avril matin, les tractopelles et les bulldozers ont anéanti en quelques heures, les centaines d'heures de travail patient du sol. (…) Aujourd'hui, c'est devenu un terrain lunaire après l'acharnement des machines à évacuer des centaines de mètres cubes de terre ['Rendez-nous la terre' lance-t-on dans la foule]. (…) Les habitants du quartier ont éprouvé une grande tristesse devant ce gâchis et la perte irrémédiable d'un îlot de fraîcheur pour prendre le repos lors des canicules à venir».

«L'espoir d'une culture maraîchère urbaine»


Un autre orateur veut porter la parole «des gens qui se sont impliqués ponctuellement durant toute la vie de ce jardin» : «c'est par surprise que les forces de destruction ont attaqué et ravagé un lieu de respiration et de solidarité unique. Les habitantes du quartier pouvaient se réapproprier à leur rythme la culture de la terre en ville. La culture de ses propres légumes et les marchés installé pendant l'été dernier sont aussi l'espoir d'une culture maraîchère urbaine. (…) Cet espace arboré était aussi un espace refuge pour une faune et une flore assez diverses pour une enclave de nature en ville. (…) Les Jardins de l'Engrenage ne sont pas morts, rejoignez-les».

«Nous sommes maintenant tous en état de choc traumatique»


Un troisième orateur durcit le ton en livrant son ressenti sur les conditions de l'évacuation : «quatre jours de violence dans la gueule au sein même de son domicile, vous savez ce que ça fait ? Quinze mille euros de lacrymos envoyées sur des personnes coincées entre des murs, sur un terrain où on ne peut pas s'enfuir ou sur des personnes séquestrées dans la maison [huées]. (…) Quatre jour de chaleur au creux de la végétation en feu suite aux tirs policiers. Quatre jours de destruction d'un lieu de vie. (…) Nous sommes maintenant tous, familles et amis, en état de choc traumatique. (…) Des violences aux conséquences graves, voilà ce que préfèrent Ghitti [le promoteur immobilier portant le projet Garden State] et Rebsamen [maire de Dijon] à un véritable dialogue. (…) Garden State n'existera pas, l'Engrenage vaincra !»

«La classe des possédants contre la classe des dépossédés»


Un homme intervient pour «répondre aux mensonges diffusés dans les médias» : «des ordres ont été donnés pour qu'aucun média local ne couvre véritablement la bataille des jardins et les exactions violentes de la police, que ce soit au niveau des images produites et mises en avant ou au niveau du contenu des articles, l'essentiel de la production des médias traditionnels ne fait que reprendre les paroles de la préfecture, de la mairie ou des promoteurs. Ces paroles fortement relayées travestissent la réalité et ne montre pas ce qui s'est réellement passé sur le terrain. (…) Les approximations et les silences de ces médias sont indignes du métier de journaliste et de la démocratie. (…) La classe des possédants contre la classe des dépossédés, la force de la mort contre les forces de la vie. On peut entendre ces derniers jours le préfet et ses médias aux ordres mentir comme des arracheurs de dents».

«Vous pouvez nous rejoindre sur Facebook, Twitter, Instagram»


Ce même orateur réagit aux propos du préfet de la Côte-d'Or tenus ce vendredi 23 avril (lire notre article) en mettant en avant les géants américains des technologies de l'information et les structures militantes pour se documenter : «on accuse les défenseurs des Jardins de l'Engrenage de violenter les forces de l'ordre et même d'user de cocktails Molotov mais aucune preuve ne peut étayer ces propos, (…) aucune image puisque ces faits sont inventés de toutes pièces pour diaboliser la résistance. Aucun policier n'a été blessé sous aucune forme que ce soit. Point à la ligne. (…) Aujourd'hui, avec Internet, il est possible de se renseigner par soi-même, avec de nombreux médias indépendants, vous pouvez nous rejoindre sur Facebook, Twitter, Instagram. (…) Rejoignez les mouvements écologistes locaux afin de disposer de véritables informations et pouvoir vous-mêmes les répandre afin de contrer les mensonges et de faire éclater la vérité».

«Les lignes de front de la guerre en cours se précisent»


Un dernier intervenant fait le lien entre les Jardins de l'Engrenage et d'autres oppositions écologistes contre l'aéroport à Notre-Dame-des-Langes, le TGV Lyon-Turin ou encore un pipeline sur des «terres amérindiennes» aux États-Unis.

In fine, l'écologiste anonyme fustige «le mode de production capitaliste au XXIème siècle» et appelle «à faire grandir les forces et la cohésion du peuple face à l’État». Concernant les Jardins de l'Engrenage, «la bataille est finie mais les lignes de front de la guerre en cours se précisent : profitons de ce week-end pour se rencontrer, Gilets jaunes, artistes, profs, ouvriers, cadres dans des boulots insensés, artisans confirmés, voisins de l'Engrenage et tous les autres, (…) un autre monde est possible».

Deux interpellations parmi les occupants du Grand Théâtre


Pour conclure les prises de paroles, Philippe Journo, membre du Syndicat français des artistes, lit un poème de Victor Hugo : «Je porte en moi la trace de vieux sentiers boueux, La lignée que j'arbore c'est la race des gueux, (…) Mon frère t'en souviens-tu, ce qui t'a façonné, c'est l'insoumission au-delà du danger, (…) Invente-le encore ce vieux monde nouveau, ailleurs, toujours plus, ailleurs, toujours plus haut, Quand nous aurons démantelé les racines crapuleuses de la finance, les tentacules des gros pleins de sous et de ceux qui leur cirent les pompes pour s'en mettre plein les poches, Quand nous aurons éradiqué la soif du profit au profit d'un monde solidaire alors nous marcherons (…), Fiers d'être enfin humains».

En épilogue des interventions, les intermittents dénoncent deux interpellations d'occupants du Grand Théâtre ayant eu lieu ce samedi matin. Les manifestants supposent que le motif est d'avoir transporté des cartouches vides de grenades lacrymogènes qu'ils comptaient présenter lors de ce temps d'agora. Un avocat a été mobilisé pour demander que ces deux personnes soient relâchées. En fin de journée, les Amis des Jardins de l'Engrenage annonceront leur libération.

Déambulation jusqu'au site de l'avenue de Langres


Vers 15 heures, environ 300 personnes se sont spontanément mises en marche en direction de l'avenue de Langres. Un cordon de CRS les a stoppées avenue du Drapeau. Là, l'embryon de manifestation s'est disloqué. La circulation de la ligne T2 du tram a été brièvement interrompue.

Par petits groupes, une centaine de personnes ont rejoint la maisonnette du 63 de l'avenue de Langres pour un moment de convivialité. En mode «chute du mur de Berlin», plusieurs personnes sont montées sur les blocs de béton ceinturant la parcelle, la distinguant du reste du site à présent labourés par les pelleteuses. En début de soirée, il ne restait qu'une poignée de personnes sur la parcelle.

Jean-Christophe Tardivon