
Des enseignants du lycée international Charles de Gaulle, à Dijon, ont saisi l'incitation du ministère de l’Éducation nationale à «créer une culture de l'IA». Ce vendredi 18 avril, devant la rectrice Mathilde Gollety, des élèves de seconde ont fait la démonstration auprès de collégiens de ce qu'ils avaient appris en insistant sur un mot d'ordre : «gardez votre esprit critique».
Il s'agit d'une expérimentation unique en Bourgogne : entre janvier et mars derniers, en plus de leurs heures de cours classiques, 400 élèves de seconde du lycée international Charles de Gaulle, à Dijon, ont bénéficié de 6 heures de formation aux enjeux et à l'utilisation des outils d'intelligence d'artificielle générative.
L'objectif de cet enseignement d'exploration était de leur permettre d'«être conscients des limites et des avantages de l'IA», comme l'indique le proviseur Dominique Javel. «On a mis l'accent sur le fait de l'utiliser pour travailler mieux, notamment pour affiner la différenciation pédagogique.»
Ce vendredi 18 avril 2025, des élèves de seconde ont fait la démonstration de ce qu'il avait appris en matière d'intelligence artificielle en animant des ateliers auprès d'élève de 4ème du collège dijonnais Clos de Pouilly ayant fait le déplacement jusqu'au lycée.
Un lycée ouvert sur l'Europe
Parmi la délégation qui a également assisté à la présentation figuraient notamment Mathilde Gollety, rectrice de l'académie de Dijon, Océane Godard (PS), députée de la Côte-d'Or, Dominique Martin-Gendre (PS), adjointe au maire de Dijon, David Muller, directeur départemental des services de l’Éducation nationale en Côte-d'Or (DASEN 21) et Xavier Balland, principal du collège Clos de Pouilly.
Le lycée international Charles de Gaulle recense 1.065 élèves. Il propose un bac français international anglais ainsi qu'un double bac français-allemand. Des élèves européens sont accueillis dans l'établissement et les mobilités d'élèves du lycée sont encouragées durant un ou six mois.
Un mot d'ordre : «gardez votre esprit critique»
Des élèves de seconde ont successivement animé les différentes séquences de la présentation du module d'enseignement.
Charlotte et Clara lancent la séquence interrogeant les collégiens pour tester les informations dont ils disposent et leurs préjugés. Ceux-ci expriment leur avis avec un QR Code, détecté par le smartphone de l'enseignant qui permet d'avoir un résultat instantané à l'échelle de la classe.
En commentant les expressions, les lycéennes donnent également des conseils comme en soulignant les «fake news» ou «hallucinations» que peuvent contenir des résultats produits par intelligence artificielle à partir de contenus du web : «l'Internet n'a pas toujours raison, il peut conduire à des erreurs, vérifiez toujours les infos qu'elle vous donne et gardez votre esprit critique».
«On coopère avec l'IA, ça nous fait avancer»
«Dans notre génération, c'est facile, l'IA, on y est habitué», remarque Charlotte, «on coopère avec l'IA, ça nous fait avancer».
«Il est possible de demander une dissertation avec un niveau de seconde, avec un certain vocabulaire», note Clara, «mais ça va tout de suite se reconnaître si c'est fait de nous ou si c'est fait par une intelligence artificielle».
«On nous apprend à bien s'en servir et, surtout, à ne pas aller trop loin dans l'intelligence artificielle», explique Clara, «on ne va pas demander à l'intelligence artificielle de faire le travail à notre place mais demander de nous accompagner dans notre travail».
«Google est un moteur de recherche qui va nous donner des informations tandis que l'intelligence artificielle va directement puiser ses ressources dans ces informations et faire une synthèse pour nous la présenter», précise la lycéenne.
«On perd beaucoup de temps à vérifier ce que l'intelligence artificielle nous propose», remarque Charlotte, «pourquoi pas faire nous-même nos propres recherches, ça permettra d'enrichir notre culture générale».
«Attention : l'intelligence artificielle pollue six fois plus qu'une recherche [avec un moteur de recherche], c'est vraiment pour des choses qui sont importantes où vous avez besoin de profondeur», souligne-t-elle. «On pense à notre environnement.»
«Utiliser l'IA pour une recette de cuisine, ce n'est pas important», abonde Charlotte, «il faut vraiment faire attention».
«Parfois, les programmes se trompent même si la réponse est très convaincante»
Les collégiens suivent des ateliers portant sur l'histoire de l'intelligence artificielle, sur la technologie et sur la façon de rédiger une question ou «prompt».
À la suite de quoi, les collégiens sont interrogés par Salomé et Nada pour envisager leur perception de l'effet de l'intelligence artificielle sur l'évolution des métiers ou encore des éventuelles valeurs morales de cette technologie.
«L'IA, ce n'est pas nouveau», conclut Justin, «on en parle depuis des décennies, même si il y a eu beaucoup de progrès ces dernières années».
«Ce sont surtout des programmes qui apprennent à partir de données mais qui ne comprennent pas comme un humain et, parfois, ils se trompent même si la réponse est très convaincante», développe le lycéen qui incite à «apprendre à en garder le contrôle».
La séquence se termine par la remise symbolique d'Open Badges – valorisant des compétences informelles – aux 13 lycéens présents parmi les 400 élèves de seconde qui ont suivi le module pour être initiés à «la culture de l'IA». Élèves qui ont été félicités et encouragés par la rectrice.
Un enjeu pour les législateurs
«Je trouve intéressant que ce soit des élèves un peu plus âgés qui transmettent aux collégiens», remarque Océane Godard à l'issue de la séquence. «Ça montre bien le besoin d'apprendre à penser, y compris avec l'IA et de bien faire passer le message que l'IA ne va pas penser à la place des élèves.»
«Je suis très impliquée sur l'impact de l'IA sur les métiers», signale la députée, «ça libère du temps pour beaucoup de métiers». «Comment on appréhende aussi le travail demain ? (…) Il y a aussi des auditions qui peuvent participer à éclairer sur l'impact de l'IA sur certains secteurs.»
Si des sessions de formation sont proposées aux législateurs qui auront à se prononcer sur les enjeux de régulation des IA génératives – données personnelles, droits d'auteur, droit du travail... –, leur implication à ce sujet relève avant tout de «démarches personnelles».
«Développer une culture de l'IA à l'école, comprendre aujourd'hui, maîtriser demain»
Le 13 mars 2024, le ministère de l’Éducation nationale a saisi le Conseil supérieur des programmes pour inviter la communauté éducative à «créer une culture de l'IA». Cela a encouragé des chefs d'établissement et des enseignants à s'emparer du sujet.
Au lycée Charles de Gaulle, le proviseur Dominique Javel s'est appuyé sur l'intérêt de Mickaël Bertrand, professeur d'histoire-géographie, pour le sujet. Depuis, celui-ci a publié «J'enseigne avec l'IA» aux éditions Vuibert.
Physique-chimie, mathématique, histoire-géographie, sciences économiques et social, éducation physique et sportive, anglais, philosophie... des enseignants de matières variées se sont mobilisés et ont travaillé en binômes au long de l'année 2023-2024 : rédaction de newsletter, animation d'ateliers en dehors du temps de travail et organisation d'une journée pédagogique.
Aujourd'hui, le proviseur salue «l'investissement et le travail remarquable» de ces pionniers.
Le rectorat de l'académie de Dijon, la direction régionale du numérique pour l'éducation (DRNE) et la mission du Conseil académique en recherche-développement, innovation et expérimentation (CARDIE) ont alors accordé des moyens et ressources pour développer cet enseignement d'exploration de 6 heures destiné aux élèves de seconde : «Développer une culture de l'IA à l'école, comprendre aujourd'hui, maîtriser demain».
L'intelligence artificielle est «indispensable à la construction d'un citoyen du XXIème siècle»
«On voyait qu'il y avait un besoin de plus en plus grand de la part de nos élèves de renseignements, on s'est dit qu'on allait essayer de lancer un enseignement d'exploration autour des intelligences artificielles pour qu'ils comprennent que, derrière, il y a des mathématiques, de l'informatique, des algorithmes donc des statistiques», se souvient Mickaël Bertrand. «On voulait les faire réfléchir sur les enjeux sociaux, environnementaux et éthiques de l'IA.»
Des éléments en lien avec les spécificités pédagogiques du lycée international ont été ajoutés : «on voulait montrer comment notamment les intelligences artificielles génératives peuvent permettre de progresser en langue».
«Notre objectif, c'est qu'ils utilisent ces outils intelligemment, en conscience et avec un esprit critique», souligne le professeur d'histoire-géographie. «On a essayé de leur donner toute cette culture de l'intelligence artificielle qui est, désormais, indispensable à la construction d'un citoyen du XXIème siècle.»
«On n'a pas besoin d'un logiciel de plagiat, on connaît nos élèves»
«Quand on crée une séance à l'aide de l'intelligence artificielle, l'IA est un assistant de l'enseignant ; c'est la même chose avec nos élèves, on essaie de leur faire comprendre que s'ils savent comment apprendre à apprendre – ils l'ont appris au collège –, là, ils auront des réponses assez satisfaisantes, toujours en veillant à ne donner aucune information personnelle et en veillant également à exercer toujours son regard critique», développe Mickaël Bertrand.
Des outils existent pour permettre aux enseignants de détecter des éléments de textes incorporés dans les copies. «On n'a pas besoin d'un logiciel de plagiat, on connaît nos élèves», poursuit le professeur d'histoire-géographie, «on sait très bien comment écrit, aujourd'hui, un adolescent de quinze ans». «Malgré tout, ça nous invite à faire évoluer la façon dont on évalue nos élèves. De plus, on demande à nos élèves de justifier leurs réponses à l'oral.»
«Les intelligences artificielles ont un intérêt mais, il faut réfléchir quand c'est plus intéressant d'utiliser un moteur de recherche ou quand c'est intéressant d'utiliser une IA générative», insiste l'enseignant.
La dynamique de la culture de l'IA au sein des enseignements
L'équipe de professeurs a évalué cet enseignement d'exploration à l'issue des heures de cours dispensées de janvier à mars aux douze classes de seconde.
«On a des professeurs de différentes origines et de différentes disciplines», souligne le proviseur Dominique Javel lors d'un temps d'échanges avec la rectrice portant sur la construction de l'expérimentation et son devenir. «Il était recherché de ne pas le réserver aux professeurs spécialistes de l'algorithme. (…) La philosophie nous a beaucoup aidé parce qu'on pouvait inclure des réflexions sur l'éthique.»
«L'IA pose des problèmes éthiques mais ce n'est pas nouveau dans le rapport de l'éthique à la technique», remarque un professeur de philosophie, «ce qui est intéressant, c'est l'intensité du problème : y a-t-il une éthique spécifique de l'IA ?».
«On a pu reprendre la notion d'explicite, de second degré», souligne une professeure de langues, insistant sur «les notions transversales» abordées par l'équipe pluridisciplinaire.
«On a vu les élèves réfléchir aux limites», insiste une professeure de sciences économiques et sociales, «au départ, ils n'avaient pas forcément conscience de l'impact sur l'emploi ou l'environnement». «Ils ont pu comprendre que tout est une question de dosage et de mesure.»
«Ça m'a permis de réintroduire des exemples de l'IA, comme les biais algorithmiques, à l'intérieur des problématiques philosophiques – la conscience qui doit être réfléchie, la liberté parce qu'il ne faudrait pas que l'on devienne esclaves de nos techniques –, les modules ont donc été plus productifs que ce que j'imaginais au départ», complète le professeur de philosophie dans une visée réflexive par rapport à son enseignement.
L'IA pour approfondir notamment le programme d'histoire-géographie
Mickaël Bertrand indique avoir intégré le recours à une intelligence artificielle générative en tant qu'exercice : «en histoire-géographie, on fait de la dissertation, les élèves ont la possibilité, pour certains chapitres, de faire une dissertation d'approfondissement du chapitre à l'aide de l'intelligence artificielle – les connaissances n'ont pas été transmises dans le cadre d'un cours – ; l'IA est là pour leur donner des informations, ensuite, l'exercice consiste à aller au tableau expliquer comment ils ont interrogé l'IA, quelles réponses ils ont obtenues, si ça leur allait ou pas, comment ils ont continué le dialogue pour obtenir quelque chose de satisfaisant et, après, présenter le résultat final et répondre aux autres élèves pour montrer que ce n'est pas juste la lecture des résultats mais qu'ils se sont appropriés ces résultats».
«Je suis assez confiant sur l'idée qu'on va, évidemment, face à cette nouvelle technologie, faire évoluer l'enseignement de manière générale, comme on l'a fait après l'apparition d'Internet, de la radio, du cinéma, etc.», ajoute le professeur d'histoire-géographie.
Interrogation sur le devenir de la démarche
Devant les précurseurs bourguignons, Mathilde Gollety souligne «les bénéfices apportés» : «travailler entre vous, décloisonner, générer une impulsion collective...»
«Je salue l'initiative, notre institution ça [des professeurs] réagit la rectrice sans apporter à ce stade de réponse à la demande de généralisation de l'expérimentation.
Cela laisse penser que la démarche est jugée suffisamment intéressante pour relever d'une décision au niveau du ministère de l’Éducation nationale plutôt qu'au niveau de l'académie.
L'intelligence artificielle sera intégrée au catalogue de formations des enseignants
«Pouvoir partager ce que l'on a soi-même compris de l'IA, de ces enjeux sociétaux, éthiques, de l'histoire de l'IA, de son fonctionnement, évidemment sur des notions très fondamentales et très basiques, c'est une prouesse incroyable», commente Mathilde Gollety. «Je suis très fière de voir qu'il y a, dans l'académie, des initiatives aussi audacieuse qui se développent.»
«On a tout à fait conscience qu'il faut qu'on accompagne nos équipes pédagogiques par des plans de formation, que l'on pense au plus près des besoins des équipes», réagit la rectrice de l'académie de Dijon.
En particulier, des éléments sur l'IA vont donc, prochainement, «enrichir le catalogue de formations de l'académie».
Jean-Christophe Tardivon































