Une cinquantaine d'éleveurs bourguignons ont mené une action symbolique devant le siège dijonnais de l'Office français de la biodiversité, ce jeudi 31 août.
«On a l'impression que le loup est au-dessus de tout, même au-dessus des humains», a déploré une éleveuse de l'Auxois.
«On veut exprimer la détresse et le malaise dans le monde paysan.» Les mots sont emprunts de gravité, ce jeudi 31 août 2023, alors que des syndicats agricoles mènent une action symbolique devant les bureaux de l'Office français de la biodiversité, à Dijon.
À quelques jours d'une réunion présentant le nouveau Plan Loup national pour la période 2024-20299, les sections départementales de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs de la Côte-d’Or et de l’Yonne ainsi que le Syndicat d’élevage ovin de Côte-d’Or avaient appelé à un rassemblement pacifique pour exprimer leurs revendications (
retrouver le communiqué).
Devant une petite cinquantaine de personnes et deux béliers venus de l'Auxois, plusieurs ballots de laine de mouton ont été déversés devant l'entrée de la cité administrative. Une laine ponctuellement bombée de rouge pour symboliser le sang des animaux prédatés. Des croix ont même été ajoutées pour évoquer «la mort du métier d'éleveur».
Deux élus étaient présents en soutien : Marc Frot (LCOP), vice-président du conseil départemental de la Côte-d'Or et agriculteur à la retraite, ainsi que Jacques Carrelet de Loisy (sans étiquette), maire de Hauteville-lès-Dijon, agriculteur et vice-président de la FDSEA de Côte-d'Or.
«Ça remet en cause notre élevage et notre façon de travailler»
«L'action symbolise la détresse du monde paysan vis à vis de la prédation notamment du loup», explique Baptiste Colson, président des Jeunes Agriculteurs de Côte-d'Or, durant l'action syndicale qui se déroule dans le calme et sous une discrète surveillance policière.
«Aujourd'hui, on met en avant la souveraineté alimentaire mais pour perpétuer ça, il va falloir qu'il reste des éleveurs sur nos territoires», alerte celui qui voit la présence de loups dans les zones d'élevage de plaine comme une «contrainte» supplémentaire.
«Ça remet en cause notre élevage et notre façon de travailler», se désole Julien Pané, éleveur ovin à Dampierre-en-Montagne, dans l'Auxois, et président du Syndicat d’élevage ovin de Côte-d’Or qui représente une soixantaine d'éleveurs professionnels dans le département.
Une demande pour classer la Bourgogne en territoire «non protégeable»
«On ne demande pas la mort du loup, on veut qu'il y ait zéro attaque sur le territoire ; on estime que l'élevage n'est pas possible avec la cohabitation du loup», indique Baptiste Colson. «C'est à nos décideurs de trouver des solutions.»
«On n'est pas sur des grands alpages, de grandes zones de pastoralisme, on est sur des modes d'élevage avec de plus petits troupeaux, avec un parcellaire morcelé qui n'est pas facilement protégeable», précise le Jeune Agriculteur.
Dans ce contexte, la principale revendication concerne la classification de la Bourgogne en territoire «difficilement protégeable» voire «non protégeable» des grands canidés pour ne pas avoir à mettre en place des moyens de protection.
Au-delà, le syndicaliste agricole remet en cause l'origine des fonds permettant l'indemnisation des agriculteurs victimes de prédation : «un animal est indemnisé selon un barème qui a un peu d'ancienneté, qui ne tient pas compté des cours du marché, qui ne tient pas compte de tous les coûts, que ce soit les avortements ou les baisses de production, de l'impact psychologique sur l'éleveur, de la génétique ; les moyens de protection sont financés par des aides de la [politique agricole commune européenne], (…) si on doit mettre en place des moyens de protection qui soient soutenus, ils doivent l'être sur d'autres budget, notamment le ministère de l'Environnement, la PAC doit être là pour soutenir la production».
Trente animaux prédatés en Côte-d'Or depuis le début de l'année
«Le loup a beaucoup fait trembler les campagnes cette fin de printemps , (…) il y a trente victimes depuis le début 2023 en Côte-d'Or», rappelle Samuel Bulot, éleveur à Prâlon et secrétaire général de la FDSEA de Côte-d'Or, «les éleveurs en ont marre de retrouver des cadavres et des troupeaux affolés et des brebis ou des génisses qui ont avorté parce qu'elles ont été perturbées».
«Il faut que l'élevage continue et que les éleveurs puissent protéger leurs troupeaux avec de réels moyens de protection adaptés à nos territoires », poursuit Samule Bulot. « Je ne vois pas comment de grosses populations de loups pourraient cohabiter avec notre élevage bourguignon.»
«Les services de l’État sont à l'écoute des éleveurs»
«Les services de l’État et les opérateurs de l’État, comme l'Office français de la biodiversité, sont bien entendu à l'écoute du monde agricole en général et des éleveurs en particulier», déclare Nadine Muckensturm, directrice départementale adjointe des territoires en Côte-d'Or, en rejoignant les manifestants devant l'entrée de la cité administrative.
«On a eu déjà d'assez nombreuses réunions de travail sur ce sujet qui préoccupe les éleveurs et sur la particularité de la Bourgogne », explique-telle alors que les échanges se déroulent dans le calme. «On a bien conscience que ce qui avait été mis en place et qui fonctionnait assez bien sur l'arc alpin nécessite une adaptation, c'est l'objet du futur plan national.»
La représentante des services de l’État indique aux éleveurs que le préfet de la région Bourgogne-Franche-Comté a transmis aux ministère de l'Agriculture et de la Transition écologique ainsi qu'au préfet coordinateur du plan national d'action sur le loup les revendications concernant la territorialisation pour «appréhender le sujet en fonction des spécificités des territoires», le sujet de la non-protégeabilité partielle et de l'indemnisation en cas d'absence de moyens de protection, l'expérimentation de moyens de protection en zones de plaine ou encore l'intervention des lieutenants de louveterie quel que soit la catégorie de tirs autorisée. La prise en compte éventuelle de ces revendications dans le Plan Loup relèvera du gouvernement.
Environ 900 loups en France en 2022
Le suivi des grands prédateurs que sont le loup, le lynx et l'ours – des espèces protégées par la convention de Berne – est assuré dans toute la France par l'Office français de la biodiversité.
«La France est le seul pays en Europe à mettre autant de moyens humains et financiers pour le suivi de ces espèces», selon Philippe Loison, chef du service départemental en Côte-d'Or de l'Office français de la biodiversité.
L'OFB estime qu'environ 900 loups étaient présents en France avant la période de reproduction 2023. De nouveaux décomptes sont en cours à partis des cris des animaux ainsi que des excréments ou des poils laissés au gré de leurs passages, sans oublier les images des pièges photographiques. Plus de 4.000 indices sont actuellement analysés.
Tandis que la FNSEA s'appuie sur une augmentation des constats d'attaque pour remettre en cause le recensement de la population réalisé par l'OFB, sous-estimée selon le syndicat, Philippe Loison récuse l'argument en avançant que les attaques de loups isolés en phase de colonisation sont «plus importantes» que celles de meutes.
«Il y a beaucoup trop de temps entre l'autorisation de tir et les dégâts»
En Côte-d'Or, depuis 2013, l'OFB a constaté 91 attaques par des prédateurs dont la moitié environ imputée potentiellement à des loups. «Le contexte bourguignon n'est pas comparable avec celui que l'on peut rencontrer dans l'arc alpin», analyse Philippe Loison.
Durant l'année, il a été autorisé administrativement de tuer jusqu'à 174 loups. Au niveau national, 113 loups ont été effectivement abattus à la suite d'attaques de troupeaux. Alors que la FDSEA revendique la fusion des types de tirs, Nadine Muckensturm signale que «les tirs de défense simples ont permis de tuer autant de loups que les tirs de défense renforcée».
«Il y a beaucoup trop de temps entre l'autorisation de tir et les dégâts. Il faudrait que ce soit le soir même car s'il revient, c'est le soir même», pointe néanmoins Julien Pané qui a connu en 2022 une attaque de prédateur portant sur une brebis et induisant la perte de huit agneaux.
Les éleveurs revendiquent «le bénéfice du doute»
En Bourgogne-Franche-Comté, l'OFB compte 130 agents dont 10 en Côte-d'Or. «On est appelé beaucoup plus souvent qu'avant», signale Philippe Loison également, ce qui augmente les signalements. «Les constats sont réalisés uniquement par les techniciens de l'environnement, (…) la semaine, les dimanches, les jours fériés», assure-t-il.
Les constats sont transmis à l'administration qui traite les éventuels dossiers d'indemnisation quand un loup est potentiellement responsable d'une attaque, le désormais fameux «loup non écarté».
Julien Pané revendique que le «bénéfice du doute» profite aux éleveurs avec une indemnisation même quand il y a une hésitation sur le type de prédateur responsable d'une attaque. «Vous n'êtes quand même pas à 200 balles près», lance le responsable syndical à ses interlocuteurs administratifs.
«Le constat est fait selon une grille travaillée avec des vétérinaires et harmonisée au niveau nationale», explique Laurent Tisné, responsable du bureau nature, site, énergie renouvelable de la direction départementale des territoires de la Côte-d'Or, en réponse, «il y a une souplesse dans certains cas particuliers – notamment sur les gros bovins – et la grille a déjà fait l'objet d'adaptations».
«S'il n'y a pas de souplesse, un jour, systématiquement, on amènera les brebis à Dijon pour qu'ils les voient», réagit Julien Pané, «ce serait dommage d'en arriver là».
Une éleveuse déplore qu'il s'agisse de «protéger un animal qui est en train de nous détruire»
Le fait que les attaques par d'autres prédateurs que le loup – comme les chiens-loups tchèques qui ne sont pas rares – ne soient pas indemnisées n'est pas un sujet pour le responsable agricole : «ce n'est pas de l'argent que l'on veut, c'est de la tranquillité !»
«Le loup coûte des millions d'euros», réagit Flora Loiseau, éleveuse d'ovins dans l'Auxois, chargée du dossier loup au sein des Jeunes Agriculteurs de la Côte-d'Or, «on est en train de se battre pour quelque chose qui coûte des fortunes».
«Le gars qui va trouver, le matin, sa bête morte et avoir tout le préjudice... On parler d'indemnisation et de protégeabilité mais on ne parle pas du gars qui va être traumatisé
«Le bien être animal, il est où ?», interpelle l'éleveuse, «pour protéger un animal qui est en train de nous détruire». «Je ne vois pas comment on peut mettre autant de moyens dans la balance pour protéger un animal qui fait autant de dégâts. On va encore dépenser de l'argent pour le loup. Dans quel but au final ? S'ils veulent protéger l'espèce, qu'ils fassent des parcs protégés. Tant qu'il ne vient pas manger ni d'ovins, ni de bovins.»
«On a l'impression que le loup est au-dessus de tout»
«Il y a tout un impact psychologique dont on ne parle pas. Les gars qui ont eu des attaques, ils ont des gamins qui finissent chez le psy parce qu'ils sont complètement traumatisés. (…) On a l'impression que le loup est au-dessus de tout», proteste Flora Loiseau, «il est au-dessus des ovins, au-dessus des bovins et même au-dessus de l'humain».
«L'orientation du futur Plan Loup vise à prendre davantage en compte les aspects psychologiques», indique Nadine Muckensturm.
«On va payer des assistantes sociales pour des problèmes créés par le loup», rétorque l'éleveuse. «Il faut éliminer la cause et pas soigner les effets», abonde un éleveur.
De façon similaire, Jacques Carrelet de Loisy remet en cause le principe de la colonisation des espaces par des loups induisant un «stress» pour les éleveurs qui «n'ont pas à avoir à prendre de leur temps et de leurs finances pour se défendre». «Il y a des familles où ça se passe mal maintenant parce qu'il y a un stress avec le loup, donc il faut faire évoluer la réglementation. (…) Les éleveurs sont là pour produire, (...) ils ne sont pas là pour dépenser leur argent à subir les lubies de quelques-uns alors que d'autres réglementations, il y a un certain nombre de gouvernements et de présidents de la République successifs qui se sont assis dessus allègrement ces dernières années.»
La majorité départementale «signera» la motion des éleveurs de la Côte-d'Or
Alors que le conseil départemental de la Côte-d'Or accompagne les jeunes éleveurs dans le cadre du renouvellement des générations, Marc Frot alerte sur «l'impact du loup». «Pourquoi pas maintenir 300 loups et c'est tout ? (…) C'est sûrement très important pour la biodiversité, tant que ça ne bouffe pas trop de moutons !»
Le vice-président du Département annonce que la majorité soutenant le président de la collectivité François Sauvadet (UDI) «signera» la motion présentée par le Syndicat d’élevage ovin de Côte-d’Or.
«Si tout ce que l'on dit aujourd'hui n'est pas repris dans le Plan Loup, ce ne sera plus des actions symboliques que l'on aura. Les décideurs vont vraiment voir la colère du monde paysan vis à vis du loup», anticipe Samuel Bulot. Un propos abondé par Baptiste Colson : «la détresse peut se transformer en colère».
Jean-Christophe Tardivon