Des étudiants en BTS du lycée agricole de Quetigny ont organisé un «Forum de l'eau», ce mardi 10 décembre. «Les effets du changement climatique sont déjà visibles en Bourgogne-Franche-Comté», a relevé un hydrogéologue de la DREAL tandis que la pertinence de réaliser des retenues de substitution a été débattue.
Agriculteurs, agronomes, paysagistes... l'établissement Agro Campus Dijon forme de futurs usagers de l'eau. Pour sensibiliser les élèves et les étudiants, le lycée agricole de Quetigny a accueilli, ce mardi 10 décembre 2024, le «Forum de l'eau».
L'événement a été organisé par une vingtaine d'étudiants de première année de BTS Agronomie et Cultures durables. Pour la préparation, qui a débuté en septembre dernier, les étudiants ont été encadrés par Sandrine Hily, enseignante en éducation socio-culturelle, puis accompagnés, ce mardi, par une partie de l'équipe éducative du lycée.
«Apporter une réflexion» sur les enjeux liés à l'eau
Des groupes de quatre étudiants ont été constitués pour se répartir les tâches. Les intervenants ont été contactés en lien avec l'équipe pédagogique. Des supports de communication ont été définis pour remettre aux quelques 200 participants attendus. L'objectif du forum est d'«apporter une réflexion» aux participants au gré des interventions.
«L'eau est une ressource qui devient assez rare», expliquent collectivement Alexis, Candice, Charles, Léo et Paul, chargés de la communication, «avec notre BTS, par rapport à l'agriculture, c'est une question qui se pose, il faut faire attention».
«Je suis très fière que les jeunes se saisissent de sujets importants», réagit Béatrice Chevallereau, directrice d'Agro Campus Dijon, «je souhaite que les travaux soient très formateurs pour l'ensemble des participants».
Au niveau de la Région, des politiques agricoles et environnementales traitent des sujets liés à l'eau
«On sait qu'il faut gérer les excès et le manque d'eau», commente Christian Morel (divers gauche), pour introduire les échanges, «il faut gérer la quantité mais aussi la qualité de l'eau».
«En ce qui concerne l'agriculture et la viticulture, la Région intervient sur les réserves d'eau, sur l'abreuvement des bovins, sur la gestion des sols et sur l'adaptation au changement climatique», développe le vice-président du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté chargé de l'agriculture. «C'est aussi une politique autour l'environnement. Là, le travail se fait plus avec les collectivités territoriales pour mettre en place des actions.»
«L'action autour des haies est transversale», enchaîne celui qui est également agriculteur. «Pendant des années, quand j'étais étudiant, on nous appris qu'il fallait faire des grands champs, faciles à travailler. Au bout de 30, 40 ou 50 ans, on s'aperçoit des difficultés que cela peut engendrer.
Le conseil de développement fait «entendre l'éclairage des citoyens» aux élus métropolitains
Partenaire de l'événement, le conseil de développement de la Métropole de Dijon est représenté par son vice-président Jean-Michel Grenier qui présente l'instance de démocratie participative en soulignant ses similitudes avec le Conseil économique, social et environnemental régional (CESER).
«C'est un espace qui permet de faire entendre auprès des décideurs publics l'éclairage des citoyens sur les grands projets qui sont envisagés», explique Jean-Michel Grenier. Le conseil de développement a notamment travaillé sur le Plan climat-air-énergie de la collectivité ainsi que sur la transition alimentaire, des sujets connexes aux enjeux de l'eau.
Les fondamentaux en Bourgogne-Franche-Comté
«L'eau est une ressource primordiale pour la vie sur la Terre», indique d'emblée Clément Doney, chef-adjoint du département eau et milieux aquatiques de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Bourgogne-Franche-Comté.
Le premier intervenant présente les connaissances fondamentales, à commencer par le grand cycle de l'eau, allant des précipitations jusqu'au retour dans les mers et océans, en passant par les cours d'eau et les usages de l'eau, avant de boucler par l'évaporation.
L'hydrogéologue de la DREAL rappelle qu'il existe trois grands bassins hydrographiques en Bourgogne-Franche-Comté : Rhône, Loire et Seine. À chaque fois, la région se trouve plutôt positionnée en tête de bassin.
La région compte 45.000 km de cours d'eau. 8% des espèces françaises de poissons sont présentes en Bourgogne-Franche-Comté.
Les principales réserves hydrologiques souterraines sont des aquifères de craie au nord de l'Yonne, des sables et graviers qui accompagnent les cours d'eau, des roches cristallines dans les massifs montagneux, des grès dans les piémonts ainsi que des calcaires karstifiés.
La recharge des nappes phréatiques dépend des précipitations, de l'évapotranspiration et des types de sols. Selon les périodes de l'année, une même précipitation n'aura pas la même recharge des nappes phréatiques. La recharge se fait essentiellement en automne et en hiver, deux saisons connaissant peu d'évapotranspiration et une végétation en dormance.
«Des sols de plus en plus secs» en Bourgogne-Franche-Comté
«Les effets du changement climatique sont déjà visibles en Bourgogne-Franche-Comté», relève Clément Doney qui signale que l'étude Hyccaree, menée en Bourgogne, en 2016, a permis de constater une augmentation de la température moyenne de 1°C entre 1987 et 2014.
Cette hausse n'a pas été linéaire. «L'augmentation de la température se fait par marche d'escalier», remarque l'orateur.
En conséquence, la limite des cours d'eau s'est abaissée, surtout en été. Les débits ont diminué de 20 à 30% malgré une pluviométrie constante.
«En Bourgogne-Franche-Comté, on voit qu'on a des sols de plus en plus secs, même en hiver», note l'hydrogéologue. Depuis 1960, l'intensité et la durée des sécheresses sont deux fois plus importantes, avec un record en 2022.
«L'année 2022 deviendrait la référence dans les années futures»
Pour s'adapter au changement climatique, la France a retenu deux scénarios. L'anticipation «optimiste» envisage le respect de l'accord de Paris qui correspondrait à une augmentation de la température moyenne mondiale de 2°C d'ici 2100 par rapport à la période préindustrielle et celle «pessimiste» qui envisage une augmentation de 4°C.
Dans le premier scénario, la Bourgogne-Franche-Comté verrait sa température moyenne augmenter de 2,6°C ; dans le second de 5°C. C'est à dire que les effets du changement climatique seraient sensiblement plus marqués en Bourgogne-Franche-Comté, par rapport à une moyenne mondiale.
Cela s'accompagnerait de «sécheresses de plus en plus fréquentes», de «précipitations de façon plus extrême», «de baisse d'enneigements», d'«une augmentation des nuits tropicales» et «d' une augmentation des canicules».
Concernant la pluviométrie, il y aurait une tendance à l'augmentation du nombre de jours de pluie avec une forte disparité selon les années et entre les saisons. L'augmentation de l'évapotranspiration de 10 à 20% aurait des conséquences sur les recharges.
«L'année 2022 deviendrait la référence dans les années futures», synthétise l'intervenant.
Les solutions reposent sur des projets de territoire se déclinant en concertation avec les usagers de l'eau, restauration des milieux naturels, réduction de la consommation fixée par le Plan eau national à 10% d'ici 2030, réutilisation des eaux usées et préservation de la ressource.
Des pollutions principalement dues au secteur agricole
Interrogé sur les retenues d'eau de substitution – également appelées «bassines» –, le représentant de la DREAL considère que «c'est une des solutions» en tempérant aussitôt : «tout dépend à quoi va être utiliser l'eau». L'enjeu serait de garder de l'eau de bonne qualité entre l'hiver et l'été en raison de l'évapotranspiration et de l'évolution bactériologique.
Force est de constater que, globalement «l'eau est fortement dégradée» en Bourgogne-Franche-Comté. Pour sa part, l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse pointe que seulement 26% des rivières présentent un bon état écologique (
lire le communiqué).
Les pollutions des eaux souterraines sont principalement dues aux produits phytosanitaires et aux nitrates utilisés dans le secteur agricoles. Des eaux de surface peuvent être contaminées par des PCB issus d'anciens transformateurs électriques.
«On est obligé de traiter, cela a un coût pour consommer l'eau», soulève l'hydrogéologue, «on a des systèmes de traitement qui permettent d'apporter de l'eau de bonne qualité au robinet. On cherche à avoir de l'eau de qualité dans les milieux naturels».
Un élève soulignant les efforts réalisés par les exploitants agricoles, Clément Doney note que «là où on a des nappes réactives, on a des résultats rapidement». En revanche, «dans l'Yonne, avec des roches crayeuses, malgré la mise en place d'actions, les résultats ne sont pas encore visibles mais il ne faut pas se démobiliser».
«Sur l'axe Saône-Rhône, on n'a pas plus d'eau que les années précédentes»
Après le grand cycle, Laurent Monnot, responsable des supports techniques de Suez dans la région est, aborde le petit cycle de l'eau allant du pompage de l'eau dans un milieu naturel jusqu'à son rejet, en passant par son usage et son traitement.
Carte hydrographique du Bureau de recherches géologiques et minières à l'appui, Laurent Monnot note que «en France, il y a de l'eau, mais pas de la même manière partout». Malgré une pluviométrie importante en 2024, tenanciellement, «sur l'axe Saône-Rhône, on n'a pas plus d'eau que les années précédentes».
Plus de traitements des micropolluants d'ici 2040
En France, la qualité de l'eau du robinet est «très contrôlée» par les agences régionales de santé à partir de directives européennes. «Il y a cent ans, on risquait plus d'avoir une contamination bactériologique qu'aujourd'hui», glisse le représentant de Suez en réponse aux questions d'élèves.
À ce jour, le traitement des eaux usées est organisé pour préserver les milieux naturels quand elles sont rejetées. Une nouvelle directive européenne de 2024, prochainement transposée en France, prévoit de mieux traiter l'azote, le phosphore et des micropolluants. La directive incite également à utiliser des énergies renouvelables dans les stations d'épuration.
Interrogé spécifiquement sur les pollutions médicamenteuses et hormonales de l'eau, Laurent Monnot précise que la directive en question obligera les agglomérations de plus de 10.000 habitants de traiter 12 molécules médicamenteuses d'ici 2040.
L'orateur signale que, en 2019, la Métropole de Dijon a fait le choix d'obliger Odivea à mettre en place un traitement de micropolluants, dont des substances médicamenteuses, d'ici 2030.
L'irrigation représente 3% des prélèvements d'eau
La gestion quantitative de l'eau en Côte-d'Or est abordée par Laure Ohleyer, chargée de mission irrigation et gestion de l'eau pour la chambre d'agriculture de la Côte-d'Or.
Cas unique en Bourgogne-Franche-Comté, la Côte-d'Or est divisée en zones de répartition des eaux où la ressource n'est pas en adéquation avec les besoins : la Tille, l'Ouche, la Vouge et la nappe de Dijon sud. Dans chaque zone, des volumes maximum prélevables ont été définis dans les années 2010 par les autorités pour l'eau potable, l'industrie et l'agriculture.
On recense 200 irrigants actifs chaque année, en quasi totalité situés dans le bassin de la Saône. Les autorisations de prélèvement pour le secteur agricole varient entre 1,5 million et 5,5 millions de m3, irriguant entre 1.500 et 5.500 hectares – soit 1,5% de la surface agricole utile du département – de production de légumes, de protéagineux et de semences. Elles représentent 3% des prélèvements, tous usages confondus. Parmi ces prélèvements, 34% servent à alimenter les retenues en hiver, utilisées par 38 exploitations.
Chaque année, un plan de répartition de l'eau est déposé par la chambre départementale d'agriculture auprès de la préfecture de la Côte-d'Or pour une instruction.
Au-delà de la gestion quantitative, la chambre d'agriculture conduit des expériences d'optimisation de l'irrigation et accompagne les projets collectifs ou individuels.
Deux projets de retenues d'eau en Côte-d'Or
L'intervention se termine par une rapide esquisse de deux projets de retenues de substitution en cours d'élaboration.
L'association syndicale autorisée (ASA) de Norges porte un projet multiusages couvrant quatre communes, un centre équestre, deux centres d'insertion et dix exploitations agricoles. Le golf de Quetigny, initialement partie prenante, a été exclu du périmètre.
Alimentée par la récupération des eaux de pluie, la retenue devrait atteindre un volume de 320.000 m3. Soit autant qui ne serait pas prélevé dans les milieux naturels. Une étude en cours est supervisée par la Métropole de Dijon.
À Flagey-Échezaux, le projet REUSE envisage la réalisation d'une retenue de 90.000 m3 alimentée par les eaux usées de la station d'épuration locale.
Elle approvisionnerait la communauté de communes de Gevrey-Chambertin et de Nuits-Saint-Georges et trois exploitations agricoles produisant principalement des légumes de plein champ consommés localement.
Jean-Christophe Tardivon