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08/11/2022 13:34

FIN DE VIE : Didier Martin envisage de «dépénaliser l'euthanasie»

Face à la demande d'un droit nouveau à mourir dans la dignité, Didier Martin et Fadila Khattabi ont présidé une table-ronde, ce lundi 7 novembre, à Dijon, portant sur l'offre de soins pour les personnes en fin de vie et l'éventuelle dépénalisation conditionnelle de l'euthanasie permettant une aide active à mourir.
Durant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait pris l'engagement d'instaurer une convention citoyenne abordant le délicat sujet de la fin de vie et pouvant éventuellement aboutir à un référendum. Réélu, le président a pu s'appuyer sur deux avis du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) émis en septembre. Deux avis différents soulignant la complexité de la problématique.

Dans son avis majoritaire, le CCNE a ouvert la voie à «une évolution vers une aide active à mourir» – pour peu que le législateur s'empare du sujet – évoquant «la possibilité d’un accès légal à une assistance au suicide» pour les «personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires dont le pronostic est engagé à moyen terme» (lire l'avis).

Depuis 2016, la loi Claeys-Leonetti encadre la fin de vie des malades incurables, elle interdit l’euthanasie et le suicide assisté mais permet une «sédation profonde et continue jusqu’au décès» pour des malades en phase terminale et en très grande souffrance, dont le pronostic vital est engagé «à court terme».

Un engagement de campagne de Didier Martin


Durant la campagne des élections législatives, en Côte-d'Or, le député sortant de la première circonscription Didier Martin (RE) avait constaté que le sujet de la fin de vie était régulièrement abordé lors des réunions publiques. Il s'était engagé à, lui aussi, tenir des débats localement une fois réélu.

Didier Martin est neuroradiologue de profession. En octobre dernier, le député à été nommé membre titulaire du CCNE. Il participera à une mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti demandée par la commission des affaires sociales.

État des lieux avec des professionnels et des citoyens engagés


Ce lundi 7 novembre 2022, avec Fadila Khattabi (RE), députée de la Côte-d'Or et présidente de la commission des affaires sociales à l'Assemblée nationale, Didier Martin a donné la parole à des professionnels de la santé et du médico-social ainsi qu'à des représentants associatifs et des élus locaux lors d'une table-ronde organisée à Dijon au Centre Régional d’Études, d'Actions et d'Informations de Bourgogne-Franche-Comté (CREAI), présidé par Jacques Nodin.

Conçue comme un état des lieux de la situation actuelle, chacun a pu présenter son expérience des soins palliatifs et son approche d'une façon de mourir dans la dignité, les échanges ont notamment porté sur les directives anticipées ainsi que sur les nuances entre suicide assisté et euthanasie.

«Le débat à bas bruit sur la place de la mort dans notre société»


En fin d'échanges, Noël-Jean Mazen, avocat de profession et président du Centre d'études pour le soin, l'aide et l'accompagnement à domicile (CESAAD),  propose une première synthèse.

«Il y a le débat sur l'autonomie, c'est le débat central. Derrière, il y a le débat à bas bruit sur la place de la mort dans notre société. Or, pendant des siècles, la mort était quelque chose de normal. (…) La mort, on a voulu l'exclure de notre société, comme les vieux, comme les handicapés.»

«Le débat est ancien. Sénèque disait il y a 2.000 ans '(…) je choisis ma maison, je veux aussi choisir ma mort'. Derrière, il y a problématique à différentes dimensions. Il y a la dimension politique : (…) on vous demande votre avis, un véritable avis, il va y avoir des débats pendant six mois. C'est un progrès.»

«Certains ont dit 'il y a eu plein de lois, ça bégaye'. Non, ça ne bégaye pas. Depuis quarante ans, tout a changé, notre société a changé. (…) Il faut aussi assumer. (...) La grande réforme, c'est qu'on était à court terme auparavant que le comité consultatif nous dit 'moyen terme'. C'est là-dessus qu'il va y avoir le débat.»

La place des infirmiers en pratique avancée


«La dimension psychologique est tout à fait essentielle. Il faut commencer par  la formation du corps médical, des infirmiers, ne pas oublier les infirmiers en pratique avancée (IPA) et créer une spécialité en la matière. Ils seront là plus facilement que le médecin, il seront là pour accompagner le médecin, pour faire l'intermédiaire, c'est extrêmement important que la société reconnaisse les soins palliatifs comme une vraie spécialité.»

«Il faut que l'avis de la personne soit le plus libre possible. Cela veut dire qu'il faut tout un temps d'explication. Or, très souvent, dans le monde médical, le médecin n'a pas le temps. C'est là que je reviens aussi à l'IPA. Il faut que l'on puisse aller jusqu'au bout. Je crois personnellement qu'un temps de consultation par un psychologue ou un psychiatre devrait être utile (…) pour confirmer ou infirmer la liberté du patient, le fait qu'il n'y a pas eu des pressions de la famille, il n'y a pas eu des pressions de la société et que la personne a vraiment décidé.»

Didier Martin constate «une demande de certains de nos concitoyens d'une aide active à mourir»


«C'est une initiative que nous prenons pour faire l'état des lieux de comment on meurt aujourd'hui en France, dans quelles conditions, à domicile, en EHPAD, à l'hôpital. (…) La réflexion, c'est comment bien mourir pour sortir de la solitude de certains désespérés avec le suicide, pour sortir d'un blocage légal et déontologique pour certaines professions à un moment où la loi est à une étape. Devant nous, il y a cette réflexion générale sur plusieurs semaines, plusieurs mois, sur comment les choses peuvent évoluer face à une demande de certains de nos concitoyens d'une aide active à mourir. Ce n'est pas l'inverse, ce n'est pas les soignants qui doivent faire consentir un patient à un suicide assisté ou à une euthanasie. C'est bien l'inverse, c'est comment on peut dépénaliser l'euthanasie pour répondre à cette demande-là, dans le respect des consciences des uns et des autres, dans le respect de la société avec, d'un côté, une éthique individuelle, une demande d'entendre un libre choix d'être aidé activement à mourir et, de l'autre côté, une société avec des principes de solidarité collectifs de protection des personnes vulnérables, quelles qu'elles soient», expose Didier Martin à l'issue de la table-ronde.

Fadila Khattabi souhaite renforcer l'accès à «des soins palliatifs de qualité»


«Nous devons avoir un débat avec les Français», complète Fadila Khattabi en évoquant la mobilisation des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux pour alimenter la réflexion. «Si nous devons faire évoluer la loi Claeys-Leonetti, on doit déjà évaluer ce qui existe. (…) Il y a un premier travail qui va être mené par la commission des affaires sociales. En parallèle, j'ai demandé à la Cour des comptes un rapport sur les soins palliatifs en France et un chiffrage sur le plan financier. Également, une étude comparative avec d'autres pays européens.»

«On sait que les soins palliatifs en France, il n'y a pas une égalité de traitement sur l'ensemble du territoire. Il y a des territoires qui sont très bien dotés et d'autres pas du tout dotés. Si on doit permettre à la personne de choisir sa fin de vie, elle doit aussi, en amont, pouvoir accéder à des soins palliatifs de qualité, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. (…) On doit pouvoir permettre aux personnes de choisir leur fin de vie», ajoute la députée.

«La loi Kouchner et la loi Leonetti première version ont interdit l'acharnement thérapeutique», rappelle Didier Martin, «elles indiquaient qu'il n'y avait pas d'obligation d'un patient à accepter un traitement et que les équipes ne devaient pas poursuivre des soins déraisonnables dans la mesure où le pronostic [vital] était très engagé et sans solution thérapeutique».

«Ce qui est tabou, c'est la mort», constate Didier Martin


«C'est encore tabou mais les Français souhaitent que nous avancions sur ce sujet», insiste Fadila Khattabi. «Ce qui est tabou, c'est la mort. C'est ça la grande question», rebondit Didier Martin. «Dans la société aujourd'hui, ces questions-là sont abordées. Nous vivons aussi une société de vieillissement où se développent des maladies évolutives neurologiques, où se développe le cancer à un stade final, où se développe aussi chez les personnes âgées une polyinsuffisance des fonctions vitales qui rendent déraisonnables une dialyse rénale, des perfusions excessives et des chimiothérapies. Tout ceci est maintenant abordé par les médecins.»

La «sédation profonde», une «euthanasie active et légale»


«Un médecin, professeur de réanimation, codirecteur de l'Espace régional d'éthique, répondait à ma question sur comment se passe aujourd'hui la sédation profonde continue jusqu'au décès», relate Didier Martin. «Il a clairement dit : 'il s'agit d'une euthanasie active' dans la mesure où on arrête l'assistance respiratoire et où on administre des drogues fortes pour l'analgésie et la sédation. Nous sommes déjà, dans certaines situations extrêmes, de réanimation en particulier, en face d'une euthanasie active qui existe et qui est légale.»

«Cette sédation se pratique aussi dans certaines unités de soins palliatifs et dans certaines hospitalisations à domicile. On ne peut pas dire que l'euthanasie n'existe pas en France. L'euthanasie dont on parle dans un éventuel futur projet de loi, c'est de répondre à quelqu'un dont le pronostic vital est engagé à très court terme, qui est en face d'une souffrance intolérable et qui demande soit un suicide assiste, soit une injection létale. C'est de cela dont il s'agit si on prend le cas de ce qui se passe en Suisse et de ce qui se passe en Belgique», poursuit-il.

«Il y a aujourd'hui en France un vide juridique donc une inégalité sur ce soin ultime qui est l'aide active à mourir, une inégalité entre ceux qui peuvent aller en Suisse ou en Belgique et ceux qui ne peuvent pas», pointe le député.

«Il ne s'agit pas de donner un permis de tuer»


«Les personnes doivent émettre leur volonté. C'est le corps médical qui consent. Il ne s'agit pas de faire consentir les patients à une euthanasie. Il s'agit que le corps médical – dans une forme qui reste à définir et dans des conditions très strictes – soit autorisé légalement à consentir à la demande d'euthanasie du patient. Il ne s'agit pas de donner un permis de tuer», précise Didier Martin. «Il faut que la loi soit respectée, c'est à nous de fabriquer la loi c'est à dire fixer le cadre légal dans lequel cette demande pourra être entendue et acceptée.»

«La loi de la République est métaphysiquement neutre»


Parmi le panel de professionnels ou d'acteurs de la société civile confrontés à des personnes en situation de fin de vie, un philosophe a participé aux débats. En revanche, le choix a été fait par Didier Martin de rencontrer des religieux lors d'un autre temps d'échanges.

«Les évêques de France ont parlé de 'ligne rouge' [lire la tribune]. Du côté des autres confessions, l'expression est moins formelle. Il y aura un moment où il sera intéressant de les entendre parce qu'ils vont s'exprimer», indique-t-il.

Et le député de souligner que «quand nous faisons la loi française, nous ne tenons pas comte des considérations métaphysiques. Nous pouvons entendre ce que la société exprime, y compris à travers les religions mais la loi de la République est métaphysiquement neutre».

Débat autour du documentaire «Les mots de la fin»


Durant ce mois novembre, la commission des affaires sociales lancera donc sa mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti. Le rapport de la Cour des comptes sur les soins palliatifs est attendu en mai 2023. Parallèlement, se feront les débats citoyens autour de l'aide active à mourir. L'éventuelle législation sur la fin de vie pourrait être débattue au parlement à la fin de l'été 2023.

Dans le cadre de cette réflexion, Didier Martin organise un ciné-débat le 21 novembre prochain au Darcy, à Dijon, autour du documentaire «Les mots de la fin» en présence du Docteur François Damas et de la réalisatrice Agnès Lejeune (lire le communiqué). Le film porte sur les consultations médicales en fin de vie et sur la législation en Belgique qui a dépénalisé l'euthanasie pour permettre des injections létales.

Jean-Christophe Tardivon