Ce jeudi 29 juin, lors d'une manifestation à Dijon, le délégué CGT a tissé un lien entre les travaux de régénération de la ligne Nevers-Dijon et la potentielle ouverture à la concurrence d'un lot de circulations TER comprenant cette ligne.
Les quatre organisations représentatives des cheminots avaient lancé un appel à rassemblement devant l'Hôtel de Région, à Dijon, ce jeudi 29 juin 2023, pour protester face au processus de libéralisation voulu par l'Union européenne dans le secteur du rail se déclinant en une ouverture à la concurrence des circulations des trains express régionaux (TER).
À l'appel de la CGT, UNSA, Sud Rail et de la CFDT, la mobilisation a commencé par une distribution de tracts, autour de 9 heures, à l'arrivée des conseillers régionaux. Favorables ou non à cette ouverture à la concurrence, la plupart des élus ont pris le document. En revanche, certains manifestants ont refusé d'échanger avec les élus du Rassemblement national pourtant opposés à la libéralisation.
Un bref rassemblement organisé sur la pause méridienne a été composé d'une centaine de personnes, des cheminots renforcés par des associations d'usagers et des enseignants de la CGT Éduc'action.
Une participation bien plus faible que lors du rassemblement du 27 janvier 2022 qui, en amont d'une manifestation interprofessionnelle, avait regroupé près de 400 personnes pour le même motif.
Le délégué CGT liste les pays ayant repris en gestion publique le transport régional
Premier à prendre la parole, Jean-Christophe Gossart, secrétaire régional de la CGT Cheminots en Bourgogne-Franche-Comté, compare avec les pays ayant déjà procédé à la libéralisation de leur secteur ferroviaire en commençant par le Royaume-Uni, «pionnier de la destruction du service public ferroviaire, entraînant de nombreux accidents tragiques, au point que le gestionnaire du réseau, Rail Trek, côté en bourse, fut dissous et la gestion des infrastructures est revenue dans le giron public».
Et de citer le Danemark, la Norvège, la Suède, la Belgique, l'Allemagne... «ont décidé de reprendre en gestion publique les activités, notamment de transport régional, préalablement confiées à des acteurs privés».
L'orateur considère que le règlement européen d'obligation de service public permet aux États de confier le transport de voyageurs à un opérateur public historique quand «les enjeux de sécurité, de service rendu aux usagers et de respect de l'offre de transport sont réalisables seulement par l'opérateur national public».
La «frénésie libérale» entraîne «une forte augmentation des coûts pour le contribuable»
Le syndicaliste fustige «le plan massif de productivité» de la SNCF avec «un retour récurrent à l'externalisation, à la sous-traitance, au contrats à durée déterminée et à l'intérim».
Selon Jean-Christophe Gossart, la «frénésie libérale» entraîne «une forte augmentation des coûts pour le contribuable», en prenant l'exemple des Hauts-de-France avec une hausse de 21%, de PACA avec +40% et de Grand-Est avec +63%. L'orateur préfère citer l'Occitanie, dirigée par la socialiste Carole Delga, qui vient de contractualiser avec la seule SNCF pour dix ans.
À noter que la libéralisation n'écarte pas les opérateurs publics historiques des appels d'offres, sauf qu'ils ne peuvent le faire qu'au travers d'une filiale de droit privé.
«Certaines Régions prévoient une régénération de l'infrastructure sur fonds publics »
«Certaines Régions prévoient une régénération de l'infrastructure à réaliser par le candidat retenu, soit avant le démarrage du contrat sur fonds publics. C'est le cas de la ligne Nevers-Dijon notamment fermée pendant huit mois (…) de Paris à Gilly-sur-Loire», tempêté le syndicaliste alors le sujet provoquent des crispations entre le conseil régional et les territoires concernés, y compris de la même famille politique que la majorité régionale.
«[Les Régions] s'engagent aussi à la création d'ateliers de maintenance ferroviaire dédié à l'opérateur retenu, si ce n'est pas la SNCF, à l'achat de rames neuves pour ce nouvel opérateur, le tout sur les fonds du conseil régional. Une contribution financière exceptionnelle peut même être octroyée à une entreprise ferroviaire privée si celle-ci n'attend pas ses propres objectifs de marge bénéficiaire», explique Jean-Christophe Gossart.
La CGT appelle la Région Bourgogne-Franche-Comté à opter pour «une convention 100% SNCF»
Alors que les représentants syndicaux ont été reçus par Marie-Guite Dufay (PS), présidente du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, Jean-Christophe Gossart raille «un dialogue social au ras des paquerettes» et reproche à l'exécutif régional de rejeter la responsabilité de retards sur la SNCF au lieu d'avoir suivi les conseils préalables de la CGT.
«Ironie du sort, c'est du fait de la libéralisation du marché de l'énergie et donc de l'envol des prix que le motif impérieux est décrété. Qui a dit que la concurrence dans le marché de l'énergie est une bonne chose ? Pas nous !», glisse l'orateur sous le regard d'élus régionaux communistes (
lire notre article).
Alors que la convention avec la SNCF a été renégociée en vue d'un vote à l'automne prochain, et même si la Région a adopté le principe de l'ouverture à la concurrence d'un premier lot de circulations TER appelée Bourgogne ouest-Nivernais – incluant donc la ligne Nevers-Dijon en cours de régénération –, Jean-Christophe Gossart appelle l'exécutif à opter pour «une convention 100% SNCF» sans aucune ouverture à la concurrence» pour une durée de dix ans.
L'économie annuelles de 30 millions d'euros négociée avec SNCF Voyageurs constitue «un leurre économique» pour Jean-Christophe Gossart. «Elle induira la pression sur les effectifs, sur les guichets, etc. et, donc, de la dégradation du service public dû et rendu aux usagers.»
Comptant déjà 28 manifestations et rassemblements sur le sujet en 23 semaines, le syndicaliste annonce la poursuite de la mobilisation : «on est là !»
«Nous allons dorénavant connaître un TER à plusieurs vitesses», estime le délégué UNSA
Ses trois camarades poursuivent avec un argumentaire similaire, signe de la cohérence de la démarche des quatre syndicats.
Secrétaire régional de l'UNSA ferroviaire en Bourgogne-Franche-Comté, Didier Garrido déplore de «subir les théories fumeuses des défenseurs de la concurrence soi-disant libre et non faussée». «La concurrence n'apportera aucune amélioration au transport ferroviaire ni aucune économie dans ce domaine pour les voyageurs et les contribuables.»
«Nous allons dorénavant connaître un TER à plusieurs vitesses. Les opérateurs privés se précipiteront sur les lignes à fort potentiel de développement et de bénéfices et délaisseront les lignes dites chères avec peu de fréquentation ou du moins qui ne correspondent pas à leur modèle économique propre, c'est la fin de l'égalité du traitement entre les territoires», poursuit-il.
Le délégué Sud Rail note que «le TGV Paris-Dijon perd du pognon !»
«On est victime d'un préjugé ancré, (…) c'est que les gens pensent que la concurrence, c'est mieux que le monopole public», constate Fabien Villedieu, délégué syndical Sud Rail.
«[Dans le marché de l'énergie], 25 ans après, (…) la concurrence a contribué à augmenter les prix. Ils font quoi les concurrents dans l'énergie ? Ils ont investi pour faire des centrales ? (…) Non, ils ont été voir EDF et lui on dit 'tu vas me vendre l'électricité que tu produis et je vais la vendre à ta place'. Les concurrents d'EDF produisent 5% d'énergie, c'est à dire rien ! C'est des parasites ces gens-là. Dans le ferroviaire, ça sera la même chose ! (…) C'est deux industries de réseaux, via un rail et des caténaires, c'est des investissements de dingue. Il y a une ligne qui est en train d'être reconstruite entre Dijon et Nevers, c'est 173 millions d'euros. Évidemment que ça n'intéresse pas le privé !» tempête l'orateur.
«Vous avez vu la concurrence des TGV. (…) Sur les sillons, ils ont des ristournes. On en reparlera dans trois ans. Là, où la SNCF alimente un fonds de concours de un milliard d'euros en 2023, c'est à dire un impôt à 60% sur les bénéfices de la SNCF, ils n'ont pas ça. (…) Ils ne vont pas faire de service public. Le TGV fait du service public. (…) Le TGV Paris-Dijon perd du pognon ! Il gagne un peu d'argent sur les heures de pointe mais le reste, c'est un des TGV qui perd le plus de pognon. Toutes les compagnies qui sont là en train de faire de la flûte, ils ne feront pas du Paris-Dijon. Que dit la SNCF ? Là où je fais de l'argent, c'est à dire du Paris-Lyon, c'est équilibré sur là où je perds de l'argent, du Paris-Dijon ou du Dijon-Lille. (…) Pourquoi ils ont supprimé le Dijon-Lille ? Parce qu'il ne rapportait pas assez d'argent et que dit la SNCF ? (…) Les endroits où ça rapporte le moins, soit je supprime le TGV, soit je vais voir la collectivité locale, la Région ou la mairie, et c'est le contribuable qui raque», développe-t-il.
«Pour avoir le même service demain, qui sera dégradé, vous aurez l'obligation à ce que les collectivités locales, c'est à dire les impôts payent. On a déjà ici les exemples où, entre le privé et le public, ça coûtera plus cher, ça sera juste payé par le contribuable», résume-t-il.
Le délégué CFDT revendique «d'autres choix qui permettent au ferroviaire de prendre toute sa place dans la transition énergétique»
«La stratégie de la CFDT d'assigner en justice la Région Bourgogne-Franche-Comté a porté ses fruits», assure Olivier Richard, secrétaire général de la CFDT Cheminots en Bourgogne-Franche-Comté.
«La mauvaise loi de 2018 a a introduit les principes issus de la concurrence issus notamment du quatrième paquet ferroviaire européen», rappelle-t-il.
«Ce que nous disons est simple : construisons un système ferroviaire robuste et économiquement viable autour de l'opérateur public SNCF et des cheminotes et cheminots qui le composent», ajoute-t-il.
Et de conclure que «l'ouverture à la concurrence affaiblit l'opérateur historique qui propose une offre intégrée sur laquelle repose son équilibre économique et stratégique. (…) D'autres choix sont possibles. D'autres choix qui garantissent un avenir au ferroviaire avec des cheminotes et cheminots au service de la population, qui permettent au ferroviaire de prendre toute sa place dans la transition énergétique, qui permettent de construire un modèle social de progrès».
Propos recueillis par
Jean-Christophe Tardivon