Différents acteurs du champ de la justice ont organisé, le 4 octobre dernier, à Dijon, un procès fictif pour juger Lord Voldemort, accusé de violences avec arme à l'encontre du jeune Harry Potter.
«Bienvenue les Moldus !» Les non-magiciens étaient ainsi encouragés par le procureur de la République de Dijon à participer à la cinquième édition de la Nuit du Droit, ce mercredi 4 octobre 2023, en prenant place dans la salle des pas perdus du bâtiment du XVIème siècle du palais de justice de Dijon.
Cette salle de style néogothique est en adéquation avec l'univers d'Harry Potter – du nom du personnage d'adolescent magicien inventé par la romancière britannique J. K. Rowling en 1997 – qui sert de cadre pour aborder le délicat sujet de la protection de l'enfance au travers du procès fictif d'un adulte ayant agressé un mineur.
«Nous baignons dans un environnement juridique», explique Olivier Caracotch
La Nuit du Droit marque l'anniversaire de la promulgation de la Constitution de la Vème République française, le 4 octobre 1958 par le président René Coty. Ce soir-là, chaque juridiction est encouragée par le ministère de la Justice à organiser un événement ouvert au grand public.
«Le but de la Nuit du Droit est de vulgariser le droit et de faire comprendre que nous baignons dans un environnement juridique», explique ainsi Olivier Caracotch, procureur de la République près le tribunal de Dijon, «pour le vulgariser, il fallait une thématique qui parle à tout le monde ; ce procès fictif dans le monde d'Harry Potter est un moyen de toucher un public qui, d'habitude, n'est pas forcément sensibilisé aux questions de droit».
«Le thème de la justice en faveur des mineurs est extrêmement important dans la politique gouvernementale et dans les différentes politiques judiciaires», explique le représentant du ministère de la Justice, «c'est un des thèmes centraux sur lesquels on travaille».
«Comment la justice peut protéger le jeune Harry Potter ?»
La cour d'appel, le tribunal judiciaire, le tribunal administratif et le barreau de Dijon, l'UFR Droit de l'université de Bourgogne ainsi que le Conseil départemental de l'accès au droit de la Côte-d'Or ont choisi d'organiser le «Procès fictif de Voldemort» avec en question subsidiaire «comment la justice peut protéger le jeune Harry Potter ?»
L'événement a été suivi par plus de 200 personnes, en grande majorité des étudiants en droit, constituant le «magenmagot» ou tribunal magique.
Une dizaine d'heures pour préparer les étudiants
Ce tribunal a dû juger le mage noir Lord Voldemort pour des violences présumées visant Harry Potter, peut-être avec préméditation.
Victime, prévenu, avocat de la défense, procureur, greffier et membres du tribunal sont joués par des étudiants en droit, allant de la deuxième à la cinquième année. Ils ont été encadrés par Géraldine Maugain, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'université de Bourgogne, et entraînés par Maître Laure Abramowitch, avocate au barreau de Dijon, durant une dizaine d'heures.
À la suite du jugement, un débat a été proposé sur le thème de la protection de l'enfance avec des représentants des institutions impliquées localement.
Lord Vodemort est jugé pour «des faits de violences» sur Harry Potter
«Le tribunal ! Veuillez vous lever !», clame Olivier Caracotch pour lancer l'événement alors que les différents personnages prennent place qui avec sa baguette magique, qui avec son grimoire, qui avec sa cape noire dans un environnement qui plonge l'assistance au sein de l'univers d'Harry Potter.
Tom Elvis Jedusor, alias «Lord Voldemort», est un sorcier adulte. Il est jugé pour «des faits de violences sur la personne de Monsieur Harry James Potter ayant entraîné une incapacité temporaire de travail de moins de huit jours avec les circonstances aggravantes que les faits ont été commis sur un mineur de quinze ans et avec l'usage d'une arme, en l'espèce une baguette magique». Arme saisie en perquisition et placée sous scellés.
Connu comme «le duel de Little Hangleton» et prenant place dans le tome «Harry Potter et la Coupe de feu», les faits concernent un combat critique entre les deux protagonistes survenu dans un cimetière. Durant cet affrontement, Voldemort a entaillé le bras d'Harry Potter pour lui prélever du sang, lui a ordonné de s'incliner pour l'humilier, puis lui a jeté les sortilèges «impardonnables»
Doloris et
Imperium. Le jeune sorcier a pu repousser l'assaut mais a dû fuir, relativement blessé.
Harry Potter insiste sur «les séquelles physiques et psychiques»
Alors que le plaignant se constitue partie civile, le tribunal débute l'instruction du dossier. Les faits reprochés sont exposés en recourant à «un enregistrement vidéo» de l'altercation. Le prévenu présente sa version des faits. L'avocate de la partie civile l'interroge puis l'avocate de la défense fait de même.
Le plaignant rapporte ensuite sa version des faits et indique ses préjudices en insistant sur «les séquelles physiques et psychiques» ayant entraîné «un suivi auprès d'un spécialiste».
«Je fais de nombreux cauchemars, je revis encore et encore ce moment», déclare la jeune victime, «je suis dans un état de stress permanent, sans arrêt sur mes gardes, terrifié à l'idée de me retrouver à nouveau dans une situation similaire». «Mon psychiatre a diagnostiqué un syndrome post-traumatique ainsi qu'un syndrome du survivant.»
Les avocates et la procureure peuvent alors demander des précisions.
«Le prévenu est un individu qui présente des caractéristiques sociopathes et narcissiques», selon les experts
Interrogé par le tribunal, Lord Voldemort réfute toute préméditation. «Étant donné mon état psychologique, je ne regrette rien parce que je n'avais pas conscience des faits», déclare-t-il néanmoins.
Le prévenu a fait l'objet d'une expertise psychiatrique par un guérisseur de Sainte-Mangouste : «le prévenu est un individu qui présente des caractéristiques sociopathes et narcissiques. En plus de sa grande intelligence, il possède une obsession pour le pouvoir qui le mène à une incapacité de ressentir des remords et de l'empathie. Il n'hésite pas à manipuler et à mentir compulsivement pour obtenir ce qu'il souhaite».
Lord Voldemort traîne un lourd passé judiciaire, ayant été condamné à 20 ans de réclusion criminelle dans la prison d'Azkaban pour «meurtre et tentative de meurtre». Le prévenu met en avant le fait qu'il a été abandonné enfant dans un orphelinat où il aurait été lui-même harcelé.
La partie civile plaide ensuite, insistant sur «l'intention de tuer» et compare avec une affaire similaire ayant conduit à «huit ans d'emprisonnement». Elle insiste sur le fait qu'Harry Potter est, lui aussi, orphelin et a été placé en famille d'accueil. Elle récuse ainsi toute «abolition du discernement» de la part du prévenu. Elle demande des dommages et intérêts à hauteur de 2.000 galions.
«Les preuves sont accablantes», selon la procureure
La procureure alerte sur «des infractions graves qui menacent la sécurité de nos concitoyens et sapent la confiance en notre société» et rappelle que «les preuves sont accablantes». Elle requiert «le maintien en détention du prévenu à la prison d'Azkaban pour cinq ans, une obligation de soins, une interdiction d'exercer une activité professionnelle ou associative au contact de mineurs, le versement de dommages et intérêts de 2.000 galions et une confiscation de l'arme».
La défense reconnaît «une bagarre réciproque entre deux sorciers» et insiste avec émotion sur les talents du prévenu qui «a révolutionné l'histoire de la magie», un homme brisé par «une enfance à laquelle il n'a jamais eu le droit». Elle demande une obligation de soins et un internement en centre spécialisé pour faire de lui «un sorcier guéri» afin d'«exercer une carrière de professeur».
Lord Voldemort est condamné à cinq ans de réclusion à la prison d'Azkaban
Le magenmagot est appelé à voter à main levée sur la culpabilité puis la responsabilité de Lord Voldemort. Dans les deux cas, une très large majorité approuve.
Après avoir délibéré, le tribunal revient dans la salle pour prononcer un verdict correspondant aux réquisitions du ministère public tandis que des applaudissements nourris jaillissent dans l'assistance devant la brillante prestation des étudiants.
Harry Potter et Voldemort auraient pu «bénéficier de mesures de protection»
«Ce sont des enfants en danger du fait de carences affectives», constate aux moments des débats Walter Jean-Baptiste, maître de conférence en droit privé à l'université de Bourgogne, en s'appuyant sur les personnages présentés dans le procès fictif. «Ils auraient peut-être mérité de bénéficier de mesures de protection.»
L'enseignant insiste sur «les enjeux de protection des enfants, aussi bien en situation de victimes ou de personnes ayant violé la règle de droit», cela «sans oublier les spécificités de leur jeune âge».
En Côte-d'Or, 3.000 enfants font l'objet d'une mesure de protection
«La protection de l'enfance est exercée à la fois dans le champ administratif et dans le champ judiciaire», explique Patricia Geoffroy, cheffe du service aide sociale à l'enfance du Département de la Côte-d'Or, collectivité dont les compétences la conduise à accompagner les enfants victimes.
En 2023, en Côte-d'Or, 3.000 enfants font l'objet d'une mesure de protection, la moitié au travers d'un placement dans une famille d'accueil ou un établissement, la moitié suivis à domicile.
«Le champ devient très technique», signale Patricia Geoffroy, rappelant que la définition de la protection de l'enfance date de 2016. «Il y a 40 ans, il y avait très peu de règles, aujourd'hui, il y en a beaucoup.»
«Les métiers de la protection de l'enfance s'adressent beaucoup aux juristes», indique-t-elle. Il s'agit de garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l'enfant, de soutenir son développement physique et affectif, intellectuel et social. «L'intervention va couvrir tous les aspects de la vie de l'enfant.»
Poudlard, l'équivalent d'un service de protection de l'enfance
«Harry Potter aurait pu être un enfant accueilli en protection de l'enfance s'il n'avait pas eu son oncle et sa tante», relève Patricia Goeffroy, «il aurait été recueilli dans le service d'aide sociale à l'enfance».
«Ce que [le pensionnat] Poudlard propose à ces jeunes sorciers – santé, éducation, ouverture aux autres –, c'est ce que la loi attend d'un service de protection de l'enfance pour permettre de devenir un adulte autonome. Ce conte fantastique rejoint la réalité d'aujourd'hui», analyse Patricia Geoffroy.
Selon Patricia Geoffroy, un tiers des jeunes accompagnés par la protection de l'enfance bénéficie d'un ascenseur social, un tiers reproduisent une moyenne sociale et un tiers restent plongés dans leurs difficultés.
«La qualité de mineur victime constitue une circonstance aggravante pour nombre d'infractions», signale Laurène Lion
«La protection de l'enfance recrute», lance Laurène Lion, vice-présidente au tribunal judiciaire de Dijon en charge des fonctions de juge des enfants, à l'adresse des étudiants.
«Les dispositions pénales permettent aux mineurs victimes de déposer plainte seuls mais il leur faudra des représentants légaux ou un administrateur ad hoc pour agir en justice», poursuit la magistrate.
«La qualité de mineur victime constitue une circonstance aggravante pour nombre d'infractions. Elle participe à l'allongement des délais de prescription et à des dérogations de secret professionnel», développe-t-elle. «Il existe des délits de non dénonciation de crime sur des mineurs.»
L'assistance éducative, «un soutien de l'autorité parentale»
Le mécanisme de protection de l'enfant agit selon trois niveaux : les parents, l’administration et la justice.
L'assistance éducative intervient si la procédure administrative n'a pas permis de mettre fin au danger encouru par l'enfant causé par un dysfonctionnement dans l'exercice de l'autorité parentale. «L'assistance éducative s'inscrit dans un cadre de soutien de l'autorité parentale, voire un aménagement, en aucun cas en substitution», insiste Laurène Lion.
La magistrate souligne ainsi cinq aspects : l'enfant est partie à la procédure, le juge des enfants peut statuer
ultra petita (par une mesure d'éloignement de l'enfant), les parties ne sont pas maîtresses de la fin de l'instance, le juge des enfants peut se saisir d'office, les décisions n'ont pas autorité de jugé (c'est à dire que les décisions peuvent être revues).
Quatre principes directeurs s'imposent : la recherche de l'adhésion de la famille, la priorité du maintien du mineur dans son milieu actuel, le respect des convictions religieuses et philosophiques du mineur et de sa famille, le juge des enfants doit se prononcer en stricte considération de l'enfant.
Les mesures peuvent prendre la forme d'investigations ou d'expertises, d'assistance en milieu ouvert (un éducateur se rend chez la famille) ou d'éloignement de l'enfant (en famille d'accueil, établissement ou médiation).
Maître Marie-Christine Klepping note «des progrès considérables»
«Quand j'ai débuté l'enfant était pas ou peu entendu, pas ou peu représenté», relate Maître Marie-Christine Klepping, avocate au barreau de Dijon, qui note donc «des progrès considérables pour reconnaître à l'enfant sa qualité d'individu même s'il est petit».
Avocate d'administrateurs ad hoc, Maître Marie-Christine Klepping travaille entourée de travailleurs sociaux, constituant ainsi «une chaîne de compétences qui doivent se conjuguer pour faire une bonne défense de l'enfant».
Le juge administratif peut être saisi contre le Département
«Le rôle du juge administratif reste résiduel en matière de protection de l'enfance car la loi attribue cette compétence au juge judiciaire», constate Mélody Desseix, magistrate au tribunal administratif de Dijon. «Le juge administratif peut être saisi en référé de demande pour qu'il soit enjoint au Département de prendre en charge un jeune se présentant comme mineur isolé au titre de l'accueil provisoire d'urgence (...) dans l'attente d'évaluation de la minorité de ce jeune. (…) Le juge administratif peut être saisi en cas de refus du Département d'accorder le bénéfice d'un contrat jeune majeur qui permet la poursuite des mesures d'assistance jusqu'à l'âge de 21 ans pour les jeunes éprouvant des difficultés d'insertion sociale.»
Le juge administratif peut également être saisi pour contester l'action du Département en matière d'aide sociale à l'enfance.
Le procès de Lord Voldemort pourrait «se poursuivre devant le juge administratif»
Pour évoquer le rôle de la justice administrative en cas de harcèlement, Mélody Desseix relève que «le procès public qui a eu lieu ce soir pourrait bien se poursuivre devant le juge administratif» au regard des torts causés à des tiers par Lord Voldemort alors qu'il était encore sous la responsabilité de l'orphelinat.
La Nuit du Droit dijonnaise se termine par un temps de questions-réponses, animé par Géraldine Maugain, durant lequel les étudiants abordent notamment la perception des procès par les enfants ainsi que l'insertion professionnelle dans les différents champs de la protection de l'enfance.
Jean-Christophe Tardivon