Recherche
Pour nous joindre
redaction.infosdijon@gmail.com
SMS au 07.86.17.77.12
> Vie locale > Vie locale
06/10/2021 20:20

NUIT DU DROIT : «Le conseiller Prince s'est suicidé», selon le verdict du public

Retour sur une affaire qui a fait vaciller la IIIème République. Pour cette Nuit du Droit se déroulant à l’Écrin à Talant ce lundi 4 octobre, 350 personnes, principalement des étudiants en droit, ont eu à juger si la mort du conseiller Albert Prince survenue en février 1934 relevait d'un suicide ou d'un crime politique.
La Nuit du Droit est un événement se déclinant dans de nombreuses villes en France avec pour objectif de sensibiliser le plus grand nombre au Droit, à ses principes, à ses institutions et à ses métiers. Elle prend place le jour anniversaire de la promulgation de la Constitution de la Vème République, le 4 octobre 1958.

Ce 4 octobre 2021, la Nuit du Droit est organisée par le barreau de Dijon, la faculté de droit de l'université de Bourgogne, l'Association Droit Dijon (ADD) et le tribunal judiciaire de Dijon pour «entrer dans le débat passionné entre les tenants de la thèse du suicide [du conseiller Prince] et ceux de la thèse de l'assassinat», comme l'a indiqué Bruno Laplane, président du tribunal judiciaire de Dijon.


«Je vois l'intérêt d'entrer dans ce qui fait l'essence judiciaire, qui est évidemment la contradiction entre deux thèses, entre lesquelles évidemment il faut trancher», a ajouté Bruno Laplane.

La soirée s'est déroulée en quatre temps. Projection d'une émission de télévision «Alain Decaux raconte» consacrée à l'affaire Prince comme extension de l'affaire Stavisky (59 mn, réalisateur Jean-Charles Dudrumet, 1975). Présentation des deux thèses par les étudiants. Verdict du public. Puis, finalement, échanges avec la salle sur «la substance d'une plaidoirie».

Le contexte de l'affaire Stavisky


Le 8 janvier 1934, Alexandre Stavisky, dit Serge Alexandre ou encore «le beau Sacha», est retrouvé mort dans un chalet à Chamonix. En décembre 1933, les autorités ont mis au jour un système de Ponzi qui a permis à Alexandre Stavisky de détourner 200 millions de francs via de faux bons au porteur du crédit municipal de Bayonne avec la complicité du député-maire de la ville.

Conseiller à la cour d'appel de Paris, Albert Prince est chef de la section financière du parquet de Paris. Il découvre que les relations d'Alexandre Stavisky s'étendent jusque dans la police, la justice, la presse et la sphère politique. Le 27 janvier 1934, le gouvernement de Camille Chautemps tombe, le préfet de Paris Jean Chiappe est révoqué. Des émeutes antiparlementaires culminent dans la nuit du 6 février 1934 place de la Concorde.

La combe aux fées est le théâtre d'un drame


Le 20 février 1394, le corps déchiqueté d'Albert Prince est retrouvé par des cheminots à la combe aux fées, sur la commune de Talant. Il était donc particulièrement symbolique d'organiser cette Nuit du Droit à Talant même. Maire de la ville, Fabian Ruinet (LR-Agir) accueille les intervenants.

«Le droit régit tous les aspects de la vie des Français et, même quand il n'en ont pas forcément conscience, il protège les libertés, il garantit la sécurité juridique, il permet le règlement pacifique des conflits et il assure le bon fonctionnement de la vie économique et sociale», résume Fabian Ruinet.

«Nous avons voulu attirer votre attention sur le fait qu'il ne peut pas y avoir de système politique sans une constitution et un système judiciaire indépendant», souligne le Républicain.

«S'exercer à un art oratoire»


À l'issue de la projection de l'émission d'Alain Decaux, Alexis Mages, doyen de la faculté de droit, salue «un film extrêmement complet et extrêmement perturbant». «Je remercie les étudiants qui ont saisi l'occasion qui leur était offerte de s'exercer à un art oratoire qu'ils auront à manipuler par la suite, quelle que soit la profession qu'ils auront à occuper. C'est vraiment une occasion en or qui leur ait donnée», indique Alexis Mages.

«Cette affaire pose les questions de la mémoire et de la vérité judiciaire», souligne celui qui est également professeur d'histoire du droit. «On voit qu'il n'y a pas une seule vérité : il y a la vérité des journalistes, la vérité des policiers, la vérité des historiens... Quand j'ai regardé de mon côté, je me suis fait ma propre opinion».

La thèse officielle de l'époque concluait au suicide et le dossier fut classé sans suite en 1937. Mais, dans les remous de l'affaire Stavisky, la presse populaire ainsi que les journaux d'extrême-droite et d'extrême-gauche tendaient à privilégier la thèse du crime politique. La présentation d'Alain Decaux, toute en nuances, laisser planer le doute. La voie était donc dégagée pour les étudiants.

Quarante étudiants, deux thèses, un verdict


Quarante étudiants de L2, M1 et M2 de droit ont été divisés en deux groupes. Chaque groupe étudiants a élu les deux représentants, un homme et une femme, devant porter chaque thèse, suicide et assassinat. Si le travail préparatoire a été réalisé en groupe, chaque binôme a rédigé sa plaidoirie. La plupart ne connaissaient pas l'affaire du conseiller Prince auparavant.

Krisztina Winter (L2 Droit) indique avoir été motivée par «l'expérience» apportée : «aller aux archives, concevoir un discours avec mon coéquipier». «Il y avait plus de vingt dossiers», signale Romain Villaboa (M1 Droit fiscal), les étudiants ayant pu consulter les documents originaux aux archives départementales de la Côte-d'Or.

«Ça a permis de mettre en contexte certains trucs qu'on a appris en cours. On a pu voir le compte-rendu des enquêteurs, on a pu voir le classement sans suite de l'affaire dans les années 1930», explique Romain Villaboa.

«Il y a un bel avenir pour eux en termes d'éloquence»


Les étudiants ont été accompagnés par deux avocats de profession. «On a vu une véritable amélioration depuis les moments où on les coachés, c'est particulièrement remarquable de pouvoir s'exprimer comme ça en public et d'être aussi à l'aise. Il y a un bel avenir pour eux en termes d'éloquence, de droit et de compétences juridiques», indiquera Maître Alexandre Jaffeux à l'issue des plaidoiries.

Maître Laure Abramowitch rappellera l'importance de l'illustration par le plaideur du contexte des faits car «un jury d'assise n'a pas accès au dossier». Rien que la rédaction et les répétitions des plaidoiries ont nécessité environ une quinzaine d'heures de travail à chaque binôme.

«Les plaidoiries ont été d'une très grande qualité»


Une fois sur la scène de l’Écrin, les tenants de la thèse de l'assassinat, Krisztina Winter et Noé Noga, sont les premiers à prendre la parole. Ils s'exercent à mettre en avant la difficile crédibilité d'un suicide sans pour autant s'attarder sur les remugles politico-médiatiques de l'affaire Stavisky, se concentrant sur les aspects financiers de l'escroquerie pour esquisser l'éventuel responsabilité du conseiller Albert Prince dans le dossier : Alexandre Stavisky a bénéficié de dix-neuf remises de jugement. Responsabilité pouvant servir de prétexte à un assassinat.

Les tenants de la thèse d'un suicide, Romain Villaboa et Amandine Faure, optent pour une approche originale demandant à imaginer une sorte de hara-kiri, même s'ils ne le formulent pas ainsi. C'est à dire un suicide exercé par Albert Prince pour laver son honneur en laissant des indices (dont un dossier toujours conservé aux archives départementales) pour explorer l'escroquerie. Il se serait donc volontairement installé sur la voie ferrée de la combe aux fées et laissé percuter par le Paris-Dijon ce soir-là. Albert Prince avait indiqué à son épouse devoir quitter Paris pour rendre visite à sa mère, malade, habitant Dijon.

Le verdict du jury populaire constitué par l'assistance se fait à main levée tandis qu'Olivier Caracotch, procureur de la République de Dijon, préside le vote. D'une courte majorité, la thèse du suicide d'honneur l'emporte parmi le public. «C'est un vote, pas un jugement», rappelle Olivier Caracotch avant de féliciter les deux équipes dont «les plaidoiries ont été d'une très grande qualité».

«La plaidoirie, c'est être crédible en maîtrisant son dossier»


«C'est le principe même de la plaidoirie, convaincre son auditoire, pour l'avocat, convaincre le tribunal, c'est émouvoir le juge par une thèse ou une autre, c'est défendre une cause, c'est principale capter la voix du justiciable en abordant le dossier de la manière la plus objective possible. Il faut être crédible pour plaider et convaincre. La plaidoirie, c'est être crédible en maîtrisant son dossier», rappelle Jean-Philippe Schmitt, actuel vice-bâtonnier du barreau de Dijon (et prochain bâtonnier au 1er janvier 2022).

Arguments sincères, synthétiques et percutants, critique juste du dossier adverse, adaptation à son auditoire font partie des éléments clés pour rendre vivante la plaidoirie.

Une prochaine Fête du Droit en mars 2022


La conclusion de cette Nuit du Droit est apportée par Caroline Bugnon, maître de conférences en droit public à la faculté de droit de Dijon, qui a salué l'implication et le travail collectif des étudiants : «ils ont vraiment su mettre en place une cohésion de groupe».

De prochains concours de plaidoirie seront organisés par l'ADD et la faculté de droit, notamment pour la Fête du Droit en mars prochain sur le thème de «la nature et le droit». Toujours dans l'esprit de la soirée, pour favoriser l'accès au droit, l'université de Bourgogne et le tribunal judiciaire de Dijon mettent en place le «Jeudi de la cité» avec notamment une conférence le 2 décembre prochain sur le travail d'intérêt général.

Jean-Christophe Tardivon



































Infos-dijon.com - Mentions légales