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04/04/2022 03:27

PRÉSIDENTIELLE : «La souveraineté alimentaire doit être décidée par les élus d'un pays, pas par le privé», alerte Claude Gruffat

À partir du thème de la souveraineté alimentaire, le député européen écologiste a proposé ce samedi 2 avril à Chenôve de faire le bilan de trente ans de politique agricole commune.
«35 ans dans la bio» : Claude Gruffat a la bio chevillée au corps, principalement sous l'angle de la distribution commerciale auprès des consommateurs, ceux qu'il s'agit de nourrir au bout de la filière.

D'abord conseiller agricole pour accompagner l'installation des jeunes agriculteurs, Claude Gruffat a ouvert son premier magasin à Blois en 1995. Il a adhéré au réseau Biocoop et s'est engagé au point de présider la coopérative de 2004 à 2019.

En position éligible sur la liste d'Europe Écologie Les Verts conduite par Yannick Jadot aux élections européennes de 2019, Claude Gruffat est entré au Parlement européen en 2020, à la suite du Brexit et du retrait des élus britanniques.


Ce samedi 2 avril 2022, dans le cadre de la campagne de soutien à Yannick Jadot en vue de la présidentielle, le député européen était à l'Hôtel des sociétés à Chenôve pour donner une conférence devant une vingtaine de personnes sur le thème de «La souveraineté alimentaire à l’épreuve du climat et des conséquences de la guerre en Ukraine»

«Je plains les paysans conventionnels»


«En tant qu'entrepreneur, j'ai longtemps eu des bâtons dans les roues de la part des politiques pour les développements que je voulais faire, c'est l'occasion de passer de l'autre coté de la barrière et d'essayer de tirer les leviers du monde politique pour faire changer les choses. Le niveau européen est particulièrement intéressant pour l'agriculture et l'alimentation», explique le député européen au moment de se présenter devant l'assistance. Claude Gruffat insiste sur le fait qu'il est membre titulaire de la commission économie-fiscalité et suppléant aux commissions agriculture et marché intérieur.

«70% des surfaces agricoles sont destinées à l’alimentation animale»


«Trente ans de PAC : on en est à drone, ferme usine, agrobusiness», résume le député européen en faisant le bilan de la politique agricole commune de l'Union européenne (PAC), «c'est la situation aujourd'hui, ce qu'ils nous promettent : c'est pire».

Quand les promoteurs de la PAC mettent en avant la balance commerciale excédentaire de 15 milliards d'euros, Claude Gruffat entend apporter des nuances : «si on enlève le vin et les céréales, c'est -11 milliards donc c'est très fragile». Et de souligner que 45% des fruits et légumes potentiellement cultivables en Europe sont importés, «ça n'a pas de sens».

En France, «on ne produit pas du blé pour nous nourrir, on produit du blé pour nourrir les cochons et les volailles : 70% des surfaces agricoles sont destinées à l’alimentation animale, pas à l'alimentation humaine. (…) 70% des protéagineux vont à l'alimentation animale».

L'augmentation des prix du gaz à la suite de l'invasion russe en Ukraine entraîne un surcoût des engrais de synthèse : «fois trois en moins d'un mois». «Je plains les paysans conventionnels», déclare l'écologiste.

«On n'a aucun stock stratégique alimentaire public»


Le député européen alerte également sur la dépendance aux productions d'Ukraine et de la Fédération de Russie des pays d'Afrique et du Moyen-Orient en soulignant que Vladimir Poutine «a arrêté d'exporté en avril 2021, (…) lui préparait déjà la guerre, clairement». «Nous, les Occidentaux, on s'est précipité dans la brèche pour liquider tous nos stocks. (…) Aucune stratégie de la part de nos gouvernements.»

«On n'a aucun stock stratégique alimentaire public, tous nos stocks sont dans le privé, Cargill en tête [NDLR : Cargill est une entreprise américaine spécialisée dans la fourniture d'ingrédients alimentaires et dans le négoce de matières premières]. (…) Ça pose un problème de base, politique. Stratégiquement, la souveraineté alimentaire doit être décidée par les élus d'un pays, pas par le privé», alerte Claude Gruffat. «Il faut remettre en place des structures et pas tous les concentrer au même endroit (…) ou alors en nationaliser certains.»

À l'échelle européenne, 54% des stocks de céréales seraient destinés à l'alimentation animale, 19% à l'alimentation humaine, 15% aux agrocarburants et 12% aux exportations.

«Il va falloir réorienter des assolements pour aller vers l'alimentation des humains», assène Claude Gruffat en songeant également à l'exportation vers les pays d'Afrique et du Moyen-Orient.

L'écologiste fustige les accords commerciaux bilatéraux dont celui du Mercosur qui «dit qu'on peut importer du bœuf aux hormones, qu'on peut mettre dedans des céréales, du soja, qui utilisent des pesticides interdits en Europe». «Il faut arrêter d'importer à pas cher pour mettre les paysans d'ici en concurrence déloyale avec des techniques agricoles interdites. Aux barrières européennes, la façon de produire doit être prise en compte.»

Des actions pour «obliger l'EFSA de mieux travailler sur la toxicité des pesticides»


Au chapitre du bilan environnemental de la PAC, Claude Gruffat inclut les décès prématurés du fait de la pollution atmosphérique, en partie liée à l'usage de produits phytosanitaires de synthèse.

«Les pesticides sont de plus en plus nombreux présents dans les nappes et les rivières. Ils sont très présents, ils sont peu analysés. (…) Si on arrête les pesticides maintenant, ce qu'on a mis dans le sol percolent, ça descend entre 25 à 30 ans, quand on a des sols argileux, pour arriver jusque dans la nappe», explique l'écologiste qui se demande pour la France n'instaure pas plus de production biologique autour des zones de captage d'eau sur le modèle de l'Italie ou de certains länder allemands. «Ils sont arrivés à une eau vraiment propre au robinet et le prix de l'eau baisse depuis 3-4 ans.»

Poursuivant sur ce thème, Claude Gruffat pointe les conséquences du recours à l'atrazine, un désherbant du maïs interdit depuis 1998, dont la biodégradabilité serait d'«au moins de 200 ans» : «on a 6.000 communes qui ont dû fermer leurs forages parce que leur eau est trop polluée en atrazine». «Chenôve !» lance depuis la salle le conseiller municipal chenevelier Bruno Haberkorn (EELV) pour donner un exemple local.

Parallèlement, l'orateur évoque les métabolites du glyphosate qui ne sont pas recherchés car «pas déposés» par le fabricant. «C'est une catastrophe, ce qui laisse augurer que le niveau d'empoisonnement est bien plus important que ce que l'on peut imaginer. (…) Au niveau du Parlement européen, on a entamé des actions (…) pour obliger l'EFSA [NDLR : Autorité européenne de sécurité des aliments] de mieux travailler sur la toxicité des pesticides. (…) Les lobbys sont au travail.»

En matière de biodiversité, l'écologiste alerte sur l'«effondrement des espèces», en particulier de celles que l'on ne connaît pas. Pour les 10% supposés d'espèces connues, certaines disparaissent complètement, d'autres voient leurs populations réduites : 75% des populations d'insectes, 75% des populations d'oiseaux, 60% des populations de poissons... «On est sur un phénomène d'accélération.»

Un rapport de 2019 de l'ONU pointe la dégradation de la fertilité des sols partout dans le monde, y compris en Europe. Claude Gruffat donne l'exemple de la Beauce : «6% de matière organique dans les terres en 1960, 1,4% aujourd'hui». «En dessous de 1%, les agronomes disent que c'est le processus de désertification qui commence.»

«L'espérance de vie recule»


«Un suicide de paysan par jour en France», un chiffre «insupportable» que le député européen met au bilan social de la PAC, conséquence de l'«importation d'un social dégradé». Un tiers des agriculteurs gagnent moins de 350 euros par mois. Cent mille exploitations agricoles ont disparu en dix ans, l'orateur annonce «la même chose dans la décennie qui vient».

Obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires... le député européen fait un parallèle entre des questions de santé publique et l'évolution de l'alimentation en signalant l'«espérance de vie qui recule». «L'espérance de vie s'est prolongée au fur et à mesure que la qualité des soins a accompagné des gens qui étaient au départ dans une structuration forte de leur organisation et de leur santé qui étaient fortes. Depuis qu'on mange comme on mange, maintenant, on en est à la deuxième génération, on voit des organismes qui plus fragiles et qui vivent moins longtemps.»

Dans le bilan social, le «bilan paysan» : 1% des fermes produisent 67% du poulet, 79% des œufs et 50% des porcs. «Notre projet, c'est plus de paysans sur les territoires», rappelle le soutien de Yannick Jadot.

«20% des agriculteurs utilisent 80% des aides de la PAC»


Après la charge du bilan, l'orateur entame le procès de la nouvelle PAC en cours de révision alors que le conflit russo-ukrainien pourrait rebattre les cartes.

«Robotique, numérique, génétique», annonce Claude Gruffat, «on va encore plus industrialiser». «La PAC passe complètement à côté des enjeux de la décennie qui vient, c'est le GIEC [NDLR : Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat] qui les donnent.»

Selon Claude Gruffat, les enjeux seraient le revenu paysan, le climat, la biodiversité et la souveraineté alimentaire mais aussi la lutte contre la corruption. L'orateur renvoie à un article du New-York Times, journal américain ayant pointé la manière dont les oligarques russes détourneraient les aides européennes de la PAC. Face à cela, le groupe écologiste du Parlement européen a proposé de plafonner les aides par titulaire des exploitations agricoles, ce qui a été rejeté. «70% sont des aides à la surface, donc c'est le rapt des terres, c'est la concentration des aides. (…) 20% des agriculteurs utilisent 80% des aides de la PAC.»

Sur cet aspect politique, le député européen déplore un affaiblissement de la politique commune par l'instauration de plans stratégiques nationaux correspondant à 25% des aides européennes gérées directement au niveau des états. «Au niveau européen, on a réinstallé une concurrence entre les agriculteur européens entre eux, (…) il faut continuer à consolider un marché unique», analyse Claude Gruffat.

Objectif 25% de terres en bio


L'orateur en vient alors au programme porté par Yannick Jadot dans le cadre de l'élection présidentielle française. «Alimentation saine, paysans, biodiversité» en sont les mots-clés.

Le candidat appelle à «la généralisation d'une agriculture paysanne, protectrice des territoires, des terroirs et du vivant» en mettant «le paysan au cœur de la transition climatique» pour atteindre «un million de paysans».

Pour cela, le candidat envisage de «lever les freins des conversions [en agriculture biologique]» et renvoie, en contre-exemple, au «plan licenciement de la France de 2017 avec Stéphane Le Foll : 67.000 paysans au tapis».

La proposition écologiste consiste dans le rachat des emprunts bancaires ayant financé des investissements que les exploitants agricoles peinent à rembourser afin de faciliter la transition vers la bio.

L'objectif est d'atteindre 25% de la surface agricole utile (SAU) en bio contre 9% aujourd'hui (26% en Autriche). La France est le 14ème pays européen en bio en part de SAU, le premier en surface absolue avec 2,5 millions d'hectares, le premier en entreprises avec 19.000 structures, le deuxième marché avec 13 milliards d'euros (derrière l'Allemagne avec 15 milliards d'euros).

«Détaxer l'économie vertueuse»


L'écologiste s'insurge devant les titres évoquant un «recul» de la bio : «tout l'alimentaire recule depuis la sortie du confinement de mai 2021». Selon l'orateur, l'orientation des dépenses des ménages vers le tourisme et l'habitat conduit à une baisse du marché du bio alimentaire de 4% et du marché de l'alimentaire conventionnel de 2,2%.

Le candidat propose d'instaurer une TVA à 0% sur les produits bio, de circuits courts et d'économie circulaire. Une mesure «symbolique» pour le député européen qui préférerait «augmenter la TVA sur le conventionnel» en vue de «taxer l'économie polluante» et «détaxer l'économie vertueuse». «L'avenir de la taxation va réorienter le modèle économique que l'on veut pour les années qui viennent», anticipe le parlementaire.

Le «planetscore» des consommateurs


Après le marché et la quantité, l'orateur aborde la qualité nutritionnelle des produits agroalimentaire qui, selon lui, a baissé «entre 55 et 85% sur les 30 dernières années». Aujourd'hui, pour avoir le volume nutritionnel équivalent à celui d'une pomme de 1965, il faudrait ingérer huit pommes.

Claude Gruffat prône donc une évolution de l'affichage au consommateur avec un «planetscore» intégrant l'utilisation de produits phytosanitaires, de l'eau ainsi que des conséquences environnementales et sociales. «Il y a une course de vitesse au niveau européen pour passer avant le ministère de l'Agriculture», signale-t-il.

De la désertification aux bidonvilles et aux routes migratoires


«La souveraineté alimentaire pour l'avenir, c'est chercher des espèces qui seront résistantes à la sécheresse», martèle pour finir Claude Gruffat qui estime que «l'INRAE n'a pas suffisamment bossé là-dessus» et qu'«il faut en faire un vrai programme politique» sur «20 ou 30 ans».

Le député européen déplore le recul des surfaces cultivables dans le monde, passées de 1,7 milliard d'hectares en 1970 à 1,4 milliard d'hectares aujourd'hui du fait de l'artificialisation des sols ou de la désertification : «les déserts avancent parce que les paysans locaux abandonnent leurs terres parce qu'on exporte des produits finis à grands coups de subvention». Et de dénoncer «un comportement de colon» conduisant les populations rurales vers les bidonvilles puis sur les routes migratoires.

Selon l'écologiste, il y a dans le monde 30 millions d'agriculteurs recourant «au tracteur et à la chimie», 300 millions au cheval et 1,2 milliard à la pioche, ces derniers produisant en moyenne 3 quintaux de céréales à l'hectare. «On peut passer à 6 quintaux», envisage Claude Gruffat, un accroissement de production supérieur «à la faim dans le monde».

«Le problème n'est pas de faire 100 quintaux en Europe», martèle-t-il, «c'est de passer de 3 à 6 quintaux [dans le monde]. Évidemment, ça ne rapporte rien, c'est gratuit, c'est du partage du savoir».

Jean-Christophe Tardivon

Les écologistes défendent «des politiques qui permettront d'augmenter le pouvoir d'achat»


L'éleveuse Émilie Jeannin appelle à «trouver des filières qui rémunèrent les paysans»


«Il faut prendre la mesure que le grand sujet, c’est le climat», lance l’écologiste Catherine Hervieu


«Je ne vois pas de victoire de Mélenchon, alors pourquoi faudrait-il voter pour lui au 1er tour...», déclare Sandra Regol, porte-parole de Yannick Jadot








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