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09/05/2025 13:16

RELIGION : Anniversaire de 50 ans d'amitié entre chrétiens et musulmans

Jean-François Bour et Ghaleb Bencheikh sont intervenus, ce jeudi 8 mai, à Dijon, lors d'une conférence sur le dialogue interreligieux. Soulignant que «l'altérité est intrinsèque à la vie», le catholique et le musulman ont appelé à «regarder l'autre comme un visiteur divin aussi».
Le groupe de dialogue et d’amitié entre chrétiens et musulmans de la Côte-d'Or a fêté ses 50 ans, ce jeudi 8 mai 2025, à Dijon. Le point d'orgue fut une conférence de Ghaleb Bencheikh et du Père Jean-François Bour, salle Camille Claudel, devant plus de cent personnes de différentes confessions.

Étaient présents notamment Massar N'Diaye, adjoint au maire de Dijon, Antoine Hérouard, archevêque de Dijon, Mohamed Khomri, président de l'Union des mosquées de Bourgogne-Franche-Comté, et Mohamed Ateb, président de la Jeunesse musulmane de France en Bourgogne, Mostapha Kerkri, vice-président du Conseil régional du culte musulman de Bourgogne-Franche-Comté, ainsi qu'Étienne Gille et Madjid Tayebi, animateurs du groupe de dialogue. François Sauvadet, président du Département de la Côte-d'Or, était excusé. De même que le pasteur Marcel Mbenga.

De multiples partages


Avant la conférence, les participants à l'anniversaire ont pu visiter la mosquée El-Khair et l'église Saint-Pierre puis partager un couscous dans cette même église. La journée s'est terminée par le visionnage d'une vidéo réalisée par Abdelali Razqi comprenant des témoignages sur les acteurs locaux faisant vivre cette amitié islamo-chrétienne.

Le groupe a été fondé en 1975 par Marguerite Clavert, alors professeur de philosophie au lycée Le Castel, à Dijon, pour constituer «un lieu de rencontre» où puisse s'établir «un dialogue de cœur» entre musulmans et chrétiens, selon Étienne Gille.

Les temps forts annuels du groupe sont le partage de la Galette des Rois lors de l'Épiphanie chrétienne ainsi que d'une journée de jeûne pendant le mois de ramadan musulman et l'organisation d'un voyage dans un lieu emblématique chrétien ou musulman, de manière alternée. Prochainement, viendra s'ajouter un temps de partage d'un couscous car, toujours selon Étienne Gille, «dès qu'il y a un couscous, tout le monde vient».

Les conférenciers


Ghaleb Bencheikh est islamologue réformiste et président de la Fondation de l'islam de France, structure fondée en 2016 pour affirmer «un islam humaniste, d'un islam de France qui reconnaît les valeurs et principes de la République». Il produit l'émission «Questions d'islam», diffusée sur France Culture, le dimanche, entre 7 et 8 heures.

Jean-François Bour est un frère dominicain, basé au couvent de Saint-Pierre-Martyr, à Strasbourg. Spécialiste en islamologie, en dialogue inter-religieux et en anthropologie sociale théologique, il est délégué aux relations avec les musulmans auprès de la Conférence des évêques de France. De plus, il anime des formations adressées à des publics catholiques.

Des «joyaux» au sein même d'une histoire douloureuse


«La rencontre, c'est vraiment la nourriture première de l'âme, ça nous fait grandir, ça nous permet de comprendre que nous partageons cette humanité commune», déclare Jean-François Bour pour introduire son propos qui développera la notion de dialogue d'un point de vue spirituel. «Nos différences, si elles sont réelles, en creusant avec persévérance, on découvre qu'elles sont des joyaux.»

Le dominicain cherche ensuite des «joyaux» au sein même d'une histoire douloureuse en évoquant les 19 martyrs d'Algérie afin de rappeler l'existence d'une vingtième personne associée aux religieux assassinés entre 1994 et 1996 lors de la guerre civile.

«La tornade de violence qui s'est déchaînés en Algérie dans les années 1990 a tellement meurtris les Algériens, musulmans et non-musulmans», relève l'orateur en signalant que près de 200.000 Algériens, dont plusieurs centaines d'imams, ont été tués lors de la Décennie noire.

En particulier, l'attaque du 1er août 1996 contre Pierre Claverie, dominicain français et évêque d'Oran – resté en Algérie, comme les autres victimes, « par amour des Algériens, par amour de leurs amis musulmans» – a emporté également Mohamed, musulman, qui, bien que «conscient du danger» avait décidé, «par amitié», de rester auprès de Pierre Claverie.

«Il y a de la sainteté partout – pardon si c'est un vocabulaire trop chrétien –», enchaîne le conférencier, «des réunions comme nous les vivons-là, c'est comme de la germination de la sainteté». «À différentes époques, des hommes, des femmes, des chrétiens, des musulmans, des juifs, des bouddhistes, des gens de toutes religions et aussi sans religion, donnent des exemples incroyables qu'il y a quelque chose de profond dans le cœur humain et que nous devons célébrer.»

Un «rendez-vous historique» entre musulmans et chrétiens


Jean-François Bour quitte alors ce rappel de la violence pour en venir à l'espérance à partir d'un sujet d'actualité. Ainsi, le dominicain remercie les condoléances envoyées par les musulmans au mort du pape François.

Dans les pas de François, l'orateur lance «halte au marasme» : «le pape a montré, comme leader institutionnel, (…) que des institutions de différentes religions ont commencé à construire un dialogue religieux plus structuré. (…) Ce processus se construit même s'il y a des échecs et des découragements».

Avec environ 2 milliards de personnes de tradition musulmane et 2 milliards de personnes de tradition chrétienne, «c'est comme un rendez-vous historique». «Nous sommes comme des enfants de Dieu qui doivent écouter ce que Dieu attend d'eux. Je pense que Dieu n'attend pas de nous que nous entretenions dans le monde une sorte de pugilat, de concurrence. Dieu nous lance un grand défi.»

Le pape François a initié un «nous commun» aux catholiques et aux musulmans


«Le pape François et des leaders musulmans ont cosigné des textes où ils ont osé s'exprimer par un nous commun», relève Jean-François Bour avant de signaler que, en 12 ans, le souverain pontife a effectué 15 voyages sur 47 en direction de responsables musulmans, sans compter les représentants reçus au Vatican.

«On peut porter ensemble les soucis du monde, on peut porter ensemble les espoirs du monde», reprend l'orateur, «il est important qu'on apprenne à porter de plus en plus un nous commun».

Du côté des catholiques, le dominicain fait remonter le «virage» du dialogue inter-religieux au concile Vatican II (1962-1965) : «comme l'avait dit, déjà, les tout premiers penseurs chrétiens, il y a chez tous les hommes les semences du verbe de Dieu. (…) Les catholiques, en relation avec d'autres églises, qui travaillent depuis la fin du XIXème siècle pour un nouveau regard sur les non-chrétiens, se rendent compte qu'il s'agit d'adopter une attitude dialogale, en hommage et en respect à Dieu lui-même. Ça vient d'une meilleure lecture des écritures bibliques.»

«Regarder l'autre comme un visiteur divin aussi»


«Une relation dialogale, c'est, pour commencer, le fait d'être ensemble», précise le théologien, «c'est une attitude d'amour qui n'empêche pas d'annoncer ce que l'on croit mais qui est une attitude du croyant qui regarde l'autre comme un visiteur divin aussi». «Cette attitude ne suppose pas de dissoudre une identité, il s'agit de mieux mettre en relation ce que l'on est, de le mettre au service de la relation.»

«Fondamentalement, la vocation profonde de l'être humain, du croyant, est de devenir un être de relation», insiste l'anthropologue, «la relation est première». «Nous devenons des êtres humains et des croyants dignes de ce nom quand nous avons fait place à cette relation que le Créateur a voulu entre tous les êtres, entre les humains bien sûr mais aussi entre les humains et les créatures.»

«Quand nous sommes bien reliés les uns les autres, nous faisons déjà une expérience de la rédemption», insiste le conférencier, «je sais que la relation est difficile, à peu près partout – en famille, dans la société, entre les pays – (…) nous avons besoin de médiateurs dans la société». «Je vous encourage à être des médiateurs et à aider l'autre à le devenir.»

Différents 8-Mai, en fonction de son histoire


«Dans un un monde brutalisé, des peuples entiers sont martyrisés», déclare Ghaleb Bencheikh qui a d'emblée une pensée pour les réfugiés de ce monde, ceux qui sont «injustement chassés de leurs demeures pour cause de sinistres climatiques ou de conflits effroyables».

En écho aux propos du précédent conférencier, Ghaleb Bencheikh, de nationalités française et algérienne, indique «s'incliner devant la mémoire des bienheureux d'Algérie, 19 plus 1» et glisse, sans s'appesantir, que le 8-Mai porte également la mémoire des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, commis du 8 mai au 26 juin 1945 par les forces de l'ordre françaises contre les nationalistes algériens.

«Sans vouloir occulter le passé, il faut voir en avant», poursuit l'orateur qui préfère développer lui aussi le thème du dialogue.

«L'altérité est intrinsèque à la vie»


«Le dialogue est au cœur de la relation, de la relationalité», reprend Ghaleb Bencheikh, «votre présence est un démenti cinglant à ceux qui pensent que, dans notre propre pays, il y a uniquement ceux qui veulent fragmentation sur fragmentation».

«Nous avons besoin de cette relation», expose l'orateur, «dans la vie, il y a de l'autre, (…) l'altérité est intrinsèque à la vie». «Dans la vie, nous avons besoin du regard de l'autre même lorsqu'il me déplaît et peut-être surtout lorsqu'il me déplaît.»

L'islamologue fait alors référence à trois versets du Coran – le verset 13 de la sourate 49, le verset 177 de la sourate 2 et le verset 48 de la sourate 5 – pour appuyer son propos, respectivement sur l'unité du genre humain, la piété et l'humanité diverse.

«Il faut être extrêmement prudent quand il s'agit des versets coraniques», alerte le théologien, «ne pas les manipuler hors contexte, (…) il y a lieu d'être d'une grande humilité, pour les croyants musulmans, de brandie la parole de Dieu». «Les fondamentalistes, c'est ce qu'ils font. Il faut savoir relativiser le texte à son contexte, ne jamais l'utiliser comme un prétexte pour un nouveau contexte, sinon on prend un montage de textes et pour trouver la valeur profonde du texte, il n'y a pas mieux que des liens hypertextes.»

Élargir «la médiation entre chrétiens et musulmans» au «reste de l'humanité»


«C'est un plan divin pour l'humanité d'être diverse en tout», expose Ghaleb Bencheikh, «cette diversité est simultanément une source de bonheurs incommensurables et une source de problèmes inextricables» en fonction de la place laissée à la grâce ou bien à la suffisance, à la cupidité ou encore au mensonge.

«Même lorsqu'il y a eu des obstacles au départ», l'orateur préconise d'«avoir cette intelligence du cœur de faire de l’obstacle de départ le lieu de la médiation». «L'homme devient réceptacle du souffle divin, de cette effusion de bonté et de miséricorde qui émane continuellement de l'Être premier.»

Soixante ans après Vatican II, l'islamologue adresse une «injonction amicale» aux musulmans de se plonger dans la déclaration «Nostra Ætate» portant sur les relations de l'Église catholique avec les religions non chrétiennes : «il y a des propos édifiants dont nous avons besoin aujourd'hui».

Appelant, comme Jean-François Bour, au «dialogue de vie», Ghaleb Bencheikh se déclare en faveur d'«une médiation entre chrétiens et musulmans» qui pourrait être élargie «au reste de l'humanité». «C'est de l'Homme dont il s'agit !»

Les figures de l'émir algérien Abdelkader ibn Muhieddine et de saint François d'Assise


Durant les échanges avec l'assistance, les questions portent sur les personnalités ayant marqué l'histoire de la tolérance entre les religions et sur la laïcité.

Surgit alors, comme une évidence, la figure d'Abdelkader ibn Muhieddine (1808-1883), savant musulman qui a mené une campagne militaire pour s'opposer à la conquête de l'Algérie par la France.

Défait en 1847, l'émir est gardé captif en France, ainsi que sa famille et ses soutiens, notamment au château d'Amboise où 27 membres de sa suite sont inhumés.

«C'était un grand homme politique, un grand spirituel, un humaniste qui a écrit des choses admirables», remarque Jean-François Bour qui témoigne avoir reçu des anciens combattants algériens, venus en pèlerinage à Amboise, où ils ont souhaité se recueillir devant les tombes musulmanes ainsi que devant la tombe d'une chrétienne accueillie enfant, libérée des pirates, par Abdelkader ibn Muhieddine et qui avait pu conserver sa foi au sein de sa famille.

Ghaleb Bencheikh ajoute que, une fois exilé à Damas, l'émir a intercédé pour éviter le massacre de chrétiens maronites par des Druzes, en 1860.

L'islamologue poursuit en signalant «la démarche de foi» de saint François d'Assise (1181-1226) et sa rencontre avec le sultan d’Égypte Al-Kâmil, en plein siège de Damiette par les troupes du royaume franc de Jérusalem, en 1219. Cette rencontre est considérée comme une préfiguration du dialogue interreligieux.

«Une communauté de croyants, c'est aussi une école de citoyenneté»


«La laïcité est un sujet lourd pour beaucoup d'entre nous», reconnaît Jean-François Bour, «nous avons le devoir d'y réfléchir, il s'agit d'être constructif».

«La laïcité est un héritage de la Révolution française», développe l'orateur. «Quelque chose est très précieux : elle a se côté positif de la neutralité des organes de l’État, (…) elle est faite pour donner une place aux cultes et pour assurer un traitement a égalité de tous, selon leurs convictions.»

«Ce mécanisme transporte, avec lui, ce droit pour chaque citoyen de s'émanciper, non pas d'être arraché à sa religion, mais, quand il devient capable de choix, de garder sa tradition ou de la quitter ou d'en garder une partie», analyse le théologien.

«Nous allons devoir, comme croyants, continuer à faire démonstration à l'ensemble de la société que nous sommes aussi des écoles de citoyenneté», envisage-t-il, «une communauté de croyants, c'est aussi une école de citoyenneté». «C'est à ce prix que l'on pourra éviter qu'on nous assène la laïcité comme une mesure constamment de contrôle.»

La laïcité vue comme «un principe juridique»


«C'est un concept d'abord français», enchaîne Ghaleb Bencheikh qui cite toutefois une forge des penseurs pouvant remonter jusqu'à Averroès, philosophe arabe andalou du XIIème siècle.

L'orateur regrette qu'«on éprouve le besoin de lui accoler une épithète : positive, ouverte, intelligente, ce qui suppose des antonymes, négative, fermées stupide».

«C'est un principe et non pas une valeur, un principe juridique», souligne-t-il, «il n'a qu'à s'appliquer, point». Et de citer Aristide Briand, rapporteur de la loi de 1905 : «C'est la loi qui garantit le libre exercice de la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi et la loi prime la foi».

Ghaleb Bencheikh tance Bruno Retailleau


«Il ne faut pas qu'elle soit pas un glaive contre les croyances», tempère Ghaleb Bencheikh qui prend un exemple d'actualité avec la polémique autour du port du voile islamique lors de compétitions sportives dans laquelle est intervenue Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, en campagne pour la présidence des Républicains.

«Le ministre des cultes est sorti de sa réserve de garant de la neutralité de l’État par rapport aux religions», expose-t-il. «Dans sa phrase ''vive le sport, à bas le voile'', il y a une atteinte à la laïcité. À l'extrême rigueur, s'il avait dit ''à bas le voile dans le sport'', on pourrait peut-être le comprendre eu égard aux débats mais ''vive le sport, à bas le voile'', ce n'est pas du ressort du ministre de l'Intérieur dans notre pays.»

Le drame de la mort d'Aboubakar Cissé


Autre fait d'actualité : le meurtre d'Aboubakar Cissé, le 25 avril dernier, dans la mosquée de La Grand-Combe, dans le Gard, a ému la population, en particulier les musulmans.

Une femme se présentant comme «croyante et citoyenne», témoigne avoir «pensé à tous [ses] amis du groupe [de dialogue]» au moment de la mort dramatique d'Aboubakar Cissé et d'avoir puisé là «une consolation».

«Le dialogue n'est pas une affaire de bons sentiments», conclut Jean-François Bour, «c'est un vrai défi, c'est une forme d'engagement». «L'enjeu pour notre temps est sans doute de savoir où allons-nous nous ressourcer ensemble pour trouver l'énergie de poursuivre ce combat dans l'espérance.»

Jean-Christophe Tardivon























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