
«Lorsqu'on s’attaque à la communauté juive, on s'attaque à notre société», a déclaré le nouveau responsable régional Laurent Hofnung, le jeudi 15 mai, à Dijon, jour de l'installation du CRIF Bourgogne-Franche-Comté en présence de la maire Nathalie Koenders. Pour le président Yonathan Arfi, l'Éducation nationale peine à «traiter l'antisémitisme d'aujourd'hui, encapsulé dans la haine d'Israël, lié à l'islamisme ou qui se diffuse sur les réseaux sociaux».
Constatant une forte augmentation des actes antisémites en France depuis l'attaque du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, le CRIF a prêté une oreille attentive aux initiatives locales pour répondre notamment à «l'assignation permanente à la question du conflit israélo-palestinien».
Au niveau national, le Conseil représentatif des institutions juives de France fédère environ 70 organisations. Jusqu'à présent, il manquait une implantation en Bourgogne ou en Franche-Comté. L'installation d'une délégation régionale du CRIF, officialisée le jeudi 15 mai 2025, à Dijon, comble cette lacune.
L'histoire du CRIF remonte à la Résistance durant l'Occupation
«Il y a besoin d'une voix forte dans le débat public qui puisse être portée localement», déclare Yonathan Arfi pour ouvrir un premier temps de présentation à la presse, en amont de la cérémonie d'installation.
«Le CRIF a été créé en 1943, dans la Résistance, comme un pendant juif au Conseil national de la Résistance, avec la responsabilité de penser la communauté d'après-guerre dans le sillage de la réinstallation de la République», développe le président du CRIF.
«Il y a vraiment, au CRIF, un ADN très républicain, très universaliste, très laïc, très militant et le sens d'un combat contre l'antisémitisme, pour la mémoire de la Shoah, en soutien à l'existence et à la pérennité de l’État d'Israël, indépendamment de la politique de ses gouvernements, et la lutte pour les droits de l'Homme, la démocratie et les valeurs républicaines de manière générale», expose-t-il.
La feuille de route du CRIF Bourgogne-Franche-Comté
Affiliée au Conseil national, la nouvelle association s'appelle CRIF Bourgogne-Franche-Comté. Son siège est à Dijon. Le Belfortain Laurent Hofnung en est le président. Émilie Sananes est vice-présidente, Laurent Bloch est secrétaire général et Michel Lévy est trésorier.
La délégation régionale se donne pour objectif de représenter les communautés juives de Belfort, Besançon, Chalon-sur-Saône, Dijon ou encore Nevers.
Le président du CRIF Bourgogne-Franche-Comté a établi une feuille de route pour l'association qui envisage d'organiser des conférences et de participer à un travail avec l’Éducation nationale de façon à transmettre les valeurs républicaines auprès des jeunes, croiser le travail des historiens locaux et démontrer en quoi la laïcité concourt à la démocratie.
«L'antisémitisme mute sans cesse», alerte Laurent Hofnung qui relève que le phénomène prend des aspects «religieux, racial, social, géopolitique», en citant l'exemple de «l'antisémitisme d'état» pratiqué, en son temps, en URSS.
«L'antisémitisme cherche toujours les moyens de légitimer ces actions. Il va prendre les habits du moments. En ce moment, c'est la question du conflit [entre Israël et le Hamas]», analyse-t-il.
«Après les attentats de Toulouse ou de l'Hyper Casher, on a eu aussi une augmentation des actes antisémites», relève Yonathan Arfi
Depuis le 7-Octobre, Yonathan Arfi note effectivement «un changement d'échelle» : «l'antisémitisme s'est libéré, il est sorti de son lit, il est galvanisé par le prétexte du conflit israélo-palestinien». «Le conflit sert de catalyseur qui est bien présent, chez nous, et qui s'active à ce moment-là.»
«Les actes antisémites n'ont pas attendu les images de la détresse de populations civiles à Gaza, n'ont pas attendu l'opération militaire israélienne, les actes antisémites ont commencé dès le 7 octobre», développe le président du CRIF.
«Ça veut dire que c'est d'abord et avant tout l'effet d'entraînement de l'antisémitisme, une forme d'appel à la haine qui est entendu très largement, qui entraîne les passages à l'acte et pas l'indignation vis à vis de la situation de populations civiles, aussi tragique soit la situation», développe-t-il. «Après les attentats de Toulouse, en 2012, ou de l'Hyper Casher, en 2015, on a eu aussi une augmentation des actes antisémites dans les jours ou les semaines qui ont suivi. (…) Ça interroge sur la persistance de l'antisémitisme et de cette dynamique spécifique.»
«Il n'y a rien qui ressemble plus au Bataclan que ce qui s'est passé au festival Nova»
Concernant la terrible situation à Gaza, parmi les différents conflits qui ensanglantent le monde, Yonathan Arfi se dit «lucide sur le fait qu'il y a une vraie détresse des populations civiles palestiniennes».
Le président du CRIF considère que «l'émotion est toujours légitime dans la société française» mais que, en revanche, «l'obsession, non». «On a eu le sentiment que, dans certains pans de la société, il y a un forme d'obsession sur la question palestinienne, qui n'est pas une solidarité avec les Palestiniens mais qui est une forme d'obsession, en fait, vis-à-vis d'Israël. Il faut rappeler qu'il y a encore et toujours la question des otages qui reste une plaie ouverte pour Israël et pour le monde juif. (…) La responsabilité de cette situation est entre les mains du Hamas qui a jeté toutes les populations civiles de la région volontairement dans un conflit dont il savait, malheureusement, les plus tragiques.»
Cinquante Français sont morts lors de l'attaque du 7-Octobre ou durant leur captivité, détenus par les terroristes du Hamas.
Le président du CRIF souhaite donc «cultiver les valeurs communes» entre les sociétés française et israélienne, comme la démocratie. La réponse aux attentats islamistes peut également fédérer les deux sociétés : «il n'y a rien qui ressemble plus au Bataclan que ce qui s'est passé au festival Nova».
«Je sais qu'une partie des Français entendent cela. Nous, Français, avons été amenés à mener un combat difficile contre le terrorisme de l’État islamique dans des conditions à Raqqa et Mossoul, il y a dix ans, comme Israël mène une guerre difficile», remarque-t-il.
«Le défi est de rendre l'école plus efficace face au fonctionnement contemporain de l'antisémitisme»
«Même dans les régions les plus calmes, même dans les villes les plus favorisés, il y a, aujourd'hui, une forme de consensus social qui, de fait, produit, plus ou moins, de la stigmatisation des juifs», déplore Yonathan Arfi, «c'est un mur de rejet social».
«Il y aune prise de conscience à l'école», remarque toutefois le président du CRIF puisque la ministre de l’Éducation nationale Élisabeth Borne a participé à un colloque, organisé par le CRIF, sur l'antisémitisme à l'école.
«Structurellement, l'école est toujours en retard sur les phénomènes très contemporains. Elle sait bien traiter l'antisémitisme d'hier ; elle a plus de mal à traiter l'antisémitisme d'aujourd'hui, encapsulé dans la haine d'Israël, lié à l'islamisme ou qui se diffuse sur les réseaux sociaux. Le défi est de rendre l'école plus efficace face au fonctionnement contemporain de l'antisémitisme», ajoute-t-il.
«Lorsqu'on s’attaque à la communauté juive, on s'attaque à notre société», souligne Laurent Hofnung
«Il y a un antisémitisme d'atmosphère qui touche une partie de notre société», déplore Laurent Hofnung, «c'est pour ça que nous avons décidé de rejoindre le CRIF, pour travailler contre l'antisémitisme, pour abattre les clichés et les préjugés qui sévissent dans notre société». «Lorsqu'on se défend contre l'antisémitisme, on défend notre société. C'est un problème qui dépasse la communauté juive. Lorsqu'on s’attaque à la communauté juive, on s'attaque à notre société.»
La situation nationale se retrouve en Bourgogne-Franche-Comté. À Belfort ou à Dijon, les affiches apposées dans les rues demandant la libération des otages détenus par le Hamas ont été rapidement déchirées.
En milieu scolaire, des élèves se retrouvent ostracisés par d'autres sous prétexte d'être juifs, ou supposés tels. Tous les actes haineux ne font pas l'objet d'un dépôt de plainte : «certains parents ne veulent pas qu'on les identifie comme juifs», note Laurent Hofnung.
En Côte-d'Or en particulier, selon Franck Ayache, vice- président de l'Association cultuelle israélite de Dijon, «quelques actes antisémites» étaient constatés avant le 7-Octobre. La police en a recensé «une vingtaine» en 2024.
De plus, Yonathan Arfi signale que «le flot très massif» de haine diffusée via les médias sociaux fait peu l'objet de contentieux sur le plan juridique.
Des échanges avec des élus
La présentation à la presse est suivie d'un temps d'échanges avec des élus auquel participent notamment Christophe Grudler (Modem), député européen, François Patriat (REN), sénateur de la Côte-d'Or, Françoise Tenenbaum (PS, FP), vice-présidente du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, Florian Bouquet (LR), président du conseil départemental du Territoire de Belfort, François-Xavier Dugourd (LR, NE), vice-président délégué du conseil départemental de la Côte-d'Or, Brice Michel, conseiller municipal de Belfort, Claire Vuillemin (HOR), conseillère municipale de Dijon, Sébastien Perrin, directeur du cabinet de la présidente du conseil départemental du Doubs, et Didier Martin (REN), ancien député de la Côte-d'Or.
Une soixantaine de personnes se retrouvent ensuite dans la salle du Cellier de Clairvaux pour la cérémonie officielle d'installation du CRIF Bourgogne-Franche-Comté.
Ont rejoint la délégation Nathalie Koenders (PS), maire de Dijon, Ludovic Rochette, maire de Brognon et président de l'AMF 21, Jean-Philippe Morel (PR), adjoint au maire de Dijon, Bassir Amiri (PS), conseiller municipale de Dijon, Olivier Caracotch, procureur de la République de Dijon, Israël Cemachovic, président de l'Association cultuelle israélite de Dijon, et Raphaël Clément, abbé de la paroisse Saint-Paul-Sainte-Jeanne-d'Arc de Dijon.
«L'antisémitisme vient de l'extrême-droite et de l'extrême-gauche», constate Nathalie Koenders
«C'est une étape importante», remarque Nathalie Koenders, «une présence utile, peut-être même nécessaire, qui vient renforcer les liens entre la communauté juive et nos institutions».
«L'antisémitisme progresse», déplore à son tour la socialiste, «il s'exprime de plus en plus librement depuis le 7-Octobre, sur les réseaux sociaux, dans les discours politiques, parfois même dans l'espace public, avec des rabbins agressés, des synagogues brûlées, un député chassé des manifestations du 1er-Mai [NDLR : le député PS Jérôme Guedj, à Paris]».
«L'antisémitisme n'est en rien résiduel» constate-t-elle, à rebours des déclarations de Jean-Luc Mélenchon (LFI), «il est omniprésent». «[L'antisémitisme] se cache désormais sous le prétexte de l'antisionisme. Il vient de l'extrême-droite et de l'extrême-gauche aussi. Il change de forme mais pas de fond ; la haine reste la haine.»
«Ce combat est celui de la dignité humaine, de la mémoire et de l'avenir»
Au nom des valeurs républicaines, la maire de Dijon appelle à combattre cette «haine» : «quand un juif de France est attaqué parce qu'il est juif, c'est la République toute entière qui est attaquée». «Ce combat est celui de la dignité humaine, de la mémoire et de l'avenir.»
La première édile rappelle que des «pavés de mémoire» ont été apposés dans les rues de Dijon pour entretenir le souvenir de victimes juives de rafles durant la Seconde Guerre mondiale.
«Le CRIF joue un rôle essentiel dans ce travail de mémoire», note Nathalie Koenders, «c'est un appui solide pour les élus, les enseignants, les associations et pour toutes celles et tous ceux qui refusent l'oublie et veulent agir». «Le CRIF alerte, dialogue, défend ; il est une voix engagée dans le débat public.»
Yonathan Arfi signale «une relation singulière entre les juifs et la République»
À son tour, Yonathan Arfi reprend le thème du «combat», partagé avec les élus et les institutions, contre la haine des juifs, cela dans le cadre d'«une relation singulière entre les juifs et la République» en renvoyant à l'émancipation des juifs, en 1791, durant la Révolution. «Cet idéal républicain mis en acte a contribué de faire de notre pays une lumière parmi les nations en Europe.»
Le président du CRIF partage «[sa] passion pour l'universalisme, (…) cher aux juifs de France dans leur histoire dans la République». Un universalisme vu comme «une forme de protection, (…) une forme d'émancipation, (…) le refus des assignations, des déterminismes, de tous les conditionnements».
L'orateur poursuit en mettant en avant la valeur de «la justice» : «pour les juifs qui sont confrontés, avec une violence aiguë, à la remonté de l'antisémitisme, injustice parmi les injustices, dont nous savons, de par l'histoire, ce à quoi il peut amener, il y a une attention particulière à ce sujet».
Dans ce contexte, l'éducation correspond à «une ambition commune» de la République française et des juifs de France.
Faire de Gaza «un slogan électoral» apparaît comme «une vraie rupture avec l'ADN de la République»
«L'antisémitisme commence avec les juifs mais ne s'arrêtent jamais aux juifs», poursuit, avec gravité, Yonathan Arfi, «aujourd'hui, dans sa manière de cibler les Français juifs au nom d'un conflit qui se déroule à 4.000 km et qui ne sert que de prétexte, (…) cela démontre, une nouvelle fois, que l'antisémitisme est un baromètre de l'état de santé démocratique de notre pays.»
«Je veux dire à quel point la manière dont La France insoumise a pu choisir de faire de la question de Gaza un slogan électoral, en venant flatter les passions mauvaises, me semble être une vraie rupture avec l'ADN de la République», fustige le président du CRIF. «Sur ce sujet-là, nous sommes des humanistes, nous sommes sensibles à la détresse de toutes les populations civiles. Pour autant, nous considérons que le combat que mène aujourd'hui Israël est une cause juste, cause qui comporte plus que la condition d'Israël mais une partie de la condition de toutes les démocraties menacées par le terrorisme.»
«Le grand défi que nous avons, tous ensemble, devant nous, c'est d'arriver à reconstruire, en France, l'idée qu'il y a un génie singulier dans la République», conclut l'orateur.
L'intervention de Laurent Hofnung, qui rappelle son parcours de militant associatif le conduisant à la président du CRIF Bourgogne-Franche-Comté, clôt la cérémonie qui se prolonge cependant par des échanges durant le traditionnel verre de l'amitié.
Une série de rencontres institutionnelles
Par ailleurs, autour de l'installation de la délégation régionale, Yonathan Arfi et Laurent Hofnung ont initié des rencontres institutionnelles pour «présenter les missions historiques et actuelles du CRIF, d’échanger sur les réalités locales vécues par la communauté juive, et d'identifier des pistes concrètes de coopération avec les acteurs publics».
Le président national et le président régional ont échangé notamment avec Nathalie Poux, présidente du tribunal judiciaire de Dijon, Olivier Caracotch, procureur de la République de Dijon, Paul Mourier, préfet de la Côte-d'Or, et Marie-Guite Dufay, présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté.
Jean-Christophe Tardivon































