
Ce jeudi 22 mai, la maire de Dijon a organisé des assises des familles monoparentales et fait des annonces pour de prochaines actions municipales. «C'est le sujet social le plus urgent du pays», a lancé le député Philippe Brun. «La reconnaissance des familles monoparentales permettra de faire évoluer le code du travail», a envisagé la sénatrice Colombe Brossel.
La proportion de familles monoparentales a triplé en cinquante ans, devenant
de facto un des modèles familiaux contemporains. Pourtant, nombreuses sont les personnes, mères ou pères solos, qui se sentent invisibilisées ou stigmatisées.
Pour donner de la visibilité aux personnes concernées, la Ville de Dijon a organisé une «Rencontre dijonnaise des familles monoparentales», ce jeudi 22 mai 2025. Près de 130 participants, très majoritairement des femmes, se sont retrouvés, à la Grande Orangerie du Jardin des sciences.
Des parlementaires travaillent sur le «statut» des familles monoparentales
Parmi les Gilets jaunes, les mères solos étaient nombreuses. Le Grand Débat qui a suivi cette crise sociale s'est fait l'écho de la situation difficile des différentes familles monoparentales.
Un dispositif d'intermédiation a été créé et les caisses d'allocations familiales ont recruté pour améliorer le recouvrement et le versement des pensions alimentaires mais des élus veulent continuer d'avancer sur le sujet en créant un «statut» spécifique aux familles monoparentales.
À l'Assemblée nationale, en octobre 2023, le député Philippe Brun (PS) a lancé un groupe de travail transpartisan sur le sujet. En avril 2024, s'est tenu un débat sur «la place, dans la société et dans le droit, des familles monoparentales».
La proposition de loi «Réduire la précarité sociale et monétaire des familles monoparentales», a été déposée à l'Assemblée nationale en avril 2024 mais son examen est en suspend depuis la dissolution.
Au Sénat, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a adopté, le 28 mars 2024, le rapport de Colombe Brossel (PS) et Béatrice Gosselin (LR) «Familles monoparentales, pour un changement des représentations sociétales».
Selon la délégation, «alors que les familles monoparentales s’inscrivent indiscutablement dans les normes de la parentalité contemporaine, ce modèle parental fait parfois l’objet d’une forme de stigmatisation et d’un manque de reconnaissance, qui expliquent sans doute pourquoi les politiques publiques à destination des familles monoparentales, si elles existent, peinent aujourd’hui à atteindre leurs objectifs et à soutenir efficacement ce public, dans sa globalité et sa multidimensionnalité» (
retrouver l'essentiel du rapport).
Nathalie Koenders a entendu l'«appel au secours» des mères solos
«J'ai souhaité en tant que maire de Dijon avoir une action importante envers ce public parce qu'avant d'être maire, j'ai été mère et adjointe», déclare Nathalie Koenders en ouverture de la table-ronde. «J'ai rencontré beaucoup de familles monoparentales, souvent des mamans, mais je n'exclus pas les papas, qui sont venues dans les permanences de quartier.»
«Je me suis appuyée sur des exemples qui existent à Paris, à Montpellier. Ce sont des mairies socialistes qui s'emparent de ce sujet», souligne-t-elle, «en tant que première adjointe, j'ai eu en délégation la tranquillité, j'ai été amenée à faire des rappels à l'ordre à des mineurs qui pourrissent la vie des habitants».
«Pour beaucoup de jeunes mineurs, c'est souvent la maman solo qui venait», remarque la socialiste qui partage l'«appel au secours» de ces mères de famille. «Il y a la crainte des familles d'être stigmatisée», note-t-elle.
Aider les familles monoparentales «sans les stigmatiser»
«On s'aperçoit que les services publics locaux que l'on propose ne sont pas toujours en adéquation avec leur demande», remarque la maire de Dijon, «à la Ville de Dijon – sous l'impulsion de François Rebsamen et de toute son équipe –, on a des tarifs en fonction des revenus notamment pour les crèches et la restauration scolaire, des critères d'attribution pour les places en crèche qui prennent en compte les familles monoparentales. On voit aussi qu'il y a des trous dans la raquette notamment pour les familles monoparentales qui ont des enfants de 11-17 ans. (…) Ce qu'on propose n'est pas toujours en adéquation avec ce que les jeunes attendent.»
«C'est là que la collectivité doit pouvoir apporter des réponses aux demandes», considère-t-elle, «les collectivités locales ont leur rôle à jouer pour les aider encore plus mais sans les stigmatiser».
«Tout métier devrait pouvoir être exercé à temps partiel»
Chargée de mission de la Fédération syndicale des familles monoparentales, Véronique Obé souligne «le travail des associations, des acteurs de terrain, présents avec les familles».
Appelant «les politiques publiques à s'engager sur ses problèmes», Véronique Obé insiste sur le retour à l'emploi des parents solo ayant été amenés à quitter leur travail. Elle revendique ainsi «une revalorisation du temps partiel», arguant que «tout métier devrait pouvoir être exercé en temps partiel, si c'est un choix».
«Il faut des tarifs différenciés pour les familles monoparentales» dans les services municipaux
Habitant Villeurbanne, Lucia milite au sein de l'association Les mères déters. Mère d'une fille de 6 ans, son trajet et le baby-sitting ont été pris en charge par la Ville de Dijon.
Durant la crise sanitaire, Lucia a constaté qu'il n'y avait «rien pour les familles monoparentales». Ainsi, elle n'avait «pas le droit d'aller faire les courses avec [son] enfant» parce qu'elle devait circuler seule.
Lucia développe alors une réflexion et de l'entraide avec d'autres mères de famille dans un quartier populaire, à Villeurbanne, en périphérie de Lyon.
La militante associative note que sur 8.000 agents territoriaux de la Ville de Lyon, 3.000 sont des parents solos. Dans cette commune, quand sa fille a atteint l'âge de 6 ans, les frais de garde annuels sont passés de 759 euros à 2.324 euros. «C'est une catastrophe, j'ai dû passer en 80%.»
À partir de son expertise d'usage, Lucia a cherché à comparer les différents coûts parmi une quinzaine de communes pour commencer : «les tarifs vont du simple au triple pour l'accueil du matin ou la cantine».
«À besoin différent, offres différentes, il faut prioriser les familles monoparentales, il faut des tarifs différenciés», revendique Lucia qui diffusera prochainement les résultats de ses relevés.
Colombe Brossel fait des propositions concernant l'allocation de soutien familial
«Ce sujet est un des impensés de la politique publique dans notre pays», remarque Colombe Brossel, sénatrice de Paris, qui souhaite «contribuer à rendre visibles les familles monoparentales et les mères solos et les difficultés».
Le rapport que la sénatrice a cosigné fait une dizaine de propositions, certaines relevant du changement de la loi, d'autres de l’État.
Prenant l'exemple de l'allocation de soutien familial, «un filet de sécurité sociale», versé quand il n'y a pas de versement de pension alimentaire.
«Quand vous vous remettez en couple, automatiquement l'allocation de soutien familial ne vous est plus versée alors que votre nouveau conjoint ou nouvelle conjointe n'a aucune obligation vis à vis vos enfants», déplore la socialiste, «l'allocation de soutien familial sert à l'éducation de vos enfants».
La sénatrice demande donc un maintien sur une durée limitée de l'allocation de soutien familiale lorsqu'il y a une remise en couple.
«L'agence d'intermédiation permet un certain nombre d'avancées»
Le montant moyen de pension alimentaire – ou contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant (CEEE) – s'établit à 190 euros par mois. «Ça coûte beaucoup plus cher d'élever un enfant», s'insurge Colombe Brossel.
Constant que la Caisse d'allocations familiales et le ministère de la Justice ont des barèmes «très différents», la socialiste considère que cela génère «une inégalité de traitement sur le territoire».
«L'agence d'intermédiation permet un certain nombre d'avancées», reconnaît la socialiste qui relève néanmoins que «30% des pensions alimentaires dues ne sont pas versées».
L'agence d'intermédiation – voulue par Emmanuel Macron en adaptant une idée portée par le
think tank Terra Nova – a été créée en 2021 et systématisée en 2022 pour collecter la pension alimentaire auprès du débiteur et la verser au bénéficiaire.
Selon la sénatrice, ce dispositif est engorgé par le stock des impayés des années précédentes, sans compter le non-recours de femmes victimes de violences conjugale.
Parmi les recommandations à mettre en œuvre au niveau local, les sénatrices préconisent de mettre en place des temps et lieux de répit «car parent solo, c'est 24h/24, 7j/7, 365 jours par an». Ainsi, la Ville de Montpellier organise des séjours de vacances pour les mères solos pendant que les enfants sont pris en charge.
Philippe Brun porte une loi sur le statut de la monoparentalité qui pourrait être examinée prochainement à l'Assemblée nationale
«C'est le sujet social le plus urgent du pays», lance Philippe Brun, député de l'Eure. Sa prise de conscience du phénomène remonte à la crise des Gilets jaunes et des échanges avec Ingrid Levavasseur, une des figures du mouvement.
Que ce soit dans les centres communaux d'action sociale ou dans les antennes des Restos du cœur, «vous ne pouvez pas être élu local et ne pas voir que l'essentiel des bénéficiaires, ce sont des mamans solos».
Avec 35 députés, allant des Républicains jusqu'à La France insoumise, le député a donc contribué à rédiger «une loi qui prend en compte toutes les grandes difficultés que connaissent les familles monoparentales et qui leur donne surtout un statut» car «la situation spécifique des familles monoparentales impose la prise en compte général d'un cadre qui s'applique à elles».
Déconjugalisation des foyers fiscaux, défiscilisation de la pension alimentaire, tarification des services publics, accès au logement, adaptation du code du travail... le texte se compose de 25 articles rassemblés en 4 chapitres.
La proposition de loi a fait les frais de la dissolution de l'Assemblée nationale en juin 2024 : «on a dû tout recommencer» car plusieurs députés n'ont pas été réélus. Nouvelle embûche quand le gouvernement de Michel Barnier tombe.
À ce jour, un accord a été obtenu avec Catherine Vautrin, ministre chargée du portefeuille des Familles dans le gouvernement de François Bayrou, pour examiner la loi en septembre prochain.
«J'ai la conviction que ce sera un grand moment dans l'histoire sociale de ce pays», indique Philippe Brun, «si nous arrivons à l'adopter sans qu'elle soit dénaturée».
Une initiative d'habitat partagé autour de l'autonomie
Désormais psychanalyste, Catherine Séjournant a porté un projet d'habitat partagé en Nouvelle-Aquitaine avec l'association Askazia.
En faisant le parallèle avec «les seniors qui souffrent de solitude», Catherine Séjournant a envisagé de loger la démarche dans le dispositif de cohésion territoriale Action cœur de ville au titre de l'innovation sociale : on retrouvait ainsi «la cause commune de l'autonomie de l'enfant, la redécouverte de l'autonomie du parent solo et le maintien de l'autonomie de la personne âgée».
Le projet s'est heurté à «la mode de la colocation et de l'intergénérationnel» et Catherine Séjournant a alors fait appel au programme innovation sociale d'Action logement quand est arrivée la dissolution de l'Assemblée nationale. Depuis, la démarche de l'association a évolué vers du conseil aux collectivités locales.
La monoparentalité, «une course d'obstacles permanente»
«Les situations de monoparentalité sont mal connues», relève à son tour Johanna Luyssen, autrice de «Mères solos : le combat invisible», publié dans la collection Essais Payot, en 2024, pour «faire une synthèse des enjeux» en abordant les questions du logement, du mode de garde et de la vie professionnelle.
«Qu'est-ce qu'on peut faire collectivement comme société pour que ces familles ne soient plus dans une course d'obstacles permanente», lance Johanna Luyssen pour qui «il est évident que la solidarité doit s'exercer et qu'on aide les personnes qui en ont besoin».
Harcèlement à l'école, accès aux études supérieures, enfant en situation de handicap, droit du travail, inscriptions aux centres de loisirs... les mères solos témoignent
Durant le temps d'échanges, une mère solo indique que le collectif Stop harcèlement 21 s'est constitué dans le quartier de la Fontaine d'Ouche et témoigne de situations de harcèlement à l'école vécue par des enfants de familles monoparentales.
Une femme signale que l'«on oublie les étudiants» car «pour les familles monoparentales, il y a une vraie réflexion en termes de stratégie pour leur avenir». L'intervenante insiste sur le «couperet de la CAF».
Colombe Brossel reconnaît «une lacune». La sénatrice rebondit sur le sujet de la fiscalité en dénonçant «un système profondément inégalitaire» puisque le versement de la pension alimentaire est défiscalisé tandis que son attribution augmente le revenu de référence. La parlementaire précise que le sujet n'est pas traité dans la proposition de loi «faute d'étude d'impact».
De plus, la défiscalisation des pensions alimentaires pourrait faciliter l'accès aux bourses destinées aux étudiants.
Une maman d'enfant en situation de handicap témoigne de sa situation. Dans 30% des cas, l'allocation d'éducation d'enfant en situation de handicap est versée à des familles monoparentales, dont 90% de femmes.
Nathalie Koenders réagit en signalant que «la réflexion a été intégrée» avec l'entrée de Stéphanie Vacherot (PS) dans l'exécutif dijonnais pour traiter du sujet du handicap.
Philippe Brun reconnaît «un cumul de difficultés importantes» puisque «le handicap est un accélérateur de séparation». «Il y a une surreprésentation des familles avec des enfants porteurs de handicap parmi les familles monoparentales.»
L'élue dijonnaise Françoise Tenenbaum (PS, FP) demande la prise en charge des médiateurs familiaux dans le cadre de la loi des mille jours pour aider les couples à l'arrivée d'un enfant. Le député répond que la loi intègre un droit de priorité pour les familles monoparentales afin de rencontrer les médiateurs familiaux ou des assistants sociaux.
Une mère solo avec «de petits revenus» témoigne que «[sa] plus grande difficulté, c'est le retour à la vie professionnelle», notamment en raison d'absences pour cause de maladies d'un jeune enfant, et alerte sur le sujet du droit du travail : «je n'ai pas envie d'être assistée, j'ai envie de gagner ma vie».
«Il faut qu'on arrive à faire voter la reconnaissance des familles monoparentales parce que c'est la reconnaissance qui permettra de faire évoluer le code du travail», réagit Colombe Brossel à propos de la stratégie législative. La sénatrice espère voir doubler le nombre de jours pour enfants malades des parents solos.
Philippe Brun indique que la loi imposerait que la question que la monoparentalité soit incluse dans le dialogue social des entreprises.
Récemment diplômée à la suite d'une reconversion professionnelle, une participante témoigne de sa difficulté à accéder à un logement social à proximité de la nouvelle école où est scolarisée sa fille en situation de handicap tandis qu'elle doit périodiquement s'absenter de son travail en CDD et qu'elle subit le «harcèlement» de la CAF qui vérifie si elle ne vit pas en concubinage.
Cette même personne indique qu'elle se libère professionnellement pour être «devant l'ordinateur» quand vient le jour et l'heure de l'inscription aux centres de loisirs dijonnais. L'intervenante demande «un quota de places de secours».
«On connaît bien la problématique», réagit Nathalie Koenders qui rappelle le temps où des mères se retrouvaient dans une file d'attente dès 3 heures du matin, avec les enfants parfois, pour être les premières aux inscriptions.
Les annonces de Nathalie Koenders
«Notre devoir, à nous élus, est d'adapter nos lois, nos services publics, tout ce qui fait tenir la société à cette nouvelle donne sociale», synthétise Philippe Brun.
«L'objectif, aujourd'hui, c'était d'écouter», commente Nathalie Koenders, «il y a eu des ateliers, un questionnaire à un taux de réponse assez important».
La maire de Dijon envisage d'ores et déjà d'instituer un éventuel critère de famille monoparentale pour accéder «plus facilement» aux places dans les centres de loisirs, d'«améliorer» l'accès aux places en crèche, d'instaurer une aide au déménagement, de mettre en place un répit pour les parents solos et de mener une réflexion avec les associations sportives et culturelles afin de proposer de nouvelles activités de loisirs dédiées aux adolescents.
Jean-Christophe Tardivon
Statistiques
Une famille sur quatre est monoparentale – soit 2 millions de familles totalisant 3,1 millions d'enfants – avec une femme à sa tête dans 82% des cas.
Entre 1975 et 2021, cette part de familles monoparentales est passée de 9,4 à 25,9% de l’ensemble des familles.
En moyenne, en 2011, une famille monoparentale était dans cette situation depuis cinq ans et demi.
La moitié des familles parentales comportent un seul enfant, un tiers ont deux enfants.
Des situations de monoparentalité diverses :
41% de séparations après une union libre
34% de divorces
19% de célibataires n'ayant jamais vécu en couple
6% de veuvages
Les pensions alimentaires représentent 18% des ressources des familles monoparentales.
En 2017, un tiers des bénéficiaires du RSA étaient des familles monoparentales.
41% des enfants en famille monoparentale vivent sous le seuil de pauvreté.















