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27/11/2022 17:23

VIOLENCES INTRAFAMILIALES : «C'est l'enfer, c'est sans arrêt», témoigne une victime auprès d'Emmanuel Macron

«La protection de la victime passe par les actions sur le condamné», ont expliqué les acteurs de la justice après que le président de la République a écouté le témoignage de victimes, ce vendredi 25 novembre, à la cité judiciaire de Dijon.
Une «juridiction spécialisée» dans le traitement des situations de violences intrafamiliales, telle est la demande des associations d'aide aux victimes et des associations féministes.

Le modèle voisin de l'Espagne est mis en avant avec une diminution de 25% des féminicides entre 2004 et 2021. La loi organique «Mesure de protection intégrale contre les violences conjugales» – votée en 2004 alors que le socialiste José Luis Zapatero était président du gouvernement – a été complétée par des mesures interministérielles en 2017 dotées d'une enveloppe d'un milliard d'euros, sous le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy cette fois.


Des équipes de police et des tribunaux ont été spécialement dédiés à cette problématique. La perspective féministe des violences de genre a présidé à la réflexion.

L'enjeu d'une «juridiction spécialisée»


D'emblée, en arrivant à l'école de gendarmerie de Dijon, le président de la République a été interpellé par la directrice de l'association Solidarité Femmes 21, souhaitant donc voir émerger en France une telle «juridiction spécialisée».

L'enjeu est au cœur d'une mission parlementaire menée par Émilie Chandler (RE), députée du Val-d'Oise, et Dominique Vérien (UDI), sénatrice de l'Yonne. La Première ministre leur a demandé de faire le bilan du traitement judiciaire des violences intrafamiliales et de «fournir des préconisations en matière de prise en charge des victimes comme des auteurs tout au long du processus».

Acteurs judiciaires et élus locaux


Ce vendredi 25 novembre 2022, après une première séquence à l'école de gendarmerie de Dijon, Emmanuel Macron s'est rendu à la cité judiciaire de Dijon pour écouter le propre bilan des acteurs locaux de la justice et prendre note de leur position au regard de cette «juridiction spécialisée».

Le président de la République était accompagné d'Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances. Brièvement présent à Dijon, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a été excusé par le chef de l'État qui lui a permis de rejoindre un débat parlementaire.

La délégation était composée notamment du préfet de la Côte-d'Or Franck Robine, des parlementaires côte-d'oriens Benoît Bordat (FP), Fadila Khattabi (RE), Didier Paris (RE) et François Patriat (RE) ainsi que d'élus locaux dont Emmanuelle Coint (LR), vice-présidente du conseil départemental de la Côte-d'Or, Nathalie Koenders (PS), première adjointe au maire Dijon, et Kildine Bataille (RE), adjointe au maire de Dijon déléguée a la lutte contre les violences faites aux femmes.

Un autre comité d'accueil avait pris place dans le hall de la cité judiciaire. Des avocats avaient revêtus leur robe pour interpeller le chef de l’État sur les moyens accordés à la justice – Maître Jean-Baptiste Gavignet en tête – tandis qu'Emmanuel Macron renvoyait aux mesures des états généraux de la justice.

Des témoignages de victimes de violences conjugales


L'écoute du président de la République est mobilisée dès son arrivée à la cité judiciaire pour un temps d'échange avec deux femmes victimes chacune d'un conjoint violent.

L'échange se déroule à huis clos. Seulement le président, la ministre, la déléguée départementale aux droits des femmes Isabelle Gandré, la chargée de mission violences intrafamiliales du parquet Élia Geslin, la directrice de France Victimes 21 Orane Duchatel et la directrice de Solidarité Femmes 21 Anne Joseleau.  

Six journalistes sont présents en fond de salle, trois pour la presse nationale, trois pour la presse régionale, sans possibilité de capter des sons ou des images. Seul le photographe de l’Élysée opérera autour des intervenants. Telles sont les conditions retenues pour obtenir la confiance des deux victimes ayant le courage de s'exprimer.

«Je vis toujours dans l'angoisse de quand il va ressortir»


Les témoignages sont glaçants. Les victimes s'exprimant avec une grande dignité ponctuée d'émotion. La première femme qui prend la parole évoque un homme rencontré très jeune, des violences apparues après la naissance du premier enfant, aujourd'hui majeur – «ça allait crescendo» mais «je n'ai jamais porté plainte parce que j'avais trop peur».

À la suite de coups de couteau, un signalement de l'hôpital au procureur permet l'intervention des gendarmes en situation de flagrant délit. Un médecin constate les violences, entraînant une ITT de moins de huit jours. Placé en garde à vue puis jugé en comparution immédiate, l'auteur des coups est condamné à cinq ans de prison ferme, la peine maximale, et au retrait de l'autorité parentale.

«Je vis toujours dans l'angoisse de quand il va ressortir», indique la témoin car les réductions de peine pourraient conduire à un emprisonnement durant trois ans. «J'envisage de quitter la région pour partir très loin mais de toute manière il me retrouvera.»

La témoin indique avoir lancé une procédure de divorce mais être confrontée à des problématiques administratives. Ainsi une mairie demande à ce que l'homme actuellement incarcéré se déplace pour retirer des actes de naissance, ce qui bloque le processus.

«Il a déjà exprimé des scénarios de mort, c'est une personne pour nous qui est vraiment très inquiétante», précise Anne Joseleau. «Des femmes sont persuadés qu'elles sont en sursis, elles disent 'je veux arriver à faire grandir mes enfants'.»

«Pour vous qu'elle est la bonne réponse ?» demande Emmanuel Macron qui intervient très peu dans l'échange. la directrice de Solidarité Femmes 21 évoque l'utilité du bracelet anti-rapprochement mais «sur la durée», pas seulement sur un an.

«On a retrouvé une liberté mais c'est une semi-liberté»


«Il y a beaucoup de similitudes», enchaîne la seconde témoin, «10 ans avec lui, ça a a commencé par une emprise, puis viennent les coups». Elle évoque l'utilisation d'objets tranchants, les cheveux arrachés. En tout, 150 bleus cumulés. «Je pense que ces gens-là ont des problèmes avec les femmes», analyse-t-elle.

Une femme gendarme commence à l'écouter, se déplaçant parfois en civil sur des chemins de campagne pour que la victime se confie en toute discrétion. «Je ne porte pas plainte mais le parquet de Dijon décide d'arrêter Monsieur sans prévenir», indique la témoin.

Après 48 heures de garde à vue, le mise en cause est placé en détention. «La justice a été vite, trop vite pour moi», explique la témoin, «on lui propose le bracelet, il dit oui, je suis partie de la maison le jour de son jugement». La victime partage son regret d'avoir dû participer à une confrontation lui ayant été «imposée» par la justice.

Après un an passé avec un bracelet anti-rapprochement, l'auteur des coups a été autorisé à travailler dans la ville où son épouse occupe elle aussi un emploi : «je n'ai pas le droit de savoir, il est quelque part. (…) C'est l'enfer, c'est sans arrêt, on est victime, on a retrouvé une liberté mais c'est une semi-liberté».

«Je pense que vous avez passé un cap», réagit Emmanuel Macron, «vous n'êtes plus dans la solitude, vous êtes maintenant accompagnée, il faut que le dispositif soit suffisamment réactif quand vous sentez des signaux».

Rendre le système «plus exigeant»


«Ce que je retiens, c'est qu'il y a un gros travail à faire du côté des bourreaux pour les suivre sans doute mieux dans la durée et que l'on utilise les bracelets sur des périodes longues», analyse Emmanuel Macron.

«Le droit a évolué depuis quelques années», poursuit le président de la République sur un terrain de politique pénale, «la confiance se construit centimètre par centimètre ; même si on fait évoluer le droit, tant qu'il y a des drames, cela veut dire qu'il faut qu'on étaie le système et qu'on le rendre plus exigeant».

Tout en constatant que «les enfants, c'est l'angle mort» des violences intrafamiliales, Emmanuel Macron évoque un travail de «sensibilisation» : «il faut que l'on informe que si vous êtes violent, vous perdez tout vos droits».

«Un contentieux de masse»


Séquence plus institutionnelle avec une table-ronde sur les violences intrafamiliales animée par Olivier Caracotch, procureur de la République de Dijon. Le parquet dijonnais recense environ mille procédures par an, un nombre qui a doublé en quatre années. Selon le procureur, il s'agit d'un véritable «contentieux de masse».

«Le souci de la prise en compte de la victime irrigue le travail de l'institution judiciaire», souligne Olivier Caracotch qui mentionne les acteurs variés, judiciaires ou associatifs, dans le processus avant, pendant et après le procès, concernant la victime, l'auteur et les éventuels enfants.

Le procureur insiste sur l'apport de récents recrutements pour coordonner ces différents acteurs dont une chargée de mission spécialisée sur le sujet.

«Il faut que la chaîne pénale soit dotée d'effectifs suffisant»


La première partie du débat concerne la réponse pénale avec les intervention de David Dufour, procureur adjoint, Alexandra Morot, juge des libertés, et Hélène Cellier, présidente du tribunal correctionnel.

«Il faut que la chaîne pénale soit dotée d'effectifs suffisant pour traiter ces procès, (…) pour juger dans un délai raisonnable de manière à pouvoir protéger rapidement et à prendre en charge l'auteur», revendique David Dufour en signalant que l'agglomération dijonnaise est dotée de quatre enquêteurs de police.

«C'est le dossier de leur vie souvent», insiste Alexandra Morot en songeant aux victimes. L'intervention de la juge des libertés se fait souvent «à chaud» dans les cas de flagrants délits. La magistrate souligne l'importance de la formation continue et donc des «moyens» accordée à la justice.

«Dans cette salle, il y a beaucoup de sentiments qui se bousculent, des sentiments de rancœur, de colère, de souffrance morale et psychique, des sentiments d'amour et de désamour», indique Hélène Cellier qui préside régulièrement des audiences correctionnelles dans la salle même où se tient la table-ronde.

La magistrate insiste sur «le temps» nécessaire pour la prise de décision «cohérente, juste, équilibrée» aux regards des enjeux humains impliquant toute une famille.

Les avocats de victimes demandent à intervenir dès «le début de la chaîne pénale»


Le sujet de l'accompagnement judiciaire des victimes est abordé par Orane Duchatel, directrice de France Victimes 21, Hervé Beneton, juge responsable du services des affaires familiales, et Jean-Philippe Schmitt, bâtonnier de l'ordre des avocats de Dijon.

France Victimes est le premier maillon du continuum judiciaire en contribuant à la plainte d'une victime. Un rapport sur les observations de la victime est transmis au magistrat pour apporter un éclairage sur le contexte afin de permettre un jugement «sur mesure». L'accompagnement dure jusqu'à l'effectivité de l'indemnisation décidée par le tribunal.

Orane Duchatel signale au président de la République avoir besoin d'un poste supplémentaire pour suivre correctement les 35 femmes dotées d'un téléphone grave danger et les 8 femmes équipées d'un bracelet anti-rapprochement en Côte-d'Or : «à Dijon, nous arrivons à saturation, (…) l'effectif est constant depuis presque dix ans.»

Le magistrat Hervé Beneton précise que le jugement moyen d'un contentieux est de dix mois et souligne l'importance de «l'équipe de greffières». Le juge aux affaires familiales évoque la pertinence de pouvoir disposer d'un service d'«évaluation sociale» et l'intérêt d'une décision de protection «provisoire», le temps d'une «réelle enquête sociale».

Portant le point de vue des avocats, Jean-Philippe Schmitt aborde le thème de l'accès au droit par les victimes. Le barreau de Dijon propose une permanence quotidienne via un numéro de téléphone dédié.

Du fait de la complexité des dossier, le bâtonnier prône le recours à un avocat pour assister les victimes au moment des décisions d'ordonnance de protection alors que l'avocat n'est pas obligatoire. Cela permettrait également que l'avocat intervienne dès «le début de la chaîne pénale». Cela nécessiterait également une augmentation du budget accordée à l'aide juridictionnelle.

«La protection de la victime passe par les actions sur le condamné»


Au moment d'évoquer la coordination des acteurs judiciaires, Bruno Laplane, président du tribunal judiciaire de Dijon, alerte sur «un cloisonnement important entre services» vu comme «un frein à l'efficacité» voire comme la source de «dysfonctionnements».

En octobre 2021, une chargée de mission sur les violences intrafamiliales a été recrutée. Son poste, partagé entre le siège et le parquet, permet d'instaurer la «transversalité» attendue : «l'objectif est de fluidifier le circuit d'informations et de sécuriser la qualité de cette information».

En moyenne, entre six et douze plaintes pour violences conjugales arrivent chaque jour à la cité judiciaire de Dijon.

La juge d'application des peines Cécile Cuenin prend en charge l'auteur une fois condamné coupable ainsi que l'information de la victime à propos des permissions ou fin de peine de son agresseur.

«La protection de la victime passe aussi par la prévention de la récidive et les actions sur le condamné», analyse la magistrate avant de demander des «moyens» pour un meilleur suivi du condamné notamment pour des «soins», souvent relatifs aux addictions.

«La mutation culturelle» de l'institution judiciaire à propos des violences intrafamiliales


«On a encore des marges de progressions», résume le procureur Olivier Caracotch alors que le président de la République a pris des notes durant tout le temps de la table ronde.

«Qu'est-ce que vous pensez d'une juridiction spécialisé ?» demande tout de go le chef de l’État. Le sujet étant pourtant central dans le déplacement du jour, la tonalité déstabilise les magistrats qui échangent des sourires gênés.

Le juge aux affaires familiales se dit «sceptique» sur la possibilité d'organiser des «chambres dédiées» à Dijon. «Le risque avec les juridictions spécialisées, c'est l'éloignement géographique des acteurs», rebondit le procureur de la République qui a saisi qu'une telle juridiction ne serait pas nécessairement déployée dans chaque capitale régionale, «ici, on se connaît les uns les autres, France Victimes est hébergée dans la cité judiciaire».

«La justice doit rester proche», abonde le bâtonnier qui envisage «des magistrats spécialisés dans les juridictions qui existent actuellement».

Le président du tribunal judiciaire de Dijon préfère souligner «la mutation culturelle» de l'institution judiciaire, en lien avec celle de la société. «Cette diffusion au sein de la juridiction est un enrichissement dans tous les aspects de l'intervention judiciaire.»

Un consensus se dégagent donc parmi les représentants respectifs des magistrats et avocats dijonnais en défaveur d'une juridiction spécialisée sur le modèle espagnol.

«On a mis les moyens», assure le président de la République


«Le doublement de l'aide aux victimes a augmenté de 115%, entre 2017 et 2023, et pour les violences intrafamiliales de près de 300%», réagit le président de la République, «on a mis les moyens».

«Il faut poursuivre l'effort», ajoute-t-il, «on continue à les augmenter, à la fois à créer des postes et déployer des moyens sur nos forces de sécurité intérieure et à faire la même chose du côté de notre justice».

«Je vais quand même clarifier une chose : les 105 contractuels affectés dans les juridictions spécifiquement dédiés aux luttes contre les violences intrafamiliales sont pérennisés pendant trois ans. Monsieur le bâtonnier, je crois que votre demande est en train d'être réalisée par les votes qui sont en cours, il y a un amendement qui est déposé par la majorité et qui continuera de cheminer pour qu'il y ait un accompagnement par un avocat dès le début de la procédure», développe-t-il.

Emmanuel Macron n'est pas favorable à une «chambre spéciale»


Au chapitre des améliorations, le chef de l’État entend «poursuivre le travail» de la «prise de conscience» et de «gain en compétences» des acteurs judiciaires. «On a sans doute besoin de pôle d'expertise et de compétences mais l'idée ne peut pas être de projeter une espèce de chambre spéciale qui créerait beaucoup trop de rigidité à la fois dans les carrières et le fonctionnement d'un tribunal. L'idée d'avoir des références plus spécifiquement sur ces sujets est levée.»

«Dans les juridictions qui ont une stratégie établie depuis quelques années, on va concentrer des premiers apports que l'on aura en sortie d'école», annonce Emmanuel Macron.

«C'est un investissement de la nation»


Finalement, le président de la République évoque le rôle des enfants comme «élément-clé» de la décision d'agir ou non en justice de la part des victimes : «il y a sans doute quelque chose à faire». Idem pour «le traitement de ceux qui ont commis ces violences» et «le suivi dans la durée des victimes et de la relation avec l'ancien conjoint ou ancien époux».

La balle est donc dans le camp de la mission parlementaire dont le rapport est attendu au printemps 2023 pour une décision de politique judiciaire sur les modalités de spécialisation des juridictions «avant l'été».

«C'est un investissement de la nation», envisage le chef de l’État, «si on arrive à répondre à la détresse des victimes, à prononcer la peine et à accompagner, je suis convaincu qu'on arrivera à réduire rapidement ces chiffres, d'abord ceux qui sont insupportable des féminicides mais aussi ceux des violences».

Alors que la nuit était tombée, le chef de l’État est allé salué les quelques personnes qui restaient aux abord de la cité judiciaire – dans un périmètre où l'accès était contrôlé par des CRS – avant de reprendre la direction de la capitale.

Jean-Christophe Tardivon
Photographies JC Tardivon
sauf mention contraire


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Photographie Pool

Photographie Arthur Deballon

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Photographie Arthur Deballon

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Photographie Arthur Deballon







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