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10/11/2021 20:43

AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE : «La ruralité, c'est l'avenir», selon François Bayrou

Le haut-commissaire au plan a ouvert les premières «Rencontres de la ruralité conquérante» le 6 novembre dernier à Venarey-Les Laumes. Devant la député Yolaine de Courson, le centriste a défendu la filière nucléaire et critiqué la fusion des régions. Selon François Bayrou, le monde rural sera «l'élément principal d'un nouvel équilibre du territoire».
Après avoir lancé le «manifeste pour une ruralité conquérante» en octobre 2019, la députée de la Côte-d'Or Yolaine de Courson (apparentée Modem) a dû plusieurs fois reporter le forum permettant de débattre autour de cette notion à cause de la crise sanitaire.

Ce samedi 6 novembre 2021, les premières «Rencontres de la ruralité conquérante» ont enfin pu se tenir au Pantographe, à Venarey-Les Laumes, animées par Philippe Bertrand. Sur les 250 inscrits à l'événement, 120 personnes, dont de nombreux élus ruraux, ont assisté à la matinée de lancement, certaines venant d'Auvergne-Rhône-Alpes ou même de Bretagne. À noter que le maire de la commune, Patrick Molinoz (PRG-Centre gauche) était attendu pour introduire les ateliers de l'après-midi.

«Quelle pourrait être la place de la ruralité dans la France de 2022 à 2032 ?» était la question posée à François Bayrou en ouverture de ces rencontres. Fondateur du Modem, François Bayrou s'est allié à Emmanuel Macron avant la présidentielle de 2017. Un temps ministre de la Justice en 2017, il a été nommé haut-commissaire au plan en septembre 2020.

«Une place stratégique dans la France de demain»


Yolaine de Courson aime à se présenter comme «la grand-mère de Greta Thunberg» car elle a «l'angoisse climatique». Une comparaison qui fera fermement réagir François Bayrou peu après.

«Nous ne pouvons plus impacter l'avenir de nos enfants comme nous l'avons fait avec des modes de vie complètement inadaptés», lance celle qui a quitté le groupe LREM à l'Assemblée nationale pour rejoindre l'éphémère groupe Écologie Démocratie Solidarité avant d'être accueillie au sein du groupe Modem. À ce jour, ni Yolaine de Courson ni son suppléant Étienne Jobard n'ont franchi le pas d'adhérer pour de bon au mouvement fondé par François Bayrou.

Face aux inquiétudes, «la solution se trouve en grande partie dans la ruralité parce que nous sommes les poumons de la planète, nous sommes les gardiens de l'eau, les protecteurs de la biodiversité, les protecteurs du vivant et c'est chez nous que l'on peut trouver les grands espaces pour les industries de demain et tous les espaces aussi pour faire une alimentation saine et durable».

«Ça nous donne une place stratégique dans la France de demain (…) mais ça nous donne aussi la responsabilité de mettre en place toutes les actions et les services pour remplir ce rôle. Nous ne pouvons plus nous complaire dans une position parfois de victime. C'est vrai qu'il y a beaucoup de problèmes dans la ruralité, il faut qu'on s'y attaque mais, aussi, il faut qu'on prenne notre vraie place stratégique et qu'on devienne des conquérants»

«Le plan, c'est de penser à 10-20-30 ans au lieu de penser à 10-20-30 jours»


En préambule, François Bayrou confie le «bonheur» qu'il a à participer à ce lancement de la journée, il concède un «sacrifice» en ne pouvant assister au derby de rugby entre les équipes de Pau et de Biarritz ayant lieu ce même jour. Le maire de Pau a également un «mot particulier» pour François Patriat et salue la maire de Montbard, la centriste Laurence Porte (LCOP). Il indique également avoir une connexion particulière avec la Côte-d'Or puisqu'il a un fils qui travaille à Dijon.

Fervent défenseur de la planification, François Bayrou fustige «l'accélération du temps politique» et «la pression des télévisions en continu et des réseaux sociaux» : «au lieu de prendre des décisions pour trente ans, (...) on a pris des décisions parfois à trente jours».

Un changement de paradigme lié à l'influence du libéralisme économique : «on opposait le plan – dépassé – au marché – efficace, actuel». «Le plan, c'est de penser à 10-20-30 ans au lieu de penser à 10-20-30 jours», martèle le haut-commissaire.

Le haut-commissaire au plan déplore que le commerce extérieur de la France soit en déficit depuis quinze ans, pour atteindre 70 milliards d'euros sur douze mois glissants, quand l'Allemagne connaît un excédent de 250 milliards d'euros.

D'où la mission du plan qui est de mener une réflexion stratégique : «où va-t-on ? Quels sont les chemins qu'on va suivre pour atteindre le but qu'on se fiexe ? Quelles sont les étapes ?»

Le nucléaire, « pour respecter nos engagements de baisse des émissions de gaz à effet de serre»


François Bayrou salue le fait qu'Emmanuel Macron ait «remis au goût jour» cette réflexion, notamment «pour ce qui concerne le nucléaire». Un changement de mentalité produit par une note publiée le 24 mars dernier, «Électricité : le devoir de lucidité», appelant à lancer le chantier de «nouveaux réacteurs» parallèlement au développement des énergies renouvelables (retrouver la note). Selon nos informations, quatre paires d'EPR sont dans les cartons (lire notre édito) quand la Chine vient de lancer un plan pour construire 150 réacteurs nucléaires en 15 ans.

«Nous avons pris des engagements en termes de réduction des gaz à effet de serre au nom de la France. (…) Ces engagements formels ne sont tenables, dans un contexte où toutes les organisations écologiques européennes disent que, pour réduire notre empreinte carbone, il faut électrifier les voitures, les transports en commun, les chauffages des maisons, les équipements de conforts»

«Si vous voulez développer le renouvelable, alors il faut avoir une chose en tête, c'est que le renouvelable est intermittent» donc «il faut de la production électrique pilotable» et «si vous voulez du pilotable qui ne rejette pas de gaz à effet de serre, il n'y a que le nucléaire qui puisse le faire».

«Si on en comprend pas que pour respecter nos engagements de baisse des émissions de gaz à effet de serre, il faut une capacité de production d'électricité décarbonée alors on ment aux générations qui viennent et grand-mère de Greta Thunberg ou mère de Greta Thunberg ou copine de Greta Thunberg, ce sont des mensonges les engagements que l'on prend si on ne met les choses en face»

Les grandes régions : «on a fait n'importe quoi !»


Avant d'aborder la question centrale de la ruralité, François Bayrou prend soin de rappeler qu'il est «fils de paysan de toute petite exploitation agricole», et «éleveur depuis toujours». Il est effectivement éleveur de chevaux de courses. «J'appartiens à cet univers-là et j'habite toujours le village où je suis né qui est aux portes de Pau».

«La ruralité, aujourd'hui, on peut affirmer à peu près avec certitude que c'est l'avenir», lance François Bayrou. En revanche, il ne cache pas son opposition aux grandes régions créés par la loi NOTRé promulguée durant le quinquennat de François Hollande : «on a fait n'importe quoi !» Ce qui provoque les applaudissements de l'assistance.

«Ce ne sont pas des régions qui ont été faites non pas pour faire des régions mais pour faire des résultats électoraux. Qui n'ont pas été faites en réfléchissant à la géographie, à l'histoire et à la culture», assène-t-il. «Vous ne pouvez pas décider où vous voulez aller si vous ne savez pas qui vous êtes. L'identité est une donnée essentielle de la légitimité des grands choix. Dans ces régions-la, tout est manqué : il n'y a plus d'identité, en vérité, il n'y a plus de débat : on ne connaît pas les élus, on ne sait pas ce qu'ils pensent, on ne les identifie pas, (…) c'est hors sol !»

Et de glisser, en tant que «citoyen» : «je suis persuadé qu'on va devoir retravailler ce sujet». Emmanuel Macron a indiqué qu'il ne toucherait pas aux grandes régions durant son quinquennat, ce qui laisse la porte ouverte lors d'une éventuelle autre mandature.

«La vie plus vivable» dans le monde rural


«La place de la ruralité aura basculé en 2020 à cause de l'épidémie», lance François Bayrou en référence là aussi à une note, «Et si la Covid durait ?» (retrouver la note). «Les grandes unités urbaines se trouvaient directement menacées lorsqu'il y avait épidémie et que le genre de vie qu'on y menait devenait de plus en plus insupportable au fur et à mesure que les contraintes sanitaire s'imposaient. (…) Ma conviction est que ça donne au monde rural un avenir absolument remarquable parce qu'ils vont être l'élément principal d'un nouvel équilibre du territoire».

Mine de rien, François Bayrou rappelle qu'il a été trois fois candidat à l'élection présidentielle, en 2002, 2007 et 20212.

Selon le haut-commissaire, l'avenir de la ruralité relève de plusieurs raisons contribuant à «rendre la vie plus vivable». «Nous avons désormais des capacités de rendre cette vie engagée dans les grands enjeux économiques du temps», poursuit-il en référence au développement du télétravail. «La plupart des fonctions tertiaires s’accommodent aujourd'hui de deux jours de télétravail».

François Bayrou voit là «l'illustration de la nécessité d'un regard sur le long terme, s'il n'y a pas d'action publique, à ce moment-là les acteurs sont privés et, par définition, ils voient le retour sur l'investissement pour l'actionnaire et les effets immédiats de l'investissement. Si l'on veut avoir le long terme, alors il n'y a que l'action publique». Parmi les autres grands enjeux de la ruralité, le haut-commissaire signale également celui des mobilités dont le ramassage scolaire.

«L’État a dérivé en administration et l'administration en bureaucratie»


Interrogé par Maria-Pav Fave Usach (LREM), François Bayrou indique que la relocalisation de la production de panneaux photovoltaïques est «une nécessité» et incite à prendre en compte l'empreinte carbone des composants des systèmes de production d'énergie renouvelable.

Pour sa part, François Patriat (LREM) souligne le fait que la Bourgogne-Franche-Comté est une «terre industrielle» et déplore que «les gens qui militent écologiquement» n'offrent «aucune solution».

Par ailleurs, le sénateur se fait le porte-parole de maires ruraux en fustigeant «des administrations [qui] ne sont plus là pour accompagner les territoires mais seulement les contrôler». Une remarque qui suscite de nombreux applaudissements. Il invite donc le haut-commissaire au plan à faire en sorte que l'administration soit «aidante et non pas contraignante».

En réponse, François Bayrou concède «un grave sujet de préoccupation avec l'ensemble d'organisation de l’État, de l'administration». Et, devant la sous-préfète de Montbard, Isabelle Bourion, de rappeler une précédente sortie : «l’État a dérivé en administration et l'administration en bureaucratie». François Bayrou se dit «persuadé» que les «mouvements malthusiens» de l'administration peuvent être «contrés» notamment par le travail de renouvellement de la haute fonction publique entamé par Emmanuel Macron.

Le numerus clausus médical, un «crime social»


«La capacité de se déplacer pèse sur le pouvoir d'achat», alerte la députée Fadila Khattabi (LREM), aux côtés de son homologue Didier Martin (LREM), en faisant référence au mouvement des Gilets jaunes. «Il faut anticiper les choses, il y a des investissements à faire pour rétablir une certaine équité territoriale», estime-t-elle à propos des équipements sanitaires. Un propos là aussi applaudi.

«Dans l'offre de soins, on a commis un crime social dans les décennies passées, c'est le numerus clausus médical», répond tout de go François Bayrou alors que les applaudissements reprennent, «le plus grand pays médical du monde se trouve dans l'incapacité de fournir des anesthésistes, des ophtalmos».

«C'est un crime qui a été commis par tout le monde, tout le monde a été complice : les administrateurs de la Sécu, (…) les médecins... On va le payer pendant une génération entière», assène froidement l'orateur. Le haut-commissaire indique avoir demandé au ministère de la Santé «la création de CHU plus disséminés sur l'ensemble du territoire».

Le plan de relance français équivalent au plan de Joe Biden


En termes d'investissement, le haut-commissaire souligne que le plan de relance voulu par le président de la République est équivalent, à l'échelle de la France, aux 1.000 milliards de dollars du plan de Joe Biden. Et de souligner avec humour que la première syllabe de «Bayrou» se prononce comme la première syllabe de «Biden».

Sur ce quoi Michel Neugnot (PS), premier vice-président du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, rebondit en mentionnant les différents plans régionaux d'urgence et de relance qui cumulent, crédits européens, compris un milliard d'euros : «les Régions ont été à la manœuvre». «S'est créé un couple entre Région et intercommunalités qui est un élément de réponse de proximité pour l'avenir», a estimé l'élu régional. Le vice-président demande au haut-commissaire une «loi de programmation pluriannuel pour avoir une visibilité à dix ans» en matière de mobilités.

Un public attentif


Conversion d'une ferme à l'agriculture biologique, augmentation de la part de produits sous label de qualité dans la restauration scolaire, accompagnement de porteurs de projet s'installant en zone rural (notamment par Communes Opportunités, partenaire de la journée), place des jeunes (avec Active toi pour ta planète) et télétravail des fonctionnaires depuis les zones rurales ont été les autres sujets abordés par le public.

Après avoir répondu à ces nombreuses questions, François Bayrou a repris la route pour rendre visite à sa famille de Côte-d'Or mais l'histoire ne dit pas s'il a pu au moins suivre une retransmission du fameux match, finalement gagné 33 à 21, de Pau face à Biarritz.

Jean-Christophe Tardivon

Les salariés CGT de VBT à Montbard interpellent François Bayrou