Contrôles en masse, interpellations à foison, gardes à vue en nombre, incarcérations par dizaines mais aucune tête de réseau arrêtée... Ce lundi 15 avril, les autorités ont tiré le bilan de trois semaines dédiées à la lutte contre les trafics de drogue dans la métropole dijonnaise.
Les «ciblages judiciaires» étaient au cœur de l'opération «Place nette XXL» lancée dans la métropole dijonnaise du 25 mars au 12 avril derniers. Il s'agissait de personnes étant dans le collimateur de la justice pour trafic de stupéfiants avant même le déclenchement de l'opération.
La concentration des moyens des forces de sécurité intérieur et de la justice sur la lutte contre le fléau de la drogue a conduit à des dizaines d'interpellations. Charge au tribunal judiciaire de dire à présent le droit.
Après plusieurs points intermédiaires du point de vue policier, le préfet de la Côte-d'Or Franck Robine et le procureur de la République Olivier Caracotch notamment ont conduit, ce lundi 15 avril 2024, un point de situation comprenant également l'aspect judiciaire, entourés des directeurs des différentes composantes des forces de sécurité intérieures impliquées dans l'opération.
Actualisé le 15 avril 2024 à 13 heures 10 :Une opération d'ampleur avec de multiples tiroirs
«Des résultats extrêmement satisfaisants ont été atteints», lance d'emblée Franck Robine, évoquant «une opération d'ampleur sans précédent». Sur les trois semaines, 10.000 effectifs des forces de sécurité intérieure ont été mobilisés sans compter les agents de la lutte anti-fraude relevant des Finances publique ou encore de URSSAF.
En dehors de l'ampleur des personnels impliqués, l'opération se caractérisait par une porte d'entrée judiciaire pour des contrôles portant sur plusieurs objets et visant l'ensemble des flux convergeant vers la métropole dijonnaise.
«Nous avions préparé depuis longtemps des opérations pour arrêter des individus recherchés dans le cadre d'enquêtes judiciaires, principalement axées sur la lutte contre les stupéfiants, mais pas que», explique le préfet en évoquant les rixes inter-quartiers et les fraudes.
213 interpellations, 47 armes saisies, 6 expulsions
Le volet policier du bilan établit le 12 avril recense 213 interpellations, près de 27.000 personnes contrôlées, 12 commerces contrôlés (boulangerie, boucherie-charcuterie...) et 203 amendes forfaitaires délictuelles dressées pour consommation ou détention de produits stupéfiants.
Parmi les personnes contrôlées, on relève 36 étrangers étrangers en situation irrégulière. 6 ont été placés en centre de rétention administratif pour des fait de troubles à l'ordre public grave en vue d'une expulsion du territoire national. 30 se sont vus notifiés une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Un commerce a fait l'objet d'une enquête de flagrance pour travail dissimulé.
En ce qui concerne des biens, 47 armes ont été saisies – sans compter 285 armes de type Airsoft – dont des armes longues, des armes de poing, des armes blanches mais pas d'armes de guerre. Ont été retirés du marché 8,5 kg de stupéfiants, principalement du cannabis, et plus de 30.000 euros en espèces.
18,6% des personnes placées en garde à vue ont moins de 18 ans
Pour le volet judiciaire, Olivier Caracotch exprime sa «satisfaction quant à ces opérations» et indique que, sur 213 personnes interpellées, 161 personnes ont été placées en garde à vue. Certaines personnes étaient inscrites au fichier des personnes recherchées et ont fait l'objet d'une vérification.
Les 64 ciblages judiciaires ont été remplis «dans leur quasi-totalité». Ce sont donc une centaine de personnes supplémentaires ont fait l'objet d'une garde à vue au gré des contrôles réalisés durant ces trois semaines.
Un tiers des personnes placées en garde à vue relevait du trafic de stupéfiants et un tiers des atteintes aux personnes dont les rixes entre bandes. Les autres étant ventilées dans diverses catégories.
18,6% des personnes placées en garde à vue ont moins de 18 ans, ce qui correspond «peu ou prou à la structuration de la délinquance». La plupart n'étaient pas déjà connus de la police.
56 personnes jugées, 47 incarcérations, 7 interdictions de territoire
Concernant les réponses pénales, 56 personnes ont été présentées au tribunal à l'issue de leur garde à vue dont 35 jugées en moins de 48 heures : 19 étant passées en comparution immédiate et 16 en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou «plaider coupable».
10 personnes ont été placées en contrôle judiciaire et 5 ont été mis en examen dans le cadre d'informations judiciaires pouvant prendre plusieurs mois à être traitées. Quelques personnes ont été convoquées ultérieurement pour des alternatives aux poursuites. Le procureur signale également «quelques classements sans suite».
En matière de mesures carcérales à ce stade, 23 mandats de dépôt ont été prononcés, 24 peines d'emprisonnement ferme ainsi que 7 interdictions de paraître soit sur un point de deal soit sur la métropole dijonnaise.
Des têtes de réseau échappent à la justice
«Grâce à la présence massive des forces de sécurité sur la voie publique, on aurait pu espérer interpeller un certain nombre de têtes de réseau bien connues à Dijon et qui font déjà l'objet de mandat d'arrêt mais il se trouve que ces personnes sont vraisemblablement en fuite bien loin de la métropole», concède le procureur. «Les opérations sur des ''petites mains'' permet aussi de recueillir du renseignement, ce qui nous sera utile à l'avenir.»
«Il reste à travailler sur le haut du spectre», poursuit Olivier Caracotch, «c'est un travail à plus long terme, qui est absolument indispensable». «Je pense notamment aux investigations financières puisqu'on sait qu'un trafiquant de stupéfiants est d'autant plus gêné qu'on va arriver à saisir une partie de toutes les richesses qu'il a pu accumuler grâce à son trafic».
«La recherche des individus qui ont pris le large à l'étranger passe aussi par une action administrative», ajoute le préfet qui indique avoir attiré l'attention du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin concernant des suspects ayant quitté la métropole dijonnaise.
Contrôles de véhicules et de voyageurs par les gendarmes
«On a pu concentrer des moyens conséquents», résume à son tour le général Sylvain Laniel, commandant la région de gendarmerie Bourgogne-Franche-Comté. «Cela génère de l'insécurité chez le trafiquant.»
«On a mené des opérations de grande envergure comme le dévoiement de l'autoroute A6», note-t-il à propos du détournement complet du flux nord-sud par une aire de repos pour contrôler tous les véhicules.
Les voyageurs des lignes SNCF ont également inspectés : «ce sont des vecteurs qui font converger le consommateur et parfois le trafiquant vers la métropole dijonnaise».
Ainsi, entre Montbard et Dijon, les gendarmes ont interpellé un individu qui transportait 200 grammes de résine de cannabis et trois téléphones portables destinés à être jetés dans la cour de la maison d'arrêt de Dijon. Il a été mis en examen puis condamné à six mois de détention et incarcéré.
«Les équipes cynophiles sont une des clés du succès», insiste le militaire.
Démantèlement du point de deal de Quetigny
«On peut considérer que certains points de deal ont été démantelé dont celui de Quetigny», signale le général Sylvain Laniel, «il a fait l'objet dans la durée d'une présence de nos forces». «Il s'agit de garder une présence suffisamment force pour dissuader la reprise du point de deal et garantir aux riverains et commerçants que leurs activités pourront se poursuivre dans de bonnes conditions. (…) il faut poursuivre, on reste présent sur l'ensemble des secteurs.»
Occupation du point de deal des Grésilles
«On avait un cahier des charges ambitieux au niveau judiciaire», rappelle le commissaire divisionnaire Bruno Ballot, directeur interdépartemental de la police nationale de la Côte-d'Or (DIPN), soulignant «la volonté forte d'occuper le terrain et d'assécher les quartiers dont celui des Grésilles». «En parallèle, il y avait la volonté de mettre hors d'état de nuire des gens réputés pour polluer la vie des gens.»
«On a des retours que cette occupation massive à vraiment gêner les délinquants qui ont perdu beaucoup d'argent», signale le DIPN, «on a une baisse sensible de la délinquance enregistrée sur cette période».
Des mises en examen pour extorsion en bande organisée
Parallèlement, ont été interpellés des personnes présumées être en lien avec des atteintes au personnes survenues ces derniers mois : une violente agression rue de l'Île et une séquestration place Darcy d'un jeune emmené dans un cave à Chenôve où il a été menacé avec un couteau.
En lien avec ce dernier cas, deux majeurs et un mineur et ont été mis en examen pour extorsion en bande organisée. Un a été placé en détention provisoire, un fait l'objet d'un contrôle judiciaire et le troisième était déjà détenu pour une autre affaire.
Drogues, armes et contrefaçons saisies en plein centre de Dijon
Comme l'indique David Cugnetti, directeur régional des douanes de Dijon, les douaniers se sont concentré sur «les flux d'approvisionnement de la ville» : routes ainsi que tri du courrier et de fret express.
Ont été particulièrement ciblés les produits stupéfiants ainsi que les produits de coupage ou précurseurs, les armes et les tabacs. «On constate les polytrafics et des lieux diverses d'activité», note-t-il.
«Nous avons découvert de l'approvisionnement de lidocaïne en provenance du sous-continent indien», révèle le douanier. Cet anesthésique local est utilisé pour couper la cocaïne.
À la suite d'un processus de livraison surveillée, une perquisition douanière s'est déroulée en plein centre de Dijon. Ont été saisis des stupéfiants, des drogues de synthèse, des produits précurseurs, près de 4.000 cartouches, 7 armes, des contrefaçons et des tabacs. Un individu a été interpellé, mis en examen et placé en détention provisoire.
Par ailleurs, dans le cadre de l'opération Colbert II, 200 kg de tabacs ont été saisis dans le cadre de Colbert II ainsi que 6.500 euros en espèces.
«Le succès est évident», se félicite le directeur régional des douanes de Dijon.
Le sujet des locations via Airbnb
Parmi les enseignements de l'opération, les représentants des pouvoirs publics notent que des logements sont loués via des plateformes de type Airbnb pour loger des participants aux trafics et pour préparer des produits stupéfiants.
«Il y a complicité si [les loueurs] ont connaissance de ce qui s'y passe», souligne le procureur de la République.
«Place nette XXL» a «accéléré» la lutte contre la drogue
En 2023, en Côte-d'Or, près de 500 personnes avaient été interpellées par des policiers et des gendarmes en lien avec le trafic de stupéfiants. Avec 213 interpellations en trois semaines, l'opération «Place nette XXL» a donc permis «accélérer» la lutte contre la circulation de la drogue.
«''Place nette'' aura un effet durable sur la délinquance à Dijon», assure le préfet car «les personnes remises à la justice ne sont lus en état de nuire». «On va maintenir ce très haut niveau d'activité avec le harcèlement des points de deal qui est pleinement nécessaire et efficace. (...) On voit bien que quand ce trafic est combattu au jour le jour on a quand même des conditions de vie qui s'améliorent dans les quartiers dijonnais».
Si l'opération «Place nette XXL» s'est arrêtée le 12 avril, des gendarmes mobiles sont pourtant venues se positionner du 12 au 16 avril dans la métropole dijonnaise. D'autres viendront dans les prochaines semaines.
De la même façon, des chiens anti-stupéfiants relevant de la zone de défense est continueront d'intervenir ponctuellement à Dijon.
«Le combat contre la drogue va continuer»
«La consommation de drogue en France est illicite», rappelle Franck Robine qui se fait l'écho des propos de Gérald Darmanin disant que «les pays qui avaient cru bon de légaliser s'en mordait les doigts».
«Ce n'est pas un débat, le consommateur a du sang sur les mains», martèle le représentant de l’État, «s'il n'y avait pas de consommateurs, il n'y aurait pas de trafiquants». «Le combat contre la drogue va continuer.»
Jean-Christophe Tardivon